J’ai découvert Séraphine au cinéma avec le film de Martin Provost sortie en salle le 1 octobre 2008 avec la géniale Yolande Moreau.
En 1912, le collectionneur allemand Wilhelm Uhde, premier acheteur de Picasso et découvreur du douanier Rousseau, loue un appartement à Senlis pour écrire et se reposer de sa vie parisienne. Il prend à son service une femme de ménage, Séraphine, 48 ans. Quelque temps plus tard, il remarque chez des notables locaux une petite toile peinte sur bois. Sa stupéfaction est grande d'apprendre que l'auteur n'est autre que Séraphine. S'instaure alors une relation poignante et inattendue entre le marchand d'art d'avant-garde et la femme de ménage visionnaire.
LE FILM «SÉRAPHINE» CONDAMNÉ POUR PLAGIAT
— 26 novembre 2010
Le producteur et le scénariste du film Séraphine, qui a décroché sept César en février 2009, ont été condamnés vendredi pour plagiat par le tribunal de grande instance de Paris. Ils avaient été assignés par Alain Vircondelet, un spécialiste reconnu de Séraphine Louis, peintre née en 1864 dans l’Oise et morte en 1942 dans un hôpital psychiatrique.
Celui-ci avait publié aux éditions Albin Michel une biographie intitulée Séraphine de Senlis. Ce docteur en histoire de l’art et son éditeur estimaient que de nombreux passages du scénario du film étaient «la reproduction servile ou quasi servile» de cet ouvrage publié en 1986, identifiant «35 emprunts».
Dans son jugement, le tribunal a relevé «neuf cas précis pour lesquels, outre la reprise d’éléments biographiques inventés par Vircondelet, on note une similitude dans la formulation employée, parfois au mot près, ce qui permet d’exclure la simple réminiscence derrière laquelle se retranchent les défendeurs». «En reproduisant neuf passages de cette oeuvre dans la première version du scénario du film Séraphine sans autorisation préalable, la société TS Productions et M. Martin Provost ont commis des actes de contrefaçon», a-t-elle jugé.
La justice les a condamnés solidairement à payer 25.000 euros à Vircondelet «en réparation de l’atteinte portée à son droit moral d’auteur», et 25.000 euros à Albin Michel «en réparation de l’atteinte à ses droits patrimoniaux». Ils devront également verser 6.000 euros à l’auteur et autant à son éditeur, au titre des frais de justice. Le tribunal a en outre ordonné la publication du jugement dans trois journaux ou magazines du choix des demandeurs, dans la limite de 3.500 euros HT par insertion, aux frais des producteur et scénariste.
Il a en revanche rejeté la mesure d’interdiction du film qui avait été sollicitée, car «seule une version du scénario est contrefaisante, et non le film». A l’audience du 14 octobre, le producteur et le scénariste du film avaient évoqué comme sources des «ouvrages antérieurs», notamment ceux de Jean-Pierre Foucher (1968) et Wilhelm Uhde (1949), le critique d’art qui découvrit Séraphine Louis. Cette domestique illuminée devenue peintre autodidacte est incarnée par Yolande Moreau dans le film. Sorti en salles en 2008, il avait obtenu l’année suivante sept César, dont celui du meilleur scénario original.
J’avais acheté le livre d’Alain Virondelet : Séraphine de la peinture à la folie
Je suis allé voir l’Exposition Séraphine, dite de Senlis au Musée Maillol-Fondation Dina Vierny, 1er octobre 2008-5 janvier 2009
Dans le film de Martin Provost, actuellement en salles, c’est Yolande Moreau qui prête sa voix à cette femme de ménage mystique à qui la Vierge demanda de lâcher le balai pour le pinceau. On peut voir les bouquets de marguerites peints par Séraphine, dite de Senlis, au Musée Maillol, dans le 7e. L’actrice s’y est rendue. Elle commente.
Le bouquet affiche une vilaine réputation. C'est le sujet des timides du pinceau, que l'on dit peintres du dimanche. Et pour les autres jours de la semaine, des vrais illuminés. Pourquoi donc des rinceaux de marguerites entremêlées ont-ils fait la réputation d'une femme de ménage ? D'une affolée de son art, comme aurait dit Artaud. Une photographie datant de 1924 nous la montre en robe noire, la main sur la palette, les yeux fermés et l'esprit dans les limbes. Si ses œuvres figurent aujourd'hui dans les musées, seuls quelques initiés connaissent l'étrange destin de Séraphine de Senlis – née à Arsy-sur-Oise en 1864, morte en asile en 1942 – et ses tableaux floraux, tous dédiés à la Vierge ou à Dieu.
C'est cette passion de la peinture et de l'extase que raconte l'exposition présentée au musée Maillol, et surtout le film de Martin Provost dans lequel une Yolande Moreau campe une Séraphine au destin extraordinaire. Pauvre, formée chez les sœurs, Séraphine Louis commence, à l'âge de 42 ans, à peindre en cachette ses premiers tableaux, cédant à la voix de la Vierge. Or, le hasard veut qu'elle se trouve placée comme femme de ménage chez le collectionneur allemand Wilhelm Uhde, à Senlis, qui défendit très tôt Picasso, Braque et, surtout, révéla la peinture dite naïve du Douanier Rousseau.
