Avec un titre de cet acabit a-t-il encore toute sa tête ?
Bonne question !
La réponse est oui.
- La conversion de Paul Claudel au catholicisme s’est produite le 25 décembre 1886 en la cathédrale Notre Dame de Paris. ICI
« En un instant, mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d’une telle force d’adhésion, d’un tel soulèvement de tout mon être, d’une conviction si puissante, d’une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d’une vie agitée, n’ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J’avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l’innocence, de l’éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable. »
- J’ai bien croisé Pierre Lamalattie sur un trottoir de Paris.
Je n’attendais pas Godot, je faisais le pied de grue sur un trottoir lorsque je vis apparaître, s’appuyant sur une canne de dandy Pierre Lamalattie. Allait-il me reconnaître ? Mon ego allait être soumis à une minute de vérité. Je plantai mon regard dans le sien mais il parut indifférent à mon insistance, puis après avoir parcouru quelques mètres il se retourna, hésita, revint vers moi.
Nous nous saluâmes, nous engageâmes la conversation, j’étais en forme alors je fis dans l’ironie : « Alors vous chroniquez toujours dans Causeur ? » Et puis de fil en aiguille Pierre Lamalattie en vint à me parler de la restauration de Notre-Dame de Paris. Conservateur, ce cher homme, ça tombait bien moi aussi.
Mon sang de chroniqueur n’a fait qu’un tour : et si je lui demandais un papier ? Je me retins, trop de hâte pouvait tuer dans l’œuf mon projet. Homme d’écrit je lui ferais une demande écrite. Ce que je fis et il répondit oui.
Mais qui est Pierre Lamalattie ?
Tout commence par une enveloppe, adresse manuscrite, déposée dans mon casier rue de Vaugirard, l’annexe du Ministère de l’Agriculture où séjournent les vieux « hauts serviteurs » de l’Etat – le gagatorium en langue ordinaire. Le courrier électronique m’a tué devrait être le nouveau slogan de la Poste, je passe donc très rarement dans le local prévu pour cette antiquité.
Intrigué par la tronche de cette lettre, qui n’a rien d’administrative, je la décachette avec fébrilité.
Nouvel étonnement, le feuillet est manuscrit, à la plume et à l’encre bleue, à la manière d’une ordonnance médicale. Il me faut décrypter.
Mon correspondant m’indique en entame qu’il est tombé par hasard sur internet sur des sites faisant état de mon activité dans le domaine du vin avant d’indiquer que cela lui a rappelé de … (je ne décrypte pas) moments rue de Varenne.
Je fronce les sourcils, le patronyme de l’auteur de la lettre, qui n’est pas son patronyme d’auteur, me dit quelque chose mais, en dépit d’une plongée dans ma mémoire, je ne le resitue pas.
Est joint à la lettre un carton d’invitation pour le 1ier octobre dès 19 heures à une rencontre-dédicace à la librairie L’Écume des Pages à l’occasion de la parution de son second roman. « Précipitation en milieu acide »
La suite de ma chronique du 22 octobre 2013
« Les bouteilles de bordeaux ont les fesses tristes je préfère les bouteilles de bourgogne. C’est sensuel. C’est doux, ça s’arrondit, ça s’évase, ça se développe. » Pierre Lamalattie
Après les flammes, l’inculture ?
L’incompréhension persistante à l’encontre du XIX e siècle et de Viollet-le-Duc pourrait mettre en danger la restauration de Notre-Dame.
Le 15 mars dernier, le monde apprend avec stupeur l’incendie qui ravage Notre-Dame de Paris. Alors que les flammes se propagent s’impose une évidence : restaurer la cathédrale. Une évidence, certes, mais qui très vite part dans tous les sens. Fleurissent, en effet, des opinions et des projets extraordinairement variés, contradictoires et parfois saugrenus.
