Au temps préhistorique, 2006, de mes premiers pas de blogueur, afin de mettre au parfum mes nouveaux abonnés j’avais pondu 3 chroniques dans le genre d’où viens-tu, qu’as-tu fait de ta vie ? Elles couvraient la période 1948-1986…
Je vous les livre brutes de décoffrage.
Ça évitera à l’ami PAX d’aller piocher tout au fond des archives de mon blog.
17 mars 2006
CV sans photo
À l'attention de ceux qui me lisent sans savoir d'où je sors...
Je suis né le 12 juillet 1948 à la Mothe-Achard un gros bourg du bocage vendéen, le bas bocage tout proche de la mer. Mon grand-père paternel était éleveur de grands boeufs blancs charollais, le maternel marchand de tissu et épicier. Mon père était entrepreneur de travaux agricoles et ma mère couturière. Petit dernier arrivé bien après un grand-frère, né en 39, et une grande soeur, née en 42, nous vivions en cohabitation avec mes grands-parents paternels. Je suis allé à l'école maternelle sous la férule douce des petites sœurs de Mormaison, puis pour le primaire chez les frères du bienheureux Louis Grignon de Montfort ensuite j'ai migré à 500 mètres de la maison à l'école d'agriculture ND de la forêt jusqu'à mon premier bac, enfin j'ai fait ma philo à l'Institution Amiral Merveilleux du Vignaux des Sables d'Olonne.
En 1965, j'ai émigré très loin à la ville, à Nantes à la Faculté de Droit sur les conseils du bon abbé Blanchet qui, à l'instar de son neveu Michel Albert, voulait faire de moi un énarque. Je n'ai pas fait l'ENA mais mai 68, désolé ! J'étais un étudiant salarié puisque je professais à l'école d'agriculture de la Roche s/Yon. Une thèse de 3ièm Cycle sous la direction d'Yves Prats, le frère de Bruno de Cos d'Estournel, sur les interventions de l'Etat sur la filière porc. Je dois vous avouer que ça les défrisaient un peu les universitaires de se colleter au monde réel mais moi j'avais envie de garder un pied dans mes origines.
Deux années de VSNA à Constantine, de 74 à 75, maître-assistant à l'Université Aïn El Bey construite par Oscar Niemeyer, la dictature de Boumediene, le fiasco des conseillers français du régime, déjà la montée des islamistes, une grande vitalité surtout chez les jeunes femmes, un grand gachis de potentialités et de richesses. Balades dans les Aurès, Ghardaïa et le grand sud dans ma petite R4. Retour au pays en 1975, recherche d'emploi, embauche comme contractuel par un jeune et sémillant Inspecteur des Finances, Bernard Auberger, à la Direction de la Production, des Marchés et des Echanges Extérieurs du Ministère de l'Agriculture. Petit salaire : 3000 F/mois mais une première expérience du terrain en liaison directe avec ceux qui bâtissaient le Marché Commun.
En effet, Christian Bonnet étant Ministre de l'Agriculture, le cabinet m'envoya ausculter la Bretagne avicole profonde. Pendant plus de 6 mois je sillonnai les 4 départements : accouveurs, éleveurs, industriels de l'aliment intégrateurs les Guyomar, Sanders Co, les marchands de poulets, de dindes et autres volatiles les Doux, Tilly Co, les marchands d'oeufs... etc. J'observais, ayant déjà une bonne connaissance via ma thèse sur le cochon, la montée en puissance d'une Bretagne industrieuse, dure, productiviste mais avait-elle d'autres choix, je pondais des notes et pressentais que la machine à faire du poulet export, congelé, gorgé de flotte, expédié dans les pays du Golfe à grand coup de restitution était une machine infernale. Enfin, je constatais que nos petites bestioles consommaient du soja et des PSC importés alors que nos céréales étaient bradées vers l'Empire Soviétique avec le soutien des restitutions. La machine européenne commençait de s'emballer mais en France personne n'osait se risquer à critiquer une mécanique qui rapportait gros au Trésor...
21 mars 2006
Encore un bout de ma vie
1976 : la grande sécheresse, et me voici dans une soupente de la rue Barbet de Jouy, en compagnie d'un jeune et sémillant garçon frais émoulu de l'ENSAE, ce cher Claude qui, lui, savait faire fonctionner un ordinateur : un Wang, chargé par notre directeur de faire des propositions au cabinet pour indemniser les agriculteurs. Un grand moment je vous assure. Deux petits contractuels face aux ingénieurs du GREF et aux politiques, ça valait le déplacement. Mon premier souvenir de la salle à manger de l'hôtel du Ministre où se tenait les réunions. Peut-être qu'un jour je vous raconterai ces jours de canicule...
Ensuite, le directeur me demandait de plancher sur une importante question : faut-il, face à la surproduction, instituer des quotas pour le lait et pour le vin ?
