Pour le français de base l’agriculture britannique n’existe pas puisque l’Angleterre est une île… et je devrais m’arrêter là… C'est par cette phrase que le célèbre André Siegfried introduisait sa leçon à sciences po dans les années 1950. Suivait une entière page blanche pour inciter à la méditer.
De Gaulle reprochait à Churchill de lui préférer Roosevelt, il se vit recevoir la volée de bois vert suivant « Comprenez bien qu’entre l’immensité de l’océan et vous [le continent], nous choisirons toujours l’océan ».
Pays marchand et aux origines de la démocratie libérale occidentale, le Royaume-Uni est, par nature, tourné vers l’océan : son histoire et sa géographie l’y obligent, et ce n’est pas un hasard si la Grande-Bretagne fut la première puissance mondiale pendant plus d’un siècle, avec un empire colonial à l’origine d’une mondialisation et une marine réputée invincible.
Il a fallu l’arrivée de Miss Thatcher au pouvoir pour qu’ils s’aperçoivent qu’il y avait encore des agriculteurs sur le sol de la perfide Albion :
- Son histoire de chèque « I want my money back » (Je veux qu’on me rende mon argent) Le 25 juin 1985, lors du Conseil de Fontainebleau, la Première ministre a en effet arraché ce « rabais britannique », en menaçant de cesser de verser la participation au pays au budget des communautés européennes.
Le rabais, aussi surnommé « chèque britannique » ou « correction britannique » dans le jargon européen, équivaut à 66 % de la contribution nette de l’année précédente. On prévoyait que cette pratique serait réduire après les élargissements de 2004-2007, mais les chiffres indiquent que les remboursements sont restés stables ou ont augmenté depuis. Le montant pour 2001 était par exemple très élevé, principalement à cause d’ajustements apportés aux comptes de 1997 et 1999, qui allaient dans le sens du Royaume-Uni.
Un poids pour les membres plus pauvres
Tous les États membres de l’UE paient donc les remboursements au Royaume-Uni, y compris les nouveaux membres moins aisés d’Europe de l’Est. En 2014, la Pologne a ainsi participé à hauteur de 294,4 millions d’euros, la Roumanie de 101,4 millions d’euros et la Bulgarie, le pays le plus pauvre de l’union, de 29,9 millions d’euros.
Par contre, les Pays-Bas, la Suède et l’Autriche ne paient qu’un quart de ce que devrait être leur participation à la « correction britannique ». Il existe donc des « rabais sur le rabais ». Résultat : la France et l’Italie supportent à elles deux près de la moitié du total à rembourser à Londres. Pour l’année 2014, l’Allemagne a payé 379,6 millions d’euros, alors que la France et l’Italie versaient respectivement 1,592 et 1,165 milliards.
- La vache folle :
En France, les instances officielles, et en particulier le journaliste Jean-Yves Nau du quotidien Le Monde et le site internet ESB de l’INRA, ont accusé le gouvernement de Margaret Thatcher d’avoir déclenché l’épidémie d’ESB suite aux décisions de réduire la température et la durée de cuisson des farines animales dans les usines d’équarrissage. À la même époque, quelles étaient les pratiques chez nous ?
La France, en compétition, était obligée d’appliquer les mêmes pratiques. D’ailleurs, Alain Glon, Président de la société Glon-Sanders, dans un procès-verbal de la séance du 15 mai 2001 au Sénat, révèle qu’à partir de 1983, pendant le choc pétrolier, la compression des coûts fixes a conduit en France, comme en Angleterre, à une diminution de l’utilisation du pétrole pour chauffer les farines aussi fort et aussi longtemps. Ainsi, M. Glon a déclaré : « Les procédés de traitement pratiqués en France, en Grande-Bretagne et dans d’autres pays, étaient les mêmes puisque les Anglais appelaient cela le “procédé français“ » ! Le rapporteur lui demande ensuite : « D’après ce que j’ai lu, le processus de fabrication des farines anglaises, abaissant les trois paramètres [durée, température et pression], relevait plutôt d’un brevet américain. Contredisez-vous cela ? ». Et Alain Glon répond : « c’est le procédé Stord bartz system. Mais le même était également utilisé en France », d’où la conclusion sans ambiguïté du rapporteur : « c’était un brevet américain qui a été pratiqué en France …Vous êtes ferme : à partir de 1983, date du choc pétrolier, la compression des coûts fixes a conduit à une diminution de l’utilisation du pétrole pour chauffer les farines aussi fort et aussi longtemps… ». Dès le démarrage de l’épidémie de l’ESB, les marchands d’aliments français savaient donc qu’en France, comme la Grande Bretagne, on « ne chauffait pas ».
