Il est toujours agréable de recevoir dans sa boîte aux lettres le livre dédicacé d’un vieux compagnon avec qui on a mené un combat aux premières heures de résistance à la dérive bureaucratique de l’INAO. Ça fait très ancien combattant mais, dans les premières années du nouveau millénaire, se mettre en travers, surtout à Bordeaux, de l’extension inconsidérée des AOC était un crime de lèse-majesté.
Le 25 mars 2013 j’écrivais une chronique : Y’en a que pour lui ce Château Le Puy, tout le monde parle de lui, même moi. ICI
« Moi qui ne suis qu’un modeste Taulier blanchi sous le harnois je m’enorgueillis d’être un vieil ami du patriarche du Château le Puy : Jean-Pierre Amoreau. Ça ne date pas d’hier même que Jean-Pierre fut un membre assidu du club « Sans Interdit ». Temps héroïques où les petits génies de la dégustation, avec l’appui de l’INAO de Bordeaux, qui fermaient les yeux sur de drôles de pratiques dégustatives dans la grande bassine bordelaise, se drapaient dans l’intransigeance, dégainaient leur typicité pour envoyer le Château le Puy au fossé des vins de table.
Souvenir de discussions au téléphone avec Jean-Pierre qui se désespérait et, fort justement, avait envie d’en découdre avec ces sinistres pratiquant du croskill niveleur du soi-disant standard de l’appellation. Ce combat n’est pas gagné. Comme le fait remarquer Pascal, le fils de Jean-Pierre « Les dégustateurs de QualiBordeaux, organisme d’agrément, sont formatés à un goût. Il leur est demandé en amont de goûter un vin qui va servir d’étalon. Cette standardisation des vins n’est pas acceptable ».
Paria donc la famille Amoreau qui, à Saint-Cibard, cultive l’authenticité par le vin de père en fils depuis 1610 « sur le même plateau rocheux que saint-émilion et pomerol, surplombant la magnifique vallée de la Dordogne » Les anciens l’appelait « le côteau des Merveilles ». Les goguenards, toujours en retard d’une guerre, les railleurs, tout le petit monde des suiveurs, les ignoraient. Et c’est alors que ce sont pointés, en septembre 2010, nos amis les amateurs japonais. «Un manga japonais fait d'une cuvée sans histoire un vin culte » il s’agissait bien sûr des Gouttes de Dieu. Avec délice, et une satisfaction à peine contenue, j’écrivais alors que cuvée sans histoire prêtait à sourire – si tant est que les emmerdements puissent faire sourire – car c’était ignorer que le château le Puy a connu, et connaît encore, bien des déboires avec le système officiel de la dégustation qui lui a retoqué, et lui retoque encore, des cuvées pour les habituelles divagations sur la typicité, « l’air de famille »
Je montais alors sur mes grands chevaux pour pourfendre les grands experts du goulot « Bref, encore une mornifle sur la joue de ceux pour qui dégustation (agrément) rime avec exclusion de tout ce qui n’est pas à la hauteur du plus petit commun dénominateur. Accepter la différence, la prendre en compte dans l’exercice périlleux des dégustations d’agrément, en finir avec le rabot niveleur de « l’air de famille » me paraît, au vu de ce qui vient de se produire, le minimum d’intelligence que l'on puisse attendre. Ce sont les consommateurs qui sont les seuls juge »
Cerise sur le gâteau de cet épisode médiatique, comme l’ami Jean-Pierre avait confié au journaliste de Libération qu’il « connaissait l'existence du manga grâce à une note lue sur le blog de Jacques Berthomeau. » je connus les joies extatiques du premier gros buzz sur mon espace de liberté. Comme quoi amitié et fidélité ont de beaux retours.
6 ans déjà, alors après avoir lu « PLUS QUE DE L’EAU je me suis dit mon coco : « as-tu besoin de rajouter des lignes à cette chronique ? »
Bien sûr je le pourrais car le livre de Jean-Pierre Amoreau, dans ses passages en italique, révèle sans fard ce que fut la trace de sa famille, 13 générations, sur ce terroir de Saint-Cibard, cette lignée de paysans-vignerons, dure au mal, où la valeur travail est primordiale, ça me rappelle mon pépé Louis, le respect de sa terre loin des outrances productivistes, cette facilité qu’offrent la chimie et la pharmacopée modernes, parfois ce poil d’avarice des paysans liée à une forme de générosité, c’est un autre monde loin des images d’Épinal que véhiculent certains jeunes urbains rêvant d’un retour à la terre.