Ma réponse : oui pour le lait, non pour le vin, le rapport a jauni et il fallut attendre 1983 et Michel Rocard Ministre de l'Agriculture pour que la PAC instaure des quotas laitiers. Pour le vin je vous raconterai les accords de Dublin. Je commençais à m'ennuyer. En 1978, pendant mes week-end je suis « monsieur vin du Loir et Cher » et si vous ne me croyez pas demandez au président Coutoux. Ce premier contact de terrain m'amène à postuler à l'Office National des Vins de Table où je deviens le SG. Je découvre les grands chefs : Antoine Verdale, Marcelin Courret, Raymond Chandou et ceux qui sont encore là, PML le directeur, bordelais de Caudéran, qui écrit un rapport sur la chaptalisation, je gratte les PV des conseils : entre opéra bouffe et grand guignol. À cette époque avec Boulet de l'INRA nous lançons la première et grande étude sur la consommation dans l'indifférence générale. J'apprends dans mon petit coin.
1981, les chars russes n'arrivent pas jusqu'à la Place de la Concorde ce qui me permet, déjà à vélo, de traverser la Seine pour me rendre au début du mois de juin jusqu'à l'hôtel de Lassay, résidence du Président de l'Assemblée Nationale, puisque je viens d'être nommé Conseiller Technique au cabinet du Président pour suivre la Commission de la Production et des Echanges. La buvette, les séances de nuit, les macarons, Guy Carcassonne, Philippe Valla, Frédéric Saint Geours, la cave de l'hôtel de Lassay, la salle Colbert, ça chahute dur dans l'hémicycle. Je côtoie les élus, les grands patrons : Georges Besse, Jean Gandois... des syndicalistes : Krasucki, Maire. Je continue de faire ma petite pelote...
4 mars 2006
Le bras droit du Ministre
Pour ceux qui débarquent sur ce blog cette chronique est la suite de CV sans photo et Encore un bout de ma vie...
En 1983, au grand tournant du réalisme, Rocard est sorti de son placard du Plan pour occuper le 78 rue de Varenne : il faut mettre de l'huile dans les rouages entre le pouvoir et la grande maison FNSEA, exit Edith et ses pulls mohair. A la tête du cabinet le rond Huchon que j'ai croisé à l'ONIVIT, il était chef du bureau agricole du Budget (avant lui Emmanuel Rodocanachi, après lui Daniel Bouton, l'agriculture attirait les énarques du top 10). Les dorures de l'Hôtel de Lassay me pèsent et lorsque Huchon me demande de rejoindre l'équipe Rocard pour être le conseiller technique en charge des productions végétales, plus particulièrement le vin et les fruits et légumes, je n'hésite pas, c'est oui.
Et pourtant ça chauffe, nous sommes dans la phase ultime des négociations d'élargissement de l'Europe à l'Espagne et au Portugal et bien sûr les deux produits sont au coeur du compromis. Sur le vin la vieille garde professionnelle (y’a des jeunes de cette période qui sont déjà vieux et qui aujourd'hui sévissent encore) ressort les vieilles lunes des quantum. Avec l'équipe de la Direction de la Production / André Lachaux, Jean Nestor, Yves Van Haecke nous proposons d'en finir avec la machinerie infernale des aides qui favorisent ceux qui surproduisent pour la chaudière. Nous déposons un mémorandum à la Commission. Les démagogues de tous poils braillent.
Dans les colonnes du Midi-Libre, Laurent Thieule, s'en donne à coeur joie (des pages spéciales, le débat est ouvert, ce n'est pas comme aujourd'hui où le ML ne donne la parole qu'à ceux qui entonnent le même refrain). Il m'a baptisé le « bras droit du Ministre » et, à chaque fois que l'occasion se présente sur le terrain, je vais aux charbons face à la base. À Bruxelles nous ferraillons avec nos collègues italiens, nous avons la main. Des souvenirs toujours : la salle de presse au petit matin pour le débriefe, avec en particulier Françoise Laborde la Gersoise qui pige pour les Echos (elle présente le Journal de la 2 maintenant), les passes d'armes entre Roland Dumas et Giulio Andreotti au Conseil Affaires Générales, les petits restos italiens, les séances Ministres seuls, le Conseiller du Président silencieux...
Deux belles années galerie Sully à souquer ferme, les accords de Dublin, les matches de foot du WE de la Pentecôte en Normandie, la démission de Rocard en pleine nuit sur la question de l'introduction de la proportionnelle, j'ai envie de changer d'air. Le temps me semble venu de sauter le pas, de me mettre les mains dans un autre cambouis : celui de l'entreprise. Comme je ne suis ni haut, ni fonctionnaire, le pantouflage n'est pas pour moi.
Ma décision est prise... J'allais me colleter à la réalité du commerce du vin, je partais à la Société des Vins de France qui, à l'époque, était la première entreprise généraliste en vins, elle était une filiale du groupe Pernod-Ricard.