On peut les classer grosso modo en trois grandes catégories. Il y a d’abord ceux qui souhaitent profiter de la situation pour donner au bâtiment un visage plus contemporain. C’est le cas, semble-t-il, du président de la République qui appelle à reconstruire la cathédrale « plus belle encore », suivi de son ministre de la Culture ouvrant un concours « aux meilleurs talents de la planète » pour y envisager « un geste architectural ». Évidemment, un certain nombre d’agences d’architecture leur emboîtent le pas. Les propositions de toits transparents et autres parcours de sensibilisation écologique se multiplient.
Il y a, en deuxième lieu, ceux qui militent pour une « dérestauration », c’est-à-dire pour en revenir à un état nettement antérieur, apparemment plus fruste, mais jugé plus authentique. La dérestauration a déjà sévi sur des monuments importants en France. C’est notamment le cas de la basilique Saint-Sernin, à Toulouse, dont la nef a été désastreusement ramenée à son état de grange primitive. Se rattache à ce courant Jacques Attali qui préconise un retour à la période sans flèche, au motif que la vocation véritable d’une flèche est de porter une horloge et qu’à l’âge où on regarde l’heure sur son smartphone, ce ne serait pas un choix « moderne ».
Enfin, un troisième parti réunit ceux qui exigent une restauration à l’identique, à la réserve près d’une adaptation possible des matériaux.
C’est l’opinion majoritaire des conservateurs et des historiens de l’art.
C’est aussi ce que commande sans ambiguïté la Charte de Venise (art. 11), traité international adopté par la France. C’est, en ce qui me concerne, la perspective que je soutiens. Le ralliement tardif, mais bien réel, de nombreux hommes politiques (notamment la maire de Paris, Anne Hidalgo) renforce cette hypothèse. Cependant, rien n’est encore officiellement décidé.
On pourrait penser que ce foisonnement d’idées reflète un débat particulièrement riche et créatif dont il faudrait se féliciter. Ce serait probablement être trop optimiste. D’abord, comment ne pas avoir froid dans le dos quand on constate que tant de gens, et parmi les plus éminents, se réjouiraient d’une restauration loufoque, voire tocarde.
Ensuite, et c’est là le plus grave, on a le sentiment qu’un grand nombre de relais d’opinion et de décideurs pâtissent d’une inculture persistante en ce qui concerne le XIXe siècle, période déterminante pour le bâtiment.
En effet, à la lumière de ce qui s’est dit ou écrit, on a l’impression que presque tout le monde tient fermement à admirer cette cathédrale en tant qu’œuvre du XIIIe. On s’enthousiasme pour la charpente, ignorée jusque-là, mais révélée à titre posthume. Pensez ! des chênes coupés il y a huit siècles et peut-être plantés au temps de Charlemagne ! La flèche est généralement le seul élément du XIX e qui soit identifié. On y fustige une inopportune excroissance du mauvais goût de nos aïeux, un médiocre pastiche à oublier. Notons cependant que cette vision partagée jusqu’au sommet de l’État est surtout le fait de ce que j’appellerais (par facilité) les « élites ». La population, quant à elle, manifeste un attachement de cœur très émouvant à sa cathédrale. Elle n’imagine même pas qu’on pourrait « lui » construire autre chose à la place.
La première chose à dire est que voir dans Notre-Dame seulement un héritage du XIIIe siècle est une erreur totale. Elle est à la fois une cathédrale médiévale et une cathédrale du XIX e siècle. L’apport de Viollet-le-Duc (et de Lassus) est beaucoup plus important qu’on ne le croit généralement et d’une très grande qualité artistique. Au début du XIXe, Notre-Dame est, en effet, tout sauf séduisante. La Révolution a ravagé à peu près toutes les statues, n’épargnant que des reliefs de petite taille. Ceci s’ajoute à des pertes considérables sous l’Ancien Régime : suppression de vitraux, dépose du clocher, percement du porche central pour permettre les processions, bouchage ou transformation de fenêtres, etc. Le Moyen Âge lui-même a laissé, comme souvent, un monument dramatiquement inachevé. Les tours robustes, calibrées pour porter des flèches qui auraient doublé la hauteur totale, paraissent très massives dans leur état inabouti. Les arcs-boutants s’appuient sur des maçonneries grossières. En fin de compte, les contemporains perçoivent la cathédrale comme une grosse grange assez moche. On ne peut pas leur donner tout à fait tort. Il est même envisagé de la détruire. Cependant, dans une période d’affirmation du sentiment national, le XIX e voit dans le gothique un art spécifiquement français, car porté à son plus haut niveau avant l’influence italienne. Victor Hugo publie son roman qui sensibilise la population. Trois régimes se succèdent de 1845 à 1864 pour soutenir la restauration confiée à Viollet-le-Duc. Contrairement à ceux de notre temps qui s’en remettent à un pilotage unilatéral par l’exécutif (par ordonnances), les parlements de l’époque discutent de près les propositions de l’architecte.