Pourquoi s'est-on rué sur les farines anglaises ? A cause de leur bas prix. A partir de 1988, le gouvernement Thatcher ayant interdit l'usage des farines en Grande-Bretagne, les Britanniques ont tout misé sur l'exportation. A destination de la France, principalement, mais aussi vers d'autres pays de l'Union, qui ont pu eux-mêmes réexporter en France. En France, ces farines ont été consommées par toutes sortes d'animaux jusqu'à ce que, le 24 juillet 1990, Henri Nallet, alors ministre de l'Agriculture, en interdise l'utilisation pour les ruminants.
«Nourriture infectée». Certains retards se sont avérés fatals pour l'élevage bovin britannique qui, au total, a dû sacrifier 4,3 millions de têtes. En juin 1988, le gouvernement de Margaret Thatcher a bien interdit l'utilisation de protéines animales dans l'alimentation du bétail. Mais sous la pression du lobby agricole, les fabricants de farines animales ont obtenu un délai de cinq semaines pour écouler leurs stocks, alors que chaque jour supplémentaire se traduisait par des centaines de bêtes infectées. Même après la date butoir du 18 juillet 1988, les équarrisseurs n'ont pas respecté l'interdit, faute de contrôle. «Il est clair que de la nourriture infectée a continué à être donnée au bétail dans des quantités substantielles.»
Il y avait donc des vaches en Grande-Bretagne et des farmers au premier rang desquels la famille royale qui touchait de gros chèques de l’UE.
L’agriculture britannique se place au 5e rang de l’Union européenne. Elle se caractérise par une forte concentration, 20% des exploitations utilisant près des trois quarts de la surface agricole utile du pays, et est majoritairement orientée vers les productions animales.
Traditionnellement opposé à la régulation des marchés et aux soutiens directs à l’agriculture, le Royaume-Uni se distingue par son choix de renforcer significativement les soutiens octroyés à l’innovation et au développement rural.
Le Royaume-Uni est très dépendant des importations et présente une balance commerciale agroalimentaire fortement déficitaire. Son taux d’autosuffisance alimentaire est de 62%. La France est le 3e fournisseur et le 2e client du Royaume-Uni.
Par référendum en date du 23 juin 2016, les Britanniques ont voté en faveur d'une sortie de l'Union européenne à 51,9 % des voix et un fort taux de participation de 72,2%.
Brexit : la dépendance du Royaume-Uni aux importations européennes en trois graphiques ICI
- Le Royaume-Uni dépend des importations pour se nourrir
- Le Royaume-Uni plus dépendant du marché européen que l’inverse
- Importations et exportations avec l’UE représentent la moitié du commerce de biens au Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, le Brexit risque d'impacter très profondément aussi le système agroalimentaire. Mais ce danger est négligé par le gouvernement de Theresa May, alerte Tim Lang, professeur de politique agroalimentaire à la City University of London.
Importations, exportations, revenu des agriculteurs, santé des consommateurs, qualité des aliments... depuis le référendum qui a scellé la prochaine séparation du Royaume-Uni de l'Union européenne, Tim Lang, professeur de politique agroalimentaire à la City University of London, se penche avec d'autres chercheurs et des ONG (dans le cadre de la Food Research Collaboration) sur les effets potentiels du Brexit sur le système agroalimentaire. Il revient pour La Tribune sur l'ensemble de ces enjeux, dont l'opinion publique britannique, estime-t-il, n'est pas encore suffisamment consciente.
