J’étions invité.
J’y suis allé samedi 13 avec ma petite auto.
Je ne me suis pas égaré grâce à mon guide qui cause bizarrement. Faisait beau, arrivé chez Claire plein de petites mains s’affairaient.
Qu’allais-je faire ?
Avant de faire ripaille, de boire, de papoter, de voir Claire souffler ses 50 bougies, je m’étais dit, moi qui suis tout sauf journaliste (lire Faut-il vraiment être "con" pour être journaliste? ICI ) je vais jouer au paparazzi, sortir mon petit Leica de son sommeil pour immortaliser l’événement.
Jean-Yves me conduisit au fin fond des vignes par un chemin à peine carrossable à la maison de Bully, là je me suis assis et j’ai réfléchi.
Pourquoi fête-t-on les anniversaires de sa naissance ?
C’est un an de plus, pourquoi faire la fête alors que l’on vieillit ?
Alors j’ai cherché.
J’ai trouvé.
Dans un article publié par la revue Annales (juillet-août 2007, 248 p., 17 €), le médiéviste Jean-Claude Schmitt retrace « l'invention de l'anniversaire ». Pour cela, il part d'un texte du XVIe siècle : le Livre des costumes, de Matthäus Schwarz. Ce fils de marchand de vin, directeur financier de la firme commerciale des Fugger d'Augsbourg, avait tenu à rédiger, images à l'appui, son "autobiographie vestimentaire". Or il y avait porté une attention particulière, rare à l'époque, à la date de sa venue au monde. Décortiquant avec bonheur ce document exceptionnel, Jean-Claude Schmitt signe une étude passionnante sur l'émergence de l'anniversaire moderne comme rituel collectif et familier.
Le rythme de la vie collective domine et embrasse les rythmes variés de toutes les vies élémentaires dont il résulte; par suite, le temps qui l’exprime domine et embrasse toutes les durées particulières, écrivait Émile Durkheim en conclusion aux Formes élémentaires de la vie religieuse (1912); et il précisait : « c’est le rythme de la vie sociale qui est à la base de la catégorie de temps » [1]
Parmi l’immensité des problèmes posés, je ne m’intéresserai ici qu’à l’historicité des « rythmes de la vie » et plus particulièrement à la manière dont les acteurs sociaux se représentent leur vie, ses étapes, l’âge qu’ils ont eu, qu’ils ont, qu’ils vont avoir, dans leurs écrits et le cas échéant dans les images qu’ils produisent. Le premier document que j’ai examiné de près est, au début du XVIe siècle, l’« autobiographie vestimentaire » de Matthäus Schwarz. Parmi tous les traits qui font de cet ouvrage un témoignage de premier plan, j’ai été frappé par la place que tient dans les préoccupations de l’auteur son propre anniversaire. Cet aspect n’a guère été remarqué jusqu’à présent. Sans doute parce que l’anniversaire est un petit rite personnel et familial qui ne bénéficie pas des fastes des rituels religieux et publics qui ont scandé et scandent encore en partie les vies individuelles (première communion, mariage, etc.); fêter son anniversaire ou celui de nos proches semble aller de soi, au point que nous ne nous interrogeons guère sur l’histoire d’une telle pratique. Rares sont les études qui lui sont consacrées [6]
[1]
ÉMILE DURKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse.…. Il faisait écho à Marcel Mauss qui, dans son Étude sommaire de la catégorie du temps dans la religion et la magie, observait que « le calendrier n’a pas pour objet de mesurer, mais de rythmer le temps
[2]
MARCEL MAUSS et HENRI HUBERT, Mélanges d’histoire des… ». « Rythmer le temps » : l’Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos avait montré en effet, dès 1904-1905, que l’alternance de l’hiver et de l’été déterminait pour les populations du Grand Nord l’alternance de deux formes différentes de la vie sociale, dense, collective et festive dans le repli hivernal de l’igloo, dispersée et plus individuelle à la saison estivale, consacrée à la chasse plus lointaine
[3]
MARCEL MAUSS, « Essai sur les variations saisonnières des…. La postérité des intuitions des fondateurs de la sociologie et de l’anthropologie a été étudiée récemment par plusieurs auteurs, alors même que la notion de rythme, dans ses acceptions diverses et à propos de notre propre société s’impose sur le devant de la scène : que l’on pense aux rythmes du travail, aux rythmes scolaires, aux effets dissolvants, pour le tissu social comme pour la personnalité de l’individu, de l’« arythmie » sociale, dans le cas du chômage par exemple
[4]
EVIATAR ZERUBAVEL, Hidden rhythms. Schedules and calendars in…. En effet, la société occidentale, passée ou moderne, ne saurait échapper au souci anthropologique d’analyser dans la synchronie ses rythmes fondamentaux, comme les catégories, les usages pratiques et les techniques du temps que ces rythmes soutiennent : du temps biologique (sommeil et veille, respiration, menstruation) à la mesure horlogère du temps diurne, des rythmes du corps à ceux de la danse et de la musique, du calendrier annuel à la périodisation de l’histoire collective, du temps du travail et des loisirs au temps de la vie, etc., en insistant sur le rôle de la combinaison de tous ces rythmes dans le procès d’individuation collectif et personnel
[5]
PASCAL MICHON, Rythmes, pouvoir, mondialisation, Paris, PUF,…. Mais le regard historien peut et doit ajouter autre chose encore : une observation de ces rythmes et de ces « catégories du temps » dans la diachronie de l’histoire, les changements de rythmes dans le temps, les conflits entre rythmes rivaux en tant que facteurs du procès historique, l’apparition ou la disparition de rythmes nouveaux et ce qu’elles signifient.
[6]
PHILIPPE ARIÈS, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien… : les folkloristes ne s’en préoccupent guère, et si, par exemple, Arnold Van Gennep avait bien prévu dans son questionnaire une entrée « Anniversaire », il n’en parle plus ensuite
La suite ICI
Je dois à la vérité que pour mes 71 balais on m’a offert :
Depuis quand fêtons-nous notre anniversaire ?
La question n’a guère intéressé les historiens jusqu’à aujourd’hui. Pourtant elle ouvre des aperçus féconds sur l’évolution des rythmes de la vie humaine. Au Moyen Âge, où l’on se préoccupait surtout du jour de la mort des individus, s’est effectué un retournement lourd de conséquences : l’anniversarium funéraire est devenu ce que l’on appelait alors la « natalité ». Textes et images permettent de suivre le lent établissement de la pratique de l’anniversaire et sa dissémination, d’abord dans les milieux aristocratiques, puis dans la bourgeoisie du XIXe siècle et enfin dans les milieux populaires.
Ce livre invite le lecteur à découvrir l’histoire surprenante et le caractère finalement très tardif de ce rituel qu’est l’anniversaire de notre naissance.
Historien spécialiste de l’anthropologie historique, Jean-Claude Schmitt est directeur d’études à l’EHESS. Médaille d’argent du CNRS, il a enseigné dans les plus grandes universités américaines et européennes. Il a publié Les Rythmes au Moyen Âge chez Gallimard, 2016. Ses ouvrages sont traduits dans plus d’une quinzaine de langues. Il dirige la collection Oblique/s chez Arkhê.
A suivre…