L'homme de l'art devient le mécène de l'obscure artiste, lui achète toile et matériel, et la protège, malgré la guerre ou l'exil. Un soutien qui cessera lorsque Uhde, appauvri par la crise économique, ne peut lui consacrer l'exposition promise : Séraphine perd la raison et est internée en 1931, jusqu'à sa mort. « C'est par la rencontre avec le marchand Uhde, dit Yolande Moreau, que Séraphine de Senlis fut reconnue parmi les peintres que l'on dit naïfs, ou primitifs. Je n'aime pas trop le mot “folie” à son propos. Aujourd'hui, on dirait qu'elle est une originale. C'est quelqu'un de mystique qui vit pour sa passion. Elle regarde la nature avec une sensibilité constante et peint parce que Dieu conduit sa main. Pour me rapprocher d'elle, je suis allée voir ses tableaux. On dirait des broderies ou des vitraux d'églises. Ses arbres de paradis sont sans racines et, à la fin de sa vie, ils sont un peu effrayants, avec des fleurs comme des yeux ou des cils. Avant le tournage, je me suis entraînée à peindre, avec les doigts, des tableaux de Séraphine. J'ai recopié ses bouquets de marguerites, ses grappes de feuilles roses ou ses grenades, des fruits d'or, qui affichent une grande maladresse, mais qui me touchent beaucoup. »
Le cas Séraphine
Séraphine était-elle folle ? Cette artiste autodidacte qui entendait des voix trouva un équilibre, une forme de thérapie dans la peinture. Internée en 1932, elle cessa de peindre et fut submergée par la folie.
Séraphine Louis a d'abord mené une vie misérable : une mère fille de ferme, un père ouvrier agricole, orpheline à 7 ans, bergère, puis bonne à tout faire. A 18 ans, en 1882, elle est engagée comme femme de ménage dans un couvent à Senlis. Elle y reste vingt ans. Très pieuse, mystique même - la messe quotidienne du petit matin ne parvient pas à étancher sa soif de Dieu -, elle est bientôt habitée par des « voix », notamment celles de son ange gardien et de la Vierge. Un jour de 1905 - elle a plus de 40 ans -, alors qu'elle prie dans une chapelle de Senlis, il lui aurait dit : « Mets-toi au dessin, Séraphine, peins pour la gloire de Dieu, c'est le désir formel de Marie. Je reviendrai pour te donner d'autres consignes. Marie elle-même t'apparaîtra pour te commander des toiles. » Avec ses modestes économies, elle se rend chez le marchand de couleurs et achète des tubes de peinture, des pinceaux et des pots de Ripolin. Elle s'enferme chez elle.
Louis Séraphine
Séraphine Louis (dite Séraphine de Senlis) (Arsy, 1864 - Villers-sous-Erquery, 1942)
Née dans un milieu rural du département de l’Oise, orpheline à l’âge de sept ans, Séraphine Louis est placée comme petite domestique dès l’âge de treize ans vers Paris. Recueillie par les sœurs du couvent de Saint-Joseph-de-Cluny à Senlis en 1882, elle aide aux besognes ménagères. Très pieuse, elle s’immerge dans la vie religieuse. Vingt ans plus tard, se voulant plus indépendante, elle exerce en tant que femme de chambre au service de la bourgeoisie dans les environs de Senlis. A la suite d’apparitions et de « voix », elle commence à peindre, à la « demande de son ange gardien », des natures-mortes de petit format, composées de fruits accrochés à un branchage. Elle s’emploie également à dessiner des fleurs, notamment des boutons d’or, sur des terres-cuites. Dans le secret de sa chambre de bonne, elle confectionne elle-même ses couleurs, fabrique ses propres mélanges en diluant ses agents colorants dans du Ripolin blanc.
Alors qu’elle travaille pour le critique d’art et collectionneur allemand Wilhelm Uhde dès 1912, celui-ci aperçoit une nature-morte chez des petits-bourgeois qui lui « fit une impression si extraordinaire » et se trouve fort étonné d’apprendre qu’il s’agit d’une œuvre peinte par sa femme de ménage. Fasciné par ses compositions, il encourage très vivement Séraphine Louis à continuer sa peinture et achète plusieurs de ses toiles. En 1927, alors qu’il revient à Senlis après la guerre, Wilhelm Uhde visite une exposition de peintres locaux à l’hôtel de ville de Senlis et s’enthousiasme à nouveau pour les œuvres de Séraphine Louis. Devenant son mécène, il lui fait livrer de grandes toiles, des couleurs et la soutient financièrement.
Choisissant désormais de très grands formats, elle peint à même le sol. Elle complexifie ses compositions, use de couleurs flamboyantes et lumineuses pour représenter une végétation tropicale et paradisiaque. Elle imagine des représentations exubérantes aux motifs récurrents de fleurs, fruits, plumes, œil, parvenant à rendre une nature luxuriante. Alors que Wilhelm Uhde écrit à son propos que « Le cœur sanctifié d’une servante se sentait la vocation de ressusciter le Sublime du Moyen-Âge et de créer des œuvres puissantes imprégnées d’esprit gothique », il organise à Paris l’exposition « Les peintres du Cœur sacré » où les œuvres de Séraphine Louis sont exposées à côté de celles d’autres artistes autodidactes tels le Douanier Rousseau ou Louis Vivin.
Comme Séraphine Louis multiplie les dépenses excessives et dilapide tout son argent, le collectionneur, qui rencontre des problèmes financiers, à la suite de la crise économique, ne peut plus lui venir en aide dès 1930. Sujette à de forts délires paranoïaques, la peintre sombre peu à peu dans la folie. Le 31 janvier 1932, Séraphine est internée à l’hôpital psychiatrique de Clermont-de-l’Oise, à la suite d’une crise. Alors que son œuvre est célébrée à Paris lors de l’exposition « Les primitifs modernes », elle cesse de peindre et s’éteint doucement dix ans plus tard.