Depuis ma gamelle à vélo et mon séjour à Cochin je suis abonné au Quotidien du Médecin qui, cet été, pour délasser nos neurones, publie chaque jour une petite chronique sur des écrivains aussi médecin.
Le 8 août c’est Rabelais était médecin... aussi
L’humaniste Dr Rabelais par Adrien Renaud
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Au diable le copyright, l’important c’est d’être lu par des non-médecins buveurs de vin.
Des repas gargantuesques aux guerres picrocholines en passant par la dive bouteille, la langue de François Rabelais (1494 (?) -1553) irrigue encore la nôtre. Sa pratique médicale a eu une postérité moindre, mais elle est tout aussi empreinte de l’humanisme dans lequel baignait l’auteur de Gargantua. Pendant l’été, « le Quotidien » donne un coup de projecteur sur d’illustres personnages dont on a (parfois) oublié qu’ils étaient médecins aussi.
« Buveurs très illustres, et vous vérolés très précieux, car c'est à vous, non aux autres, que je dédie mes écrits. » Tels sont les premiers mots du célèbre prologue de Gargantua, publié par François Rabelais en 1534. Si l’auteur y mentionne la maladie la plus sulfureuse de l’époque, c’est bien sûr pour affirmer le côté truculent des pages qui vont suivre. Mais il faut probablement aussi voir dans cette évocation une forme de déformation professionnelle : au moment où il écrivait ce que l’on considère généralement comme son chef-d’œuvre, Rabelais exerçait en effet la profession de médecin.
Celui qui allait devenir l’auteur emblématique de la Renaissance française était entré à la faculté de médecine de Montpellier en 1530, à un âge déjà fort respectable : des querelles d’experts se poursuivent encore aujourd’hui pour déterminer la date de naissance de Rabelais, mais dans toutes les hypothèses, il avait lors de son inscription à Montpellier au moins 36 ans.
Le carabin n’avait donc rien d’un jouvenceau. C’était au contraire un savant bien ancré dans l’humanisme de son temps, qui avait déjà eu le temps d’étudier le droit, le latin, le grec, la théologie… Cette quête de savoir ne pouvait manquer de s’élargir à la médecine qui, comme le précise l’un de ses biographes Gilles Henry*, « fait partie du domaine de la "philosophie" sur laquelle travaillent les humanistes ». D’ailleurs, à peine arrivé à Montpellier, Rabelais passe du statut d’étudiant à celui de professeur, et donne rapidement des cours.
Hippocrate mon amour
Après avoir déménagé à Lyon au printemps 1532, Rabelais s’attache à moderniser la science médicale, ce qui pour un humaniste signifie revenir à la pureté des textes anciens. Il publie donc avec l’éditeur Sébastien Gryphe des ouvrages destinés à propager ses propres vues. On y dénombre notamment quatre volumes d’Hippocrate et un de Galien, tous annotés par le futur père de Gargantua. Ses activités éditoriales renforcent sa réputation d’érudit et l’aident à être nommé dès le mois de novembre médecin à l’Hôtel-Dieu.
Il faut alors s’imaginer le bon Dr Rabelais s’affairant pendant sa visite quotidienne auprès des 120 malades dont il a alors la responsabilité, qui se serrent à deux ou trois dans le même lit. Il semblerait que ses méthodes soient efficaces. « Une statistique – établie postérieurement – montre que pendant son séjour, la mortalité à l’Hôtel-Dieu baisse de 2 à 3 % », note Gilles Henry.
L’irruption d’Alcofibras Nasier
Hélas, que peuvent la médecine et les malades face à l’attrait des lettres ?
L’année même où il est nommé à l’Hôtel-Dieu, un certain Alcofibras Nasier (anagramme de François Rabelais) fait paraître à Lyon Les horribles et épouvantables faits et prouesses du très renommé Pantagruel. Certes, l’auteur poursuivra son cursus jusqu’à obtenir son doctorat en médecine en 1537.
Certes, il continuera à enseigner, pratiquant notamment une mémorable dissection sur le cadavre d’un pendu, pratique encore rare à l’époque. Mais c’est bien sûr son œuvre littéraire qui l’occupera avant tout pour le restant de ses jours. Il faut dire que celle-ci sera compliquée par d’incessants jeux de cache-cache avec la censure, ce qui ne lui aurait de toute façon laissé que peu de temps pour ses pauvres malades…
* Gilles Henry, Rabelais, Perrin, 1988