LA TRIBUNE - Selon vos études, quel est le principal danger que le Brexit fait encourir au système alimentaire britannique?
TIM LANG - Notre dernier rapport, Feeding Britain: Food Security after Brexit (nourrir la Grande-Bretagne : la sécurité alimentaire après le Brexit) rappelle à l'opinion publique et aux politiques britanniques que, depuis 50 ans, notre système alimentaire est intégré à celui des autres États membres. La Grande-Bretagne ne se nourrit pas toute seule: elle importe 30% de sa nourriture directement de pays de l'Union européenne et 11% de pays tiers ayant négocié des traités de commerce alimentaire avec l'UE. Quitter l'Union européenne signifie donc perturber 50 ans de négociations, qui ont pourtant globalement amélioré la qualité de l'offre.
Notre rapport montre en outre clairement que si la Grande-Bretagne quitte l'UE, elle doit décider quels seront ses futurs standards alimentaires, ainsi que comment elle compte les faire respecter et s'assurer de la qualité des contrôles. Sinon, elle doit assumer publiquement qu'elle ne sera pas capable d'exiger et d'imposer des normes strictes. Dans ce cas, puisque les autres États membres n'accepteront pas de nourriture de qualité inférieure à leurs standards, en quittant l'UE nous détruirons également les exportations du secteur agroalimentaire britannique -des spiritueux, des boissons gazeuses, des biscuits, de la viande, des produits laitiers... des aliments déjà pas très réputés en termes de santé publique.
- Dans votre rapport, vous évoquez également la question des migrants...
Oui. L'horticulture britannique est l'un de nos rares succès agricoles, grâce à nos fraises, framboises, etc. Mais la cueillette dépend entièrement de 60-70.000 travailleurs d'autres pays de l'UE -dont l'expulsion a motivé une partie de ceux qui ont voté pour le Brexit. Il y a quelques semaines, le gouvernement a affirmé qu'il introduira un nouveau régime pour les travailleurs saisonniers, mais seulement pour 2.500 personnes! Cela va détruire notre industrie horticole. Sans compter les effets sur la fabrication alimentaire britannique, dont 30% des emplois sont aussi occupés par des migrants de l'UE... Si ces travailleurs ne viennent plus de Roumanie, Bulgarie, Croatie, Slovénie, Lettonie, Lituanie, d'où viendront-ils? Inde, Pakistan, Algérie, Afghanistan? Quels nouveaux pays nous fourniront de la main-d’œuvre agricole bon marché? Les idéologues de la droite nous disent qu'il ne fait pas s'inquiéter, car nous aurons des robots. Mais pour cela, il faudra au moins 15 ans... alors que les Britanniques disent déjà aujourd'hui qu'ils veulent de la nourriture locale!
- Pourquoi le système alimentaire britannique se retrouve-t-il à être si dépendant des importations?
La Grande-Bretagne ne produit plus sa propre nourriture depuis 1780. Grâce à son Empire, elle a commencé dès la fin du 18e siècle à importer de la nourriture de l'Amérique du Nord, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande... Et en 1846, lors de l'abolition des textes réglementaires qui encadraient le commerce de céréales avec l'étranger (les "corn laws"), elle a pris la décision politique de ne pas soutenir ses agriculteurs. Depuis 172 ans la culture politique des Britanniques consiste ainsi à croire que le reste du monde les nourrira: que dès lors que nous gagnons de l'argent via d'autres industries, nous pouvons le dépenser pour acheter de la nourriture bon marché d'autres pays. C'est une vision impériale de la nourriture!
