En ce temps-là le Nouvel Observateur avait la gueule d’un bulletin paroissial fauché, ça phosphorait sec jusqu’à en être chiant. Je n’aurai pas l’outrecuidance de tartiner sur Ivan Illich, Herbert Marcuse, je vais me contenter de relater un fait vécu à Grenoble par André Gorz où PMF se présentait face à Jean-Marcel Jeanneney.
Plantons le décor :
L’homme le plus prestigieux de la gauche française descend dans l’arène
P.M.F. veut être jugé sur ses actes passés et sur son programme d’avenir, non sur son prestige…
Cet article a paru dans Le Nouvel Observateur n° 104 du 9 novembre 1966
(De notre envoyée spéciale Josette Alia)
Ce jeudi 10 novembre, à 13 heures, Pierre Mendès France est l’hôte à déjeuner de la presse économique et financière, dans les salons de la Maison de l’Amérique latine. Thème de son discours : le Ve Plan – ou plutôt l’inexistence de ce fameux plan. En principe, cela ne devrait intéresser que les journalistes spécialisés. Pourtant, un grand nombre de journalistes politiques ont demandé à assister à ce déjeuner. Ils ne s’y sont pas trompés : avec ce sujet ardu, technique et réservé aux initiés, l’ancien président du Conseil donne le coup d’envoi à sa campagne électorale : il est candidat à Grenoble.
C’est tout à fait dans son style. Il débute en s’adressant à la nation. Il ne choisit pas un thème populaire, accessible à tous, flagorneur ou démagogique. Dès le début, il prend les gens à rebrousse-poil. Pas de petits discours bonhommes à la Pompidou. Pas d’attitude décontractée à la Giscard. Pas de fastes ni de hauteur à la de Gaulle. Aucune mise en scène : il veut aller directement à l’essentiel. Comme en 1945 lorsqu’il dénonça les facilités de la politique économique et qu’il préconisa la rigueur – ce qui l’entraîna à donner sa démission du gouvernement de Gaulle au profit de René Pleven – il dénonce cette semaine « l’envers » du Ve Plan.
Dimanche dernier, Mendès France est allé à Grenoble s’installer place Victor-Hugo dans un appartement mis à sa disposition par un mendésiste passionné. Il y est près de son état-major et de ses fidèles. Sous l’occupation, c’est dans un faubourg de Grenoble, à La Tronche, qu’il a trouvé asile sous un faux nom, chez les Grenoblois. C’est de Grenoble qu’il est parti pour la Résistance et plus tard pour Londres, non pour y occuper un poste politique, mais pour devenir capitaine d’aviation dans une escadrille de bombardement. Il se rappelle aussi une passion qui le rapproche des Grenoblois : le ski. Il revoit la ville où, il y a un an, il animait des « rencontres » qui devaient redonner, dans toute la France, une espérance et un dynamisme à tous les jeunes gens de progrès. Et il publie dans « le Dauphiné libéré » sa première adresse aux Grenoblois.
Pourquoi Mendès France a-t-il choisi Grenoble ? Lorsqu’on s’y rend, cela devient limpide. Il faut aller à Grenoble. N’est-ce pas la ville du progrès et de l’expansion ? Une belle affiche en couleur, en somme, pour le régime gaulliste qui, a, d’ailleurs, décerné à la ville un de ses prix d’excellence en la proposant comme siège des prochains jeux olympiques d’hiver.
L’article entier ICI
Nous avons fait (ndlr André Gorz et son épouse) ensemble presque tous les reportages que j’ai réalisés en France et à l’étranger. Tu m’as rendu conscient de mes limites. Je n’ai jamais oublié la leçon qu’ont été pour moi les trois journées passées à Grenoble avec Mendès France. C’était un de nos tout premiers reportages. Nous avons pris nos repas avec Mendès, visité avec lui ses amis, assisté à ses entretiens avec les notables de la ville. Tu savais que, parallèlement à ces entretiens, j’allais discuter avec des militants cédétistes pour qui les grands patrons grenoblois n’incarnaient pas précisément « les forces vives de la nation ». Tu as beaucoup insisté pour que Mendès lise mon « reportage » avant que je l’envoie. Il t’en a été reconnaissant. « Si vous publiez ça, m’a-t-il dit, je ne pourrai plus remettre les pieds dans cette ville. » Il semblait plus amusé que fâché ; comme s’il trouvait normal qu’à mon âge et à ma place je préfère le radicalisme au sens des réalités politiques.
J’ai réalisé ce jour-là que tu avais plus de sens politique que moi. Tu percevais des réalités qui m’échappaient, faute de correspondre à ma grille de lecture du réel. Je suis devenu un peu plus modeste. J’ai pris l’habitude de te faire lire mes articles et mes manuscrits avant de les remettre. Je tenais compte de tes critiques en maugréant : « Pourquoi faut-il que tu aies toujours raison ! »
André Gorz Lettre à D. Histoire d’un amour récit Galilée
André Gorz (1923-2007) a été l’un des précurseurs de l’écologie politique et du concept de décroissance. Son œuvre et son action ont profondément marqué l’écologie et la gauche politique française.
Éloge du suffisant
André Gorz
« Pour André Gorz, défense du « monde vécu » et défense du « milieu naturel » sont les deux faces d’une même résistance : la question écologique se pose dans le cadre plus vaste de la domination des « systèmes » (marché capitaliste et administration étatique) sur les hommes au quotidien. Tandis que le capital, à l’accroissement illimité, menace la nature qu’il pille autant que la société qu’il manipule, l’autogestion qu’il faut souhaiter est une autolimitation, selon le principe de suffisance : une gestion raisonnable et un lissage des richesses atténuent les tensions sociales et préservent les ressources naturelles.
Le choix de la décroissance est alors un arbitrage démocratique entre efforts consentis et besoins reconnus, qui assure à la fois moins de charge de travail (redistribué), plus d’autonomie (espaces coopératifs) et de sécurité (revenu garanti), et qui laisse leur temps aux activités qui valent pour elles-mêmes. »