Viollet-le-Duc produit un programme complet de sculptures et gargouilles qu’il dessine et contrôle lui-même. Il recrée une bonne part du trésor. Il restitue des fenêtres hautes et les nombreux vitraux manquants (en partie remplacés par des verreries cubistes jugées « plus gaies » durant la période Malraux). Il orne le faîtage d’une dentelle métallique. Il magnifie les arcs-boutants avec d’importants pinacles qui ceinturent la cathédrale, la rendant particulièrement élégante vue de côté ou de derrière (chevet).
Il érige aussi et surtout une nouvelle flèche en bois (protégée par du minium et du plomb) qui tire profit de l’expérience de celles de Rouen (d’Alavoine, en fonte) et de la Sainte-Chapelle (de Lassus, en bois).
Mûrement réfléchie, la flèche de Notre-Dame bénéficie d’un dessin particulièrement équilibré. Elle fait écho à la quarantaine de petites flèches et de pinacles en les fédérant en une même élévation d’ensemble. Elle allège dans la foulée la lourdeur des tours inachevées.
C’est dire combien elle a un rôle clé dans la cohérence générale du bâtiment.
Viollet-le-Duc n’est nullement un catholique fervent. Franc-maçon et opposé au parti dévot, il est avant tout un artiste. Il s’inscrit dans la continuité des maîtres maçons du Moyen Âge. Il conçoit sa cathédrale comme une sorte de demeure spirituelle du peuple de Paris. Le bestiaire qu’il déploie n’est pas étranger à l’idée grouillante et magnifique qu’il s’en fait. Ajoutons, pour ceux qui s’imaginent le bâtiment sans signataire et fruit d’une autogestion populaire fantasmée : il place sa statue contre la flèche avec la dédicace à double sens : « Au Grand Architecte de l’Univers ».
Viollet-le-Duc a un profil original. Il ne passe pas par la case Beaux-Arts, viatique prestigieux et presque indispensable pour un architecte de cette époque. Il se forme en autodidacte en parcourant la France et en dessinant des églises, des châteaux et toutes sortes de bâtiments remarquables. Il est avant tout un merveilleux dessinateur. À force de familiarité avec le gothique, il accède à une compréhension en profondeur de cet art. Il l’intériorise au point de dépasser le stade de la simple copie et de devenir lui-même un créateur gothique (ou néogothique) à fois original et inscrit dans une solide filiation. Il écrit même des ouvrages ayant valeur de théorie a posteriori.
Viollet-le-Duc n’est pas qu’un restaurateur, il est aussi un immense architecte, exempt de toute nostalgie et à l’avant-garde de son époque. Avec la référence gothique, il installe en France une culture décalée qui bouscule les conceptions académiques marquées par l’héritage classique. Il s’oppose à l’urbanisme répétitif du préfet Haussmann et préconise davantage de liberté, notamment grâce à l’usage de la brique, du métal et de la céramique. Ses décors, en particulier ses polychromies, riches en linéaments et en formes stylisées, influencent l’art nouveau ainsi que Gaudí. Enfin, dans un registre presque inverse, il aime que l’architecture s’exprime sans mensonges en montrant sa structure. On comprend bien cette idée en regardant, par exemple, les arcs-boutants du chevet de Notre-Dame qui visualisent des poussées, comme c’est le cas pour divers bâtiments conçus par cet architecte. Ce souci de cohésion entre l’apparence et la structure fait de lui une des racines du rationalisme.
