Adepte des petits livres que je peux glisser dans ma poche, ceux des éditions Allia font mon miel. Ainsi, le petit chaperon rouge dans la tradition orale d’Yvonne Verdier, 6,20 €, format : 100 x 170 mm, 80 pages.
Pax ne pourra pas m’accuser de le ruiner, c’est moins onéreux qu’une quille de vin à poils…
Le Petit Chaperon Rouge est certainement à ce jour un des contes les plus connus et racontés en Europe.
« Cette histoire, déjà bien avant sa mise à l'écrit par Charles Perrault en France (1695) et les Frères Grimm en Allemagne (1812), a été maintes fois racontée par des nourrices ou lors des veillées sous différentes versions. Cependant, les récits oraux qui ont inspiré cette mise à l'écrit sont relativement éloignés des interprétations qui ont perduré dans l'imaginaire collectif.
Si elles reprennent chacune la même trame narrative, les deux versions écrites se distinguent par leur fin : chez Perrault, le loup dévore la petite fille, et chez le Frères Grimm apparaît le motif du chasseur qui éventre l'animal pour sauver la fillette et la grand-mère.
Une des principales distinctions entre ce conte dans la tradition orale et dans la tradition littéraire est déjà le choix du chemin qu'offre le loup à la protagoniste : celui des épingles ou celui des aiguilles ?
« Je m’en vais par ce chemin ici et toi par ce chemin-là, et nous verrons qui plus tôt y sera »
(Perrault).
La question du chemin à prendre, qu’il soit entendu au sens propre ou figuré, occupe une place centrale dans la plupart des versions, orales ou littéraires, du Petit Chaperon rouge.
« Quel chemin prends-tu ?
dit le Bzou (Loup-Garou), celui des Aiguilles ou celui des Epingles ? »
Dans son livre Le Petit Chaperon Rouge dans la tradition orale (Ed. Allia), Yvonne Verdier avance une analyse de cette curieuse formulation : l'éducation des filles dans le milieu paysan du XIXème siècle.
Les jeunes adolescentes, l'hiver de leurs quinze ans, étaient envoyées au
près d'une couturière pour apprendre à travailler avec des aiguilles; c'était une sorte de rite de passage, une certification de leur entrée dans l'âge adulte. L'épingle, quant à elle, renvoie à la parure, aux sorties pour danser et aux amoureux qui faisaient la cour en offrant des épingles à leur bien-aimée.
Yvonne Verdier y développe une analyse de la féminité et des messages sous-jacents que porte le conte dans sa narration. La jeune fille choisit parfois un chemin, parfois l'autre.
Dans une version du Forez, la fillette explique son choix :
« J'aime mieux le chemin des épingles avec lesquelles on peut s'attifer que le chemin des aiguilles avec lesquelles il faut travailler », mais il lui arrive aussi de choisir le chemin des aiguilles : « Je vais prendre le chemin des aiguilles. Je vais en ramasser, de celles qui auront de gros trous, pour ma grand-mère qui ne voit plus clair » (version du Morvan).
Source ICI
Le Chaperon Rouge, donc. C’est de ça qu’il s’agit. Même si j’ose imaginer que tout le monde connait ce conte fameux, par les versions de Perrault ou des frères Grimm, il convient d’en donner un bref résumé. Présent dès le XIVème siècle, il raconte – dans les grandes lignes, nous ne sommes pas là pour évoquer toutes les versions – l’histoire d’une jeune fille envoyée par sa mère voir sa grand-mère pour lui porter un repas. En chemin, elle rencontre un loup à un carrefour et ils empruntent chacun un chemin. Arrivée chez sa mère-grand, la jeune fille prépare à manger à celle-ci (qui a été dévorée en partie par le loup qui a pris sa place en se travestissant) et se fait ensuite dévorer ou parvient à s’enfuir après s’être rendue compte de la supercherie.
Yvonne Verdier, par l’étude du vocabulaire et des parties du conte recueillis dans 5 régions différentes à la fin du XIXème siècle par le folkloriste français (Bourguignon, même) Paul Delarue : Nivernais, Hautes-Alpes, Loire, Forez et Velay. De l’étude de ces 5 différentes versions, recueillies directement de la bouche des ruraux par Delarue, elle va tenter d’analyser la composition du conte avant les versions moralistes de Perrault.
Yvonne Verdier passe donc en revue 7 aspects du conte :
La grand-mère oubliée
Du bon usage des épingles
Un repas fortifiant
Une partie de cache-cache…
Qui a mangé la galette ?
La maison dans la forêt
Un loup beaucoup trop populaire
Successivement, l’auteure va revenir sur plusieurs faits notables des différentes versions en commençant par déconstruire une bonne partie des versions écrites, notamment au travers de l’oubli, dans celles-ci, de la figure de la grand-mère, relativement laissée au second plan derrière le duo chaperon-loup. Ensuite, on bascule sur une analyse des gestes et des choix de la jeune fille. Celle-ci, dès sa rencontre en forêt, entame une série de choix qui lui permettront, en fin de conte, de ressortir comme une femme.
