Au temps de ma Vendée crottée, quand venait l’automne, le matin, à la rosée, je descendais dans le pré qui dévalait vers la rivière pour cueillir des petits rosés, parfois je trouvais de belles coulemelles que mémé Marie faisait frire dans du beurre salé.
Les cèpes c’était petit Louis le boulanger, le père de mon pote Dominique, qui en ramenait des paniers entiers lors de ses tournées de pain.
Le sourcing, comme disent les as du marketing, pour les champignons est gage de survie.
Nous, en cas de doutes, on allait consulter le père de Denis le pharmacien qui ne prenait jamais aucun risque alors c’était à coup sûr : vénéneux !
De nous jours, comme la connaissance du terroir profond s’est évaporée faut que l’ANSES appelle à la vigilance les cueilleurs du dimanche :
Les autorités sanitaires appellent les amateurs de cueillette à la vigilance.
Les intoxications liées à la consommation de champignons sauvages ont «fortement augmenté» ces deux dernières semaines, avertit l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) dans un communiqué, qui appelle les amateurs de cueillette à être vigilants. Sur cette période, 493 cas d’intoxications ont été signalés aux centres antipoison, dont un cas grave confirmé mais aucun décès.
De juillet à début octobre, les centres antipoison avaient enregistré entre 4 et 90 cas par semaine. Ces quinze derniers jours, les conditions météorologiques, plus fraîches et humides, ont favorisé la pousse des champignons, et donc les intoxications.
Bien évidemment les chefs de cuisine font de la retape : Cèpes en majesté chez Table. Grillés à l’unilatéral, sabayon d’huile de graines de courges, lichen torréfié à TABLE.
Même moi je m’y mets avec mes pappardelles aux cèpes :
Mais revenons à ma lubie du jour : les champignons vénéneux dans la littérature
ACTE 1 :
« Du jour au lendemain, un plat de champignons me laissa seul au monde.
Seul, car j'avais volé huit sous dans le tiroir-caisse pour m'acheter des billes _ et mon père en courroux s'était écrié: Puisque tu as volé, tu seras privé de champignons !
Ces végétaux mortels, c'était le sourd-muet qui les avaient cueillis _ et ce soir-là, il y avait onze cadavres à la maison.
Qui n'a pas vu onze cadavres à la fois ne peut pas se faire une idée du nombre de cadavres que cela fait.
Il y en avait partout. [...]
Le jour de l'enterrement, derrière ces onze cercueils, que je suivais, la tête basse et les yeux secs, je me demandais si le fait d'avoir été miraculeusement épargné ne me donnait pas l'air un peu d'avoir assassiné tout ce monde _ cependant que, dans mon dos, l'on chuchotait : Savez-vous pourquoi le petit n'est pas mort?... Parce qu'il a volé!
Oui, j'étais vivant parce que j'avais volé. De là à en conclure que les autres étaient morts parce qu'ils étaient honnêtes... »
SACHA GUITRY - MEMOIRES D'UN TRICHEUR
Roman publié en 1935
ACTE 2 :
Scène 1 :
Marie de Saint-Drézéry, marquise de Bombon, vivait dans un grand loft de la place Fürstenberg, à quelques pas de Saint Germain-des-Prés, en compagnie de son chat dénommé Lénine, en souvenir du séjour de celui-ci, avec sa mère et sa sœur l'été 1909, dans le village briard de Bombon et de Tintin au Congo un mainate religieux qui jurait comme un charretier. Orpheline très jeune elle avait été élevée par un couple d’excentriques américains, grands amis du défunt marquis son père, amateurs d’art contemporain et de bonne chère. Pour être proche de la vérité Marie poussa telle une herbe folle, loin de l’école, baguenaudant dans le quartier où les habitués du Flore la laissaient picorer dans leur assiette et vider leur verre. Toute tachetée de son, le nez en trompette, de grands yeux vairons, des cheveux de foin, un long cou entre des épaules frêles et aucun goût pour se vêtir, lui avait valu le surnom de hérisson. De temps en temps elle faisait des extras au rayon charcuterie de Monoprix rien que pour le plaisir de voir passer les chalands et de s’empiffrer de Rosette de Lyon. Si ses clients avaient su que cet épouvantail à moineaux se trouvait être l’unique héritière de beaux châteaux à Bordeaux, rien que des Grands Crus Classés, sur que notre Marie aurait eu plus de succès. Elle s’en fichait d’avoir du succès. Jamais elle n’avait mis les pieds sur ce qui serait un jour ses propriétés car elle était allergique à tout ce que la campagne peut générer comme pollen ou autres trucs allergènes. Ses deux oncles et trois tantes, tous sans descendance, géraient dans une société en commandite simple son futur bien et lui versaient une rente qui suffisait à son bonheur.
