L’affaire de Rugy n’était pas une affaire d’État mais malheureusement la perpétuation de très mauvaises pratiques sous les ors de la République.
Les ministres doivent « adopter un comportement modeste et respectueux de chacun » Cette exigence d’exemplarité, établie par la circulaire du 24 mai 2017.
La circulaire rappelle également « qu'il convient de limiter l'usage des deniers publics au strict accomplissement de la mission ministérielle en ne tirant pas profit de ses fonctions pour soi-même ou pour ses proches […]. De manière générale, les dépenses à caractère personnel ou familial ne peuvent évidemment être mises à la charge de l'État ».
Edouard Philippe pourrait réformer le train de vie des ministres « Une réflexion est en cours pour voir si la circulaire de mai 2017 mérite d’être complétée ».
Tout cela est bel et bon, nous verrons !
Comme toujours dans ce genre d’histoire de ma mémoire remonte des souvenirs.
Nous étions en 1984, je venais de rejoindre le cabinet de Michel Rocard nouveau ministre de l’Agriculture, il venait de boucler l’épineux dossier des quotas laitiers et il lui fallait enchaîner avec celui de l’élargissement du Marché Commun à l’Espagne et au Portugal.
J’étais là pour ça : les dossiers vins et fruits et légumes étaient chauds bouillants, François Guillaume tonnait.
La salle à manger et la cuisine de l’appartement du Ministre, qu’il n’occupait pas il logeait avec Michèle boulevard Raspail, étaient dans un état lamentable. Si une commission d’hygiène et de sécurité avait déboulée la fermeture aurait été immédiate.
Dans la cuisine officiaient deux bretonnes en blouse : Anne-Marie la cuisinière du genre dragon domestique et Bernadette son souffre-douleur. Anne-Marie décidait de tout, des menus servis lors des réceptions officielles, elle était économe, cuisinait comme si c’était du frichti pour un repas de laboureur.
Détail d’intendance, le linge de table, la vaisselle, les couverts avaient beaucoup d’heures de vol. Le vin venait de l’épicier du coin.
Nous discutions en priorité avec nos voisins espagnols des dossiers chauds, nos amis portugais se sentaient un peu, même beaucoup marginalisés. Rocard, bonne âme, qui connaissait sur le bout des doigts les « bienfaits » du régime Salazar et avait suivi de très près la Révolution des œillets, décida d’inviter son homologue portugais.
Un déjeuner fut programmé.
J’y participais bien sûr.
Que nous proposa notre Anne-Marie pour ce déjeuner d’empathie ?
En plat principal, je vous le donne en mille : de la morue sauce blanche avec des patates à l’eau.
Le père Rocard, habitué aux casse-croûtes du PSU, n’était pas du genre à exiger une tortore de luxe mais là, son sens politique et diplomatique lui fit saisir le côté humiliant de ce menu pour le représentant d’un pays vivant encore très modestement et exportant essentiellement de la main-d’œuvre.
Pour autant il ne fit pas un scandale, se contentant de quelques remarques embarrassées auprès du chef de cabinet.
Il en allait ainsi à l’hôtel de Villeroy en 1983, lors de l’alternance de 86, François Guillaume succéda à Henri Nallet intérimaire, puis en 88 lors de la réélection de Tonton Nallet succéda à François Guillaume, Michel Rocard étant Premier Ministre.
Première constatation, le Ministre-paysan avait entrepris des travaux de rénovation de la cuisine, et de l’hôtel en général, Anne-Marie et Bernadette étaient toujours là flanquée d’une petite nouvelle venue de sa Haute-Marne natale. Les Nallet, très petits bourgeois, Thérèse surtout, continuèrent l’œuvre du grand François : Ha ! les « biscuits » (1) de Thérèse Nallet !
Anne-Marie prit sa retraite… et puis la vie continua… le train de vie de l’hôtel de Villeroy gagna quelques galons tout en restant dans les clous d’un budget modeste.
(1) Un biscuit est une faïence cuite entre 980 et 1040 °C sans glaçure (sans émaillage), une porcelaine tendre ou dure, cuite sans glaçure à haute température (de 1 200 à 1 400 °C), et il existe aussi des grès biscuités qui sont aussi sans glaçure. Le biscuit de porcelaine est utilisé pour réaliser des statuettes, des surtouts de table, des réductions de grandes statues
Pendant deux ans, entre 1983 et 1985, René Souchon, maire d’Aurillac et député du Cantal, a travaillé à proximité immédiate de Michel Rocard, alors ministre de l’Agriculture, sous la troisième gouvernement Mauroy puis sous le gouvernement Fabius, en juillet 1984.