Pourquoi donc envisager de détruire l’œuvre majeure d’un des plus grands architectes français ? Pourquoi s’affranchir de la Charte de Venise, traité international qui commande clairement une reconstruction à l’identique, laissant seulement une marge d’appréciation pour les matériaux ? Pourquoi aller à l’encontre du sentiment populaire et de l’élan des donateurs ?
La réponse est évidente comme la poutre qu’on ne voit pas dans son œil. La modernité, durant tout le XXe siècle, s’est appliquée à dénigrer et occulter les apports du siècle précédent, à l’exception des artistes éligibles au titre de précurseurs. Il fallait que les mouvements nouveaux se justifient et trouvent leur place. À force, il en a cependant résulté un mélange persistant d’inculture et de préjugés à l’encontre de l’art du XIXe.
Cela concerne particulièrement les « élites », justement en raison de leur sensibilisation plus poussée à l’art moderne. Toutefois, la modernité a eu lieu. Elle n’est pas menacée. Elle a ses musées et ses beaux livres. Elle n’a plus besoin d’être justifiée ni défendue. Elle ne requiert pas une mise à l’index des artistes relevant d’autres options. Nombreux sont ceux qui invoquent la Querelle des Anciens et des Modernes pour demander un « geste architectural » se substituant à l’œuvre de Viollet-le-Duc. C’est un contresens total, car les Modernes n’ont jamais voulu faire disparaître quoi que ce soit, mais seulement créer eux-mêmes sans entraves. Certains prétendent que, si Viollet-le-Duc a pris des libertés, nous pouvons en prendre à notre tour et même davantage. L’argument se retourne complètement : c’est justement parce qu’il a usé de libertés qu’il a réalisé une œuvre artistique véritable et que nous devons la conserver.
On saisit facilement l’intérêt de bibliothèques où trouver des livres de toutes époques, et spécialement des auteurs qui ne pensent pas comme nous. Détruire des livres ou les occulter, ce n’est pas bien ! Tout le monde comprend cela. Eh bien ! en art, ce devrait être la même chose : rien n’est plus utile que de conserver les œuvres d’autres périodes. Elles nous procurent du plaisir, mais surtout, elles apportent un matériau à notre sensibilité et à notre réflexion. La conservation ne limite pas la création, elle la nourrit.
Restaurons donc Notre-Dame conformément à la Charte de Venise et progressons un peu dans la compréhension de nos héritages du XIXe !
Merci à Pierre Lamalattie...
Notre-Dame : ils ont dit…
Emmanuel Macron : « Nous rebâtirons la cathédrale plus belle encore. »
Benjamin Grivaux (candidat LaRem à la Mairie de Paris) : « On va la rebâtir pierre par pierre, poutre par poutre, ardoise par ardoise* ! »
Christophe Castaner (ministre de l’Intérieur) : « Ce que je sais, c’est que Notre-Dame de Paris n’est pas une cathédrale, c’est notre rassemblement, c’est notre force, c’est notre histoire. »
Audrey Azoulay (directrice générale de l’UNESCO) : « La cathédrale est considérée comme le plus bel exemple de l’architecture gothique française, avec une utilisation novatrice de la voûte en côte et des contreforts, des rosaces en verre teinté et des décorations sculpturales. La construction de l’église a commencé en 1160 et s’est poursuivie pendant un siècle**. »
Mme Cathy Racon-Bouzon (députée LaRem, membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation) : « En 1864***, Eugène Viollet-le-Duc remportait le concours lancé pour la réhabilitation de Notre-Dame. Ce sanctuaire de l’épopée nationale, il en a respecté l’ADN, mais il en a modifié certaines des formes […]. [Restaurer] c’est aussi faire triompher l’innovation sur l’obscurantisme. […] Notre-Dame traverse les âges pour raconter l’histoire de France et pas seulement l’histoire de ses origines. »
* La couverture est en plomb.
** En réalité, sept siècles.
*** Date correspondant à la fin des travaux.