Oui, Jean-Pierre Amoreau est un patriarche, et ce n’est pas toujours simple de vivre à l’ombre de l’ancêtre gardien des valeurs du château le Puy, garant d’une éthique assumée de ce vin plus pur que de l’eau, intraitable dans son souci constant de ne pas se laisser griser par les bulles spéculatives, têtu, obstiné, pas très diplomate…
Pour autant, Jean-Pierre Amoreau n’est pas un doux rêveur, il a les pieds sur terre, longtemps il a travaillé dans l’industrie, il ne se contente pas d’effleurer les problèmes, il les affronte, se pose des questions, cherche des réponses, il est un rationnel qui assume sa part de doute, il dérange une forme d’ordre établi tout en étant d’une certaine manière un conservateur.
« Etre vigneron, c’est être observateur, curieux, méditatif, travailleur, hardi, méticuleux, amoureux de la nature et des êtres vivants, respectueux de ses semblables.
Etre vigneron, c’est être artiste avec méthode, audacieux avec réflexion, enthousiaste avec méditation, fougueux avec patience, obstiné avec fantaisie, économe avec générosité.
Etre vigneron, c’est savoir donner à l’amateur le meilleur de soi-même par le vin.
Etre amateur de vin, c’est savoir percevoir toute la passion du vigneron en dégustant son vin, avec ses proches et amis. »
Alors, si vous souhaitez mieux le connaître, il ne vous reste plus qu’à vous rendre chez votre libraire favori pour acheter Plus pur que de l'eau chez Fayard, 250 p., 18 €.
« Les individus n’ont pas la modestie de rester en symbiose avec la nature, avec leur environnement, avec la planète qui les a créés", déplore l’auteur. Il se souvient qu’à 6 ans, il observait son grand-père goûtant le vin de chacune de ses barriques dans un "geste presque liturgique", lent et précis. Ce récit d’une remarquable authenticité, infiniment français, écrit à la façon d’Henri Troyat, est aussi écologiquement correct que politiquement incorrect. A lire d’urgence pour se prémunir contre les ersatz de l’industrie viticole et les Cassandres du temps présent. »
Guyonne de Montjou Le Figaro
Pour l’éditeur
« C’est un domaine ordonné autour d’un cromlech multimillénaire que la famille de Jean Pierre Amoreau se transmet de père en fils depuis plusieurs siècles, sans qu’aucun d’entre eux n’ait même songé à perturber les équilibres naturels de la terre et de la vigne.
Jean Pierre Amoreau raconte sa vie comme la maturation d’un vin et son vin comme la trajectoire d’une vie. Il tire de la terre qui l’a vu naître une sagesse à la fois libre, humble et obstinée qu’il propose au lecteur de déguster avec lui, comme la promesse et la réalisation du bonheur authentique.
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Le 11 mars 2009, depuis son domaine situé sur «le coteau des Merveilles», en Dordogne, Jean-Pierre Amoreau constate dans la matinée l'arrivée massive de commandes provenant «principalement du Japon, mais également de Corée et des États-Unis». On entend par massive «une grosse centaine de mails, contre 5-6 par semaine d'habitude», se souvient-il.
Que se passe-t-il ? Pourquoi cette cuvée est-elle prise d'assaut ? Un coup de fil en quatre mots de son agent japonais répond à ses questions : «Les Gouttes de Dieu». Késaco ? Un manga à gros tirage consacré au vin, diffusé principalement au Japon, où s'écoule actuellement le 25e tome (la France découvre avec appétit le 15e depuis mercredi, par conséquent fans s'abstenir de lire la suite).
L'histoire est celle d'un célèbre œnologue qui à sa mort lègue 12 énigmes viticoles à ses deux fils. Le premier à en découvrir le sens hérite de la cave patriarcale et d'une mystérieuse treizième bouteille, «Les Gouttes de Dieu».