De passage chez Gallimard j’ai acheté du Stéphane Denis, qui n’est pas le fils de la mère Denis, mais un fin connaisseur du sérail politique français pour avoir bourlingué dans les cabinets ministériels dans les années 70 avant de faire journaliste et écrivain.
Je me souviens du Stéphane Denis des années Mitterrand (1). II a révélé dans Paris Match l'existence de Mazarine, la fille naturelle de François Mitterrand.
À gauche, on déteste ce réactionnaire bon teint qui plaide volontiers pour Maurice Bardèche contre Jean Daniel; à droite, on se méfie de cet anarchiste en flanelle qui traite René Monory de «morceau de pâté oubliant ses tartines» et trouve à Pierre Méhaignerie «une tête de fond de culotte». Trop cultivé pour les mondains, trop jet-set pour les intellos.
C’est ce qu’écrivait Jérôme Garcin 16/11/1995
Stéphane Denis est un cynique doué, un sceptique avantageux. Il doute de tout avec élégance. Il met beaucoup de style à prouver qu'il ne croit en rien. Il a, pour la politique, une curiosité d'esthète désabusé et, pour ceux qui la font, un dédain d'aristocrate. On sent bien que les enjeux idéologiques l'ennuient, que les querelles de partis lui sont étrangères, que la fonction sociale des élus l'indiffère au plus haut point. Il leur préfère l'art de la rhétorique, la dramaturgie des alcôves ministérielles, la mathématique des secrets inavoués et des rumeurs assassines. C'est un romancier chic qui a un air canaille: il tient à la fois de l'inspecteur des Renseignements généraux, du mercenaire et du fou du roi. Il joue à la politique comme, autrefois, Sagan au casino de Deauville, au volant de sa Jaguar XK 140, ou avec du Palfium 875: pour se donner des émotions rapides et conjurer, à Neuilly, le spleen du crépuscule.
Bonne pioche que son dernier roman Sanctissima, c’est féroce, précis, implacable, jubilatoire, pour moi un excellent antidote à l’esprit amolli du temps.
Le président de la République se prépare pour le transfert, au Panthéon, de la dépouille d’Amandine de Groot : une héroïne nationale, prix Nobel de la paix, aimée et célébrée dans le monde entier sous le nom de la Sanctissima, la très sainte. La veille de la cérémonie, le mari de cette dernière, James de Groot, président du Conseil Constitutionnel et éminence grise qui a œuvré pour tous les gouvernements depuis Pompidou, se rend à l’Elysée.
Je l’ai lu d’une seule traite sur mon balcon.
Je chronique aussi sec.
« Avec chaque Président, il avait su comment il fallait faire.
Georges Pompidou était carré, ombrageux, pratique.
Cinquantenaire de l’élection de M. Georges POMPIDOU à la Présidence de la République
Valéry Giscard d’Estaing, lorsqu’il le recevait, commençait par des mondanités. Comment allait la tante Chose ? Puis il citait les trois principaux points de la fiche qu’il avait lue avant l’entretien accordé à son visiteur.
François Mitterrand noyait le poisson, la garde haute, l’allure marmoréenne, curieux de savoir et verrouillé sur sa petite personne.
Jacques Chirac était enveloppant, jovial, et parfaitement indéterminé.
Nicolas Sarkozy parlait de lui.
Après, le président de Groot ne se souvenait plus très bien. C’était une caractéristique de François Hollande qu’on avait l’impression de frayer avec une éponge, une éponge sympathique, mais dont on se demandait ce qu’elle faisait là.
Leur successeur était respectueux, ça, on ne pouvait pas dire le contraire.
« C’est un inspecteur des Finances, trancha intimement François de Groot : je viens luis casser les pieds mais je suis riche, j’ai de l’influence, et il respecte les plus anciens dans le grade le plus élevé. Il ne voit que des gens qui lui ressemblent. Allons-y et essayons de le distraire. Ce sera déjà ça de gagner. »
Ça part donc sur les chapeaux de roue pour ensuite décoiffer grave.