Cette approche a été remise en cause lors des deux guerres mondiales. En 1939, nous importions 70% de nos aliments. En 1945, nous n'en importions plus qu'un tiers: nous avions réussi, malgré la guerre, à doubler notre production. Pour ne plus reproduire de trop graves situations de dépendance, après la guerre il fut donc décidé de reconstruire l'agriculture britannique, en mettant en place un système d'aides pour les agriculteurs. Mais en 1973, quand nous avons rejoint la Communauté économique européenne, nous en avons intégré un nouveau , celui du marché unique. Aujourd'hui, certains supporteurs du Brexit pensent qu'il faudrait retourner au modèle de 1846, d'autres à celui de 1939... Quoi qu'il en soit, d'importantes décisions politiques doivent être prises, et soumises à l'opinion publique. Or, les citoyens britanniques ignorent complètement ces enjeux.
- Mais les importations de l'Union européenne ne pourraient-elles pas être remplacées par de la nourriture venant d'autres pays?
Il y a effectivement une véritable pression de la part de certains membres du parti conservateur, des néo-libéraux, pour importer de la nourriture bon marché des Etats-Unis, de pays émergents ou d'anciennes colonies. Mais conclure un accord commercial avec les Etats-Unis a de graves implications. Depuis deux ans, le secrétaire d'Etat américain au Commerce le dit clairement: si le Royaume-Uni signe un traité avec les Etats-Unis, il devra abandonner les standards alimentaires européens. Et si au lieu que de l'Espagne, du Portugal, de la Pologne ou de l'Italie, nous importons de l'Afrique de l'Ouest, de la Turquie, d'Israël, quels contrôles de qualités appliquerons-nous? Le Brexit engendre donc d'importants choix politiques qui ne sont pas suffisamment discutés.
- Quel impact risque notamment d'avoir le Brexit sur les agriculteurs?
Pendant les 50 dernières années, le système agroalimentaire a traversé une véritable révolution. Nous croyons encore que notre nourriture vienne des agriculteurs, mais ce n'est plus vrai. Les agriculteurs ne créent que des matières premières bon marché pour un traitement industriel de masse. Ceux d'entre eux qui nourrissent encore directement les consommateurs ne sont pas nombreux. Le système alimentaire est largement industrialisé, et chez nous plus que dans le reste de l'Union européenne. La grande partie de l'argent produit par le secteur agroalimentaire est d'ailleurs gagné par les fabricants industriels et par un petit nombre de distributeurs. En Grande-Bretagne, le système est très concentré: six distributeurs se partagent 90% des ventes de nourriture. Le secteur des services a aussi énormément crû pendant les dernières trente années: traiteurs, restaurants, cafés, plats à emporter...
Ce nouveau système écrase les agriculteurs, qui ne gagnent plus beaucoup d'argent. Les marges des fabricants alimentaires sont de l'ordre de 15-16%. Dans la distribution, le rendement du capital est de 2%. Il peut aussi être plutôt haut dans les services -même si la plupart des cafés et restaurants ferment boutique après deux ou trois ans. Les agriculteurs en revanche ne survivent désormais qu'en s'agrandissant, alors que la valeur en capital des terres est très élevée. Si les Britanniques veulent plus d'agriculteurs, ils doivent donc accepter de les rémunérer davantage. Mais que va-t-il se passer si nous quittons l'Ue ? Le gouvernement a évoqué l'idée de d'abord maintenir les aides pour trois ans, puis de les réduire progressivement pendant une décennie. Ce ne sont pas des délais très longs en termes de pratiques agricoles...
