Sur les réseaux sociaux, sous des formes les plus diverses, sous le manteau de l’ironie, d’un humour que l’on ripoline au second degré, on médit, on clabaude, on dit du mal…
Ayant habité le département de l’Oise, et ayant vécu de près les mœurs politiques des élus de ce département, je n’éprouve guère de sympathie pour Éric Woerth, mais l’épisode de sa photo faisant de l'alpinisme près de Chamonix est emblématique de cette explosion exponentielle de la médisance.
On y voit l'actuel député de la 4e circonscription de l'Oise encordé, crampons aux pieds et piolet à la main, en train de gravir une pente raide. Un autre post sur son compte explique qu'il s'agit du glacier du milieu dans l'aiguille d'Argentière.
«Glacier du milieu à l'aiguille d'Argentière. toujours sur les pointes avant», écrit le député.
Sitôt les réseaux sociaux s’enflamment pour analyser l’image centimètre par centimètre.
2 détails soulèvent des soupçons:
- une lanière du sac à dos, qui planait sous un angle incorrect,
- et deux individus marchant en bas de l’image.
Tout cela amenant les utilisateurs à la conclusion que Woerth était en fait allongé dans la neige sur l’image, et non en train de gravir le sommet.
Faux !
Jean-Franck Charlet, le guide qui accompagnait assure que la photo est à « 100 % réelle ». Il reconnaît tout de même que « la pente de 45 degrés apparaît un peu plus raide qu'elle n'est en réalité ».
Que les internautes donnent libre cours à leur imagination en créant des trucages ironiques passe encore mais que la presse dite sérieuse s’en empare et en fasse une information dans la foulée c’est une dérive grave. Plus personne ne vérifie, on galope derrière le buzz, Woerth à « une sale gueule » alors feu à volonté.
Ce n’est pas une fausse information, c’est une nouvelle forme de médisance.
Détester ensemble
Médire crée du lien social. Comme les primates s’épouillent, l’homme moderne cancane. « Détester ensemble forge des liens plus forts que de partager du positif »
« Il est vrai que l'on s'unit plus facilement dans la haine de l'autre, rappelle Samuel Lepastier. Rappelons que l'ennemi commun a toujours rapproché. Avoir un bouc émissaire, c'est charger quelqu'un de toutes ses fautes en étant persuadé d'être du bon côté. »
Se rassurer sur sa normalité
Pourquoi tant de haine ? « Frustration, colère, jalousie… toutes les raisons qui expliquent les comportements agressifs »
La médisance est un sport risqué : d’habileté sociale, elle peut vite faire mauvais genre… et devenir un motif de mise à l’écart. Dangereuse, elle l’est aussi, bien sûr, pour celui qui en est la victime. « Il s’agit bien d’une volonté de détruire, même si c’est symbolique »
Le "bashing", sport national
A l'échelle de la société, le "bashing" est d'ailleurs devenu un sport national. Les journaux n'aiment rien tant que brûler leurs idoles. Les réseaux sociaux offrent, par leur anonymat et leur instantanéité, une plate-forme idéale aux persifleurs de tout poil.
Je ne vais pas jouer au monsieur qui n’a jamais médit, mais je ne pratique pas ce sport national sur les réseaux sociaux.
Médire, baver, dénigrer... que celui qui n'a jamais jasé sur un collègue autour d'un plateau-repas à la cantoche d'entreprise ou sur une belle-sœur à l'heure du petit déjeuner lève la main. Au travail, mais aussi en famille ou entre amis, on a toujours une bonne occasion de déverser son fiel sur quelqu'un, en particulier hors de sa présence, puisque, c'est bien connu, les absents ont toujours tort.
Que celui dont la langue n’a jamais persiflé jette la première pierre…
Clabauder
« Mais la nouvelle qui fit le plus clabauder le salon jaune, fut celle de la démission du sous-préfet. »
Zola, La Fortune des Rougon, 1871, p. 103)
La médisance, la calomnie, les insinuations, le mensonge, il y a des bougres qui vivent là-dedans comme le poisson dans l'eau
Duhamel, Combat ombres, 1939, p.230
(...) les gens qui réussissent ont des jaloux, des envieux! Ah! vous saurez cela bientôt, jeune homme, dit-il à Grindot ; s'ils nous calomnient, ne leur donnez pas au moins lieu de médire. − Ni la calomnie, ni la médisance ne peuvent vous atteindre, dit Lourdois, vous êtes dans une position hors ligne...
Balzac, César Birotteau, 1837, p.161.