20 juillet 2011
(1) « L’ouragan sur les Primeurs se prénomme Marie » : elle faisait des extras au rayon charcuterie de Monoprix
Scène 2 :
Le matin du 14 juillet, sous un petit soleil, Marie se levait de fort belle humeur. Avant de chausser ses tongs orange elle entreprit de peindre ses ongles de pied en bleu turquoise. La veille au soir sa tentative de reproduire le drapeau tricolore sur l’index, le majeur et l’annulaire de ses deux pieds avait viré au fiasco car le gros orteil gâchait l’effet qu’elle en espérait. Ce soudain esprit patriotique lui venait de la rencontre qu’elle venait de faire, rue du Bac, avec un kanak balaise habillé en militaire du Génie. Marie qui circulait sur son vieux Mercier « Raymond Poulidor » n’avait pu éviter le bougre d’homme qui surgissait de derrière une jeep stationnée dans le couloir de bus. Par bonheur elle circulait à une vitesse d’escargot car elle pensait à la paire de Doc Martens rose fluo qu’elle avait aperçu en vitrine du côté de Montorgueuil. Sa bécane valdinguait et elle se retrouvait dans les bras puissants d’un sosie de Christian Karembeu. Marie pensait « Merde chui pas Adriana ». Et pourtant, le beau légionnaire qui n’en était pas un, avant de la redéposer sur le macadam sollicitait son nom, prénom, pas sa qualité mais son numéro de téléphone portable. Ils iraient donc ensemble au bal du 14 juillet. Toute ragaillardie par cette soudaine irruption dans sa vie Marie filait jusqu’à la rue du Cherche-Midi où, chez Cotélac, elle faisait l’acquisition d’une gentille robe à pois rouge en crêpe georgette. Donc, allongée sur sa couette, en contemplant les poupées de coton qu’elle avait glissées entre ses doigts de pied, elle se disait que ça allait être vraiment une chouette journée. C’est à ce moment-là que son téléphone portable a grelotté et, sans même réfléchir, Marie a appuyé sur répondre ce que d’ordinaire elle ne faisait jamais. Bien sûr elle espérait que ce fut son beau militaire qui, si matinalement, de sa jeep, venait s’inquiéter de son bon éveil. Douche froide, c’était Me de Candolle le notaire de la famille. D’une voix d’outre-tombe, sitôt ses civilités débitées, il lui annonçait « Ils sont tous morts. »
21 juillet 2011
(2) « L’ouragan sur les Primeurs se prénomme Marie » Me de Candolle le notaire de la famille lui annonçait « Ils sont tous morts. »
Scène 3 :
Au fur et à mesure que maître de Candolle lui contait la triste fin de l’ensemble de sa seule parentèle vivante Marie se mordait les lèvres pour réprimer un cataclysmique fou-rire qui montait en elle. Pour faire diversion, s’empêcher de rire, elle cherchait dans sa mémoire le nom de l’auteur du Roman d’un tricheur dans lequel un type assis à la terrasse d'un café racontait comment son destin fut définitivement scellé lorsque, à l'âge de douze ans, parce qu'il avait volé dans le tiroir-caisse de l'épicerie familiale pour s'acheter des billes, il fut privé de dîner. Le soir même, toute sa famille mourrait empoisonnée en mangeant un plat de champignons. Elle s’exclamait « Sacha Guitry !
- Plaît-il ?
- Rien maître, c’est nerveux...
- Je vous comprends mademoiselle c’est un tel drame !
Le drame pour Marie se situait ailleurs : pouvait-elle décemment aller danser avec son beau militaire alors que cinq gisants, ses seuls parents, se retrouvaient dans les tiroirs d’une chambre froide de l’hôpital Bellan ? Ses neurones crépitaient, elle s’entendait dire « je suis alitée », ce qui était vrai. « Vous êtes souffrante mademoiselle ?
- Oui c’est le cœur.
22 juillet 2011
(3) « L’ouragan sur les Primeurs se prénomme Marie » pouvait-elle décemment aller danser alors que cinq gisants se retrouvaient dans une chambre froide de l’hôpital Bellan ?
Oui ce fut ainsi :
Du vingt juillet au vingt août, du vin au vin quoi, chaque jour à 8 heures pétantes, un paragraphe du format d’une carte-postale vous fera vivre la saga bordelaise de l’été : l’irruption de Marie de Saint-Drézéry, marquise de Bombon, jeune et riche héritière, improbable et déjantée, dans l’univers feutré des GCC. Tous les secrets, les hypocrisies, les coups montés et fourrés, les complots, les croche-pieds et les chausse-trappes, les vilenies, les bassesses, les appétits féroces, les rumeurs les plus viles, vous seront livrés en direct, sans fard.
Roman codé certes mais qui, sous la légèreté des mots, mettra à nu les pratiques d’un monde impitoyable. Triomphe de la vulgarité sur le style, la droiture et l’élégance, cette saga border line ne fera que confirmer que l’élite de l’argent, qui se veut une élite de l’esprit, n’est que vanité. Les vrais aristocrates de la taille d’un Luchino Visconti ne sont plus ; l’origine, ce lien entre l’histoire et la terre, le maître en parlait ainsi « Mon père m’avait enseigné que je ne pouvais revendiquer ni droit ni privilège par ma naissance. Ma noblesse je ne l’ai jamais étalée, jamais. Je n’ai jamais été éduqué dans la perspective de devenir un crétin d’aristocrate engraissé et amolli sur l’héritage de la famille » Aucune morale à cette histoire bien sûr rien qu’une invitation à revenir sur le plancher des vaches où les veaux sont trop bien gardés.
Si ça vous dit :
22 août 2011
L’Intégrale de la grande saga de l’été « L’Ouragan sur les Primeurs se prénomme Marie » et sa chute très prometteuse ICI
Cueillette de champignons: près de 500 cas d'intoxication en deux semaines
Les autorités sanitaires appellent les amateurs de cueillette à la vigilance. Les intoxications liées à la consommation de champignons sauvages ont "fortement augmenté" ces deux dernières sem...