Or, nous pensons que la "disruption" du Brexit est l'occasion de repenser radicalement notre agriculture, en tenant compte de l'ensemble de ses nouveaux défi: le développement durable, le réchauffement climatique, le stress hydrique, la perte de biodiversité, la santé publique... Une nouvelle révolution alimentaire est nécessaire afin de renverser les dernières 50 années. La question concerne d'ailleurs l'ensemble de l'Europe: comment créer des régimes alimentaires "durables", tenant compte de l'ensemble de ses nouveaux défi: le développement durable, le réchauffement climatique, le stress hydrique, la perte de biodiversité, la santé publique... Une nouvelle révolution alimentaire est nécessaire afin de renverser les dernières 50 années. La question concerne d'ailleurs l'ensemble de l'Europe: comment créer des régimes alimentaires "durables", tenant compte non seulement des capacités nutritionnelles des aliments, mais aussi de leurs effets sur l'environnement, l'économie et la société?
- Vous pensez donc que le Brexit peut aussi être une opportunité positive pour le système agro-alimentaire britannique?
Théoriquement oui. Mais le gouvernement actuel, qui depuis le référendum montre ne pas avoir de vision à propos de la question alimentaire, vient de proposer une loi agricole où les agriculteurs sont réduits au rôle de gardiens des paysages, selon une approche de la gestion des terres purement environnementale. Certes, c'est très positif, voire nécessaire, d'adresser les questions des sols et du carbone... Mais il n'y a toujours pas de plan alimentaire national! Or, à quoi sert la terre: à nourrir la population ou à la contemplation des riches ?
Depuis le plan dit "de Chequers" présenté en juillet par le gouvernement, qui contient aussi quelques mesures visant à anticiper les conséquences du Brexit dans le secteur agroalimentaire, mes collègues chercheurs et moi ne savons pas du tout si et comment le gouvernement continue de réfléchir à la question. Nos recherches depuis deux ans nous ont convaincus que l'ensemble des acteurs du secteur sont laissés dans la même ignorance. Ceci est inacceptable. Un enjeu aussi sérieux, économiquement, politiquement et culturellement, doit être discuté sérieusement et publiquement.
Propos recueillis par Giulietta Gamberini ICI
Vu du Royaume-Uni. Après le Brexit, cap sur l'agriculture verte ICI
Une fois les subventions européennes taries, Londres entend chambouler l’agriculture en axant sa politique sur l’environnement et l’utilisation des nouvelles technologies.
Ce fut une année difficile pour les quelque 150 000 agriculteurs britanniques. Cet été, la vague de chaleur a desséché les cultures de brocolis et de choux-fleurs. Avant cela, le gel avait retardé le moment des semailles et chamboulé la saison des naissances des agneaux. Dans la ferme de Pant-y-Beiliau, dans la vallée de l’Usk, au pays de Galles, la famille Trumper prévoyait une année exceptionnelle pour son troupeau d’un millier de brebis. En fin de compte, elle a dû envoyer environ 5 % de ses nouveau-nés à l’équarrisseur. Mais les conditions météorologiques extrêmes sont une chose avec laquelle Maurice Trumper, qui est né dans sa ferme dans les années 1920, a appris à vivre. Le Brexit, c’est autre chose.
Dans la plupart des secteurs économiques, le gouvernement fait de son mieux pour assurer une continuité après que le Royaume-Uni aura quitté l’Union européenne (…). Mais pour l’agriculture, il annonce d’importants changements. Michael Gove, le secrétaire d’État à l’Environnement, à l’Alimentation et aux Affaires rurales a promis un grand chambardement, quel que soit l’accord auquel le gouvernement aboutira avec Bruxelles.
Dans le cadre de la politique agricole commune européenne [la PAC, subventions consenties au monde agricole européen], les agriculteurs britanniques touchent des subventions d’environ 3,1 milliards de livres [3,5 milliards d’euros] par an. Ces paiements prendront fin avec le Brexit. Cependant, le Trésor britannique a promis aux agriculteurs de leur payer l’équivalent des aides de la PAC jusqu’à ce que le mandat du Parlement prenne fin en 2022. Après cette date, les versements seront progressivement supprimés et remplacés par un nouveau système sur lequel le gouvernement planche actuellement. Son projet sera déterminant pour l’avenir de l’agriculture et l’ensemble du paysage rural britanniques.