Quelques traits saillants.
« Amandine (prénom d’emprunt de la future panthéonisée) était une jolie petite fille élevée par les sœurs de la Visitation du Mont, et maintenue dans les bons principes par les dames de la nouvelle maison, l’Ostensoir, que tenait sa mère rue des Frangipaniers. Ce nom venait d’une certaine position sexuelle, spécialité du quartier chrétien. Je n’ai pas de photographie d’elle mais je l’imagine assez faire ses devoirs au salon où on attendait le client. Elle m’a dit avoir adoré Beyrouth après Bergen au climat si humide. »
[…]
À propos de Jeanne d’Arc :
- Fallait être une vraie cruche pour s’être fait baiser par le roi, avait dit Amandine, à sœur Félicité. Ça se piffait d’avance, qu’il la vendrait aux Britiches.
[…]
Ses sentiments, j’en ai peur, étaient fort peu démocratiques.
- Mais je croyais, dit le Président… Enfin, son combat pour les droits de l’homme…
- Elle disait qu’elle préférait les doigts de l’homme. Malgré l’éducation des sœurs, elle n’avait pas plus de sens moral qu’un jeune chat.
[…]
En bon énarque, il se demandait (ndlr. le Président) aussi si croire en Dieu n’est pas un préalable à une dévotion réussie. Pascal, ou était-ce François Mauriac, avait écrit quelque chose là-dessus.
[..]
- Elle avait toujours une arme dans sa poche, répéta le Président accablé.
- Que voulez-vous qu’elle eût ? Des pansements ou des images pieuses ?
[…]
Ministre de l’Intérieur, j’espère que vous avez mis fin à cet état de fait, pour parler comme mon secrétaire-général. Il est tellement Sciences Po qu’il doit coucher avec sa femme en trois parties.
[…]
Toute ma vie, j’ai combattu l’arbitraire au profit du pouvoir. Le pouvoir calme les peuples et les rend heureux. L’arbitraire les excite et les rend jaloux. Ce n’est pas la Constitution que je sers, monsieur le président. Vous m’avez qualifié tout à l’heure de grand serviteur de l’État, la formule la plus creuse de la Ve République. Un serviteur de l’État, c’est un fonctionnaire. L’État n’est qu’un placard qu’il faut remplir. C’est utile les placards. On peut y mettre n’importe quoi. C’est à ça que servent les fonctionnaires : à remplir les placards. Moi, je sers à autre chose. J’essaie d’obliger le pouvoir à tenir le manche.
Voilà, j’ai accompli mon devoir 122 petites pages. 14 euros 90 faites ce que bon vous semble chers lecteurs.
(1) le portrait de François Jardin, bourgeois de province attaché à sa Saintonge natale - ah! «le demi-tour droite des feuilles de tilleul argenté au premier vent d'ouest»; il a des ambitions littéraires académiques («Avec l'âge, je passai de Barrès à Lamartine en risquant de finir chez Henry Bordeaux»), il s'égare à Vichy, où il se voit remettre la francisque par le maréchal Pétain (photo de 1943 inédite, selon Denis, et scène fondatrice de tous les mensonges à venir), il cultive une amitié persistante et clanique pour des personnages derrière les noms fictifs desquels l'on reconnaît sans mal Pelat, Bousquet, Bénouville, Hersant, Grossouvre, il aime l'ordre, il trompe sa femme, il va à la messe pour les fêtes carillonnées, il passe en 68 pour un vioc prématuré et en 74 pour un homme neuf, il se fait élire à la présidentielle sur la base d'un programme «datant de Babeuf et des mines d'Anzin» et, tel un comédien parvenu au faîte de sa carrière ou un sportif au bout de son incroyable marathon, le miraculé finit par éblouir la jeunesse à laquelle il aime à distribuer quelques confidences: «On me visitait comme le château de Pierrefonds et les tours des neuf preux. Et tout ce qui était menace mortelle, arme terrible dirigée contre moi, devenait un merveilleux jardin. (...) Tout le côté ??pas net'' fascinait mes interlocuteurs.