Yvonne Verdier replace le Petit Chaperon rouge dans son contexte rural. Car, en dévoilant tous les sens cachés d'un véritable conte initiatique, ponctué de rites de passage, c'est aussi toute une société en voie de disparition qu'elle met à l'honneur, avec tendresse et force savoir… Mais gare ! Vous risquez désormais de confondre le loup avec le prince charmant.
La Fille et le loup (1874)
La Fille et le loup est une variante du Velay du Petit Chaperon rouge, contée en juillet 1874 par Nanette Lévesque, femme illettrée habitant Fraisse (Loire) née vers 1794 à Sainte-Eulalie (Ardèche). Recueillie par V. Smith (Contes de Nanette Lévesque, Bibliothèque de l’Institut catholique), cette version situe le départ de la fillette dans le contexte des activités de la société paysanne de l’époque : "affermée" dans une maison pour garder deux vaches, le Chaperon est "payé" et reçoit "encore une petite pompette" et "un fromage" qu’elle va porter à sa mère….
Une petite fille était affermée dans une maison pour garder deux vaches. Quand elle eut fini son temps, elle s'en est allée. Son maître lui donna un petit fromage et une pompette de pain.
– Tiens ma petite, porte çà à ta mère. Ce fromage et cette pompette y aura pour ton souper quand tu arriveras vers ta mère.
La petite prend le fromage et la pompette. Elle passa dans le bois, rencontra le loup qui lui dit : Où vas-tu ma petite ?
– Je m'en vais vers ma mère. Moi j'ai fini mon gage.
– T'ont payé ?
– Oui, m'ont payé, m'ont donné encore une petite pompette, m'ont donné un fromage.
– De quel côté passes-tu pour t'en aller ?
– Je passe du côté de les épingles, et vous, de quel côté passez vous ?
– Je passe du côté de les aiguilles.
Le loup se mit à courir, le premier, alla tuer la mère et la mangea, il en mangea la moitié, il mit le feu bien allumé, et mit cuire l'autre moitié et ferma bien la porte. Il s'alla coucher dans le lit de la mère.
La petite arriva. Elle piqua la porte : Ah ! ma mère, ouvrez-moi.
– Je suis malade ma petite. Je me suis couchée. Je peux pas me lever pour t'aller ouvrir. Vire la tricolète. Quand la petite virait la tricolète, ouvrit la porte entra dans la maison, le loup était dans le lit de sa mère.
– Vous êtes malade, ma mère ?
– Oui je suis bien malade. Et tu es venue de Nostera.
– Oui, je suis venue. Ils m'ont donné une pompette et un fromageau.
– Ça va bien ma petite, donne m'en un petit morceau. Le loup prit le morceau et le mangea, et dit à la fille, il y a de la viande sur le feu et du vin sur la table, quand tu auras mangé et bu, tu te viendras coucher.
Le sang de sa mère, le loup l'avait mis dans une bouteille, et il avait mis un verre à côté à demi plein de sang. Il lui dit : Mange de la viande, il y en a dans l'oulle ; il y a du vin sur la table, tu en boiras.
Il y avait un petit oiseau sur la fenêtre du temps que la petite mangeait sa mère qui disait :
– Ri tin tin tin tin. Tu manges la viande de ta mère et tu lui bois le sang. Et la petite dit :
– Que dit-il maman, cet oiseau ?
– Il dit rien, mange toujours, il a bien le temps de chanter.
Et quand elle eut mangé et bu le loup dit à la petite : Viens te coucher ma petite. Viens te coucher. Tu as assez mangé ma petite, à présent et bien viens te coucher à ras moi. J'ai froid aux pieds tu me réchaufferas.
– Je vais me coucher maman.
Elle se déshabille et va se coucher à ras sa mère, en lui disant :
– Ah ! maman, que tu es bourrue !
– C'est de vieillesse, mon enfant, c'est de vieillesse.
La petite lui touche ses pattes : Ah ! maman que vos ongles sont devenus longs.
– C'est de vieillesse, c'est de vieillesse.
– Ah ! maman, que vos dents sont devenues longues. C'est de vieillesse, c'est de vieillesse. Mes dents sont pour te manger, et il la mangea.
Trois contes de tradition Orale
Ethnologue et sociologue française, Yvonne Verdier publie en 1979 Façons de dire, façons de faire, reconnu aussitôt comme une grand livre d’ethnographie villageoise, monographie de Minot, un village de Bourgogne où elle recueille la "parole vive des bonnes femmes". Elle donne ensuite quelques articles sur le conte populaire en général et en particulier sur le Petit Chaperon rouge, en s’efforçant de penser ensemble littérature orale et institutions et de décrypter toutes les "façons de faire, façons de dire" qui en éclairent jusqu’au plus énigmatique détail. Elle disparaît à la fin de l’été 1989 en laissant un manuscrit inachevé consacré à Thomas Hardy.