L’agriculture ne représente environ que 0,5 % de l’économie britannique. Mais elle emploie près d’un demi-million de personnes, soit 1,5 % de la population active. Elle aide d’autres secteurs à fonctionner, par exemple en fournissant la majeure partie des matières premières du secteur de l’alimentation et des boissons. Et aucun autre secteur économique, peut-être, n’a un tel impact physique sur le territoire : près de trois quarts des terres britanniques sont utilisées pour l’agriculture.
La PAC, un système impopulaire
La plupart des subventions de la PAC sont calculées en fonction de la superficie des exploitations ; ce sont les paiements directs. Le reste récompense les activités des agriculteurs visant à préserver l’environnement. Cela fait très longtemps que les paysans britanniques se plaignent que le système est injuste et inefficace, qu’il récompense les riches propriétaires fonciers qui possèdent de grandes propriétés et qu’il ne reconnaît pas le travail de gestion de l’espace rural. En 2016, les 10 % des exploitants qui recevaient le plus d’aides de la PAC accaparaient 47 % des fonds, tandis que, à l’autre extrémité, les 20 % des exploitants qui touchaient le moins de subventions n’en totalisaient que 2 %.
Le gouvernement saisit l’occasion du Brexit pour changer de formule. À l’avenir, les subventions seront là pour favoriser les “biens publics”. Le plus important d’entre eux, selon M. Gove, est “la protection et l’amélioration de l’environnement”, comme la création de forêts, la restauration de tourbières et l’entretien des haies. M. Gove suscite les louanges des écologistes par son dévouement manifeste à leur cause ; il dit d’ailleurs avoir une vision “romantique” de la campagne.
Même si la PAC est impopulaire, toute volonté de toucher au système provoque une certaine nervosité. Les subventions de Bruxelles représentent 61 % des revenus agricoles de l’Angleterre ; au pays de Galles et en Irlande du Nord, ce chiffre dépasse même les 80 %. Les petites exploitations de bétail installées sur les hauts plateaux sont particulièrement dépendantes des aides européennes. M. Trumper raconte que sa ferme de 200 hectares reçoit environ 36 000 livres [40 000 euros] par an de la PAC : “Notre survie en dépend totalement.”
Le gouvernement a modélisé les conséquences d’une suppression des paiements directs versés aux fermes de bovins et de moutons installées dans les plaines. Le résultat est édifiant. Entre 2015 et 2017, 19 % de ces fermes ont enregistré des pertes malgré les subventions ; sans subventions, elles auraient été 53 % à être déficitaires.
Hébergements touristiques et énergie solaire
Les ministres doivent encore révéler les détails du système qui remplacera celui des paiements directs. Mais il semble bien que les agriculteurs devront faire un choix : soit œuvrer pour les biens publics en cherchant à se qualifier pour les aides du gouvernement, soit mettre l’accent sur l’efficacité pour survivre sans subventions.
Certains exploitants agricoles sont ravis à l’idée d’être rémunérés pour des activités de gestion de l’environnement. Reste que les petites fermes ne rempliront pas les critères pour prétendre aux aides auxquelles pense M. Gove. Parmi ceux qui ont voté en faveur du Brexit, beaucoup voulaient protester contre toute la bureaucratie nécessaire pour obtenir les subventions de l’UE. Mais le nouveau système ne sera peut-être pas moins fastidieux. On ne sait pas non plus clairement si les paysans auront suffisamment de marge de manœuvre pour diversifier leurs activités. À l’heure actuelle, deux tiers des agriculteurs sont déjà lancés dans d’autres activités, comme l’énergie solaire et l’hébergement touristique. Un quart d’entre eux gagne davantage d’argent avec cette activité qu’avec l’agriculture.
Et quid d’une amélioration de l’efficacité ? Le pays possède de grandes exploitations très efficaces, comme les cultures céréalières de l’Est, et 7 % des fermes d’Angleterre assurent 55 % de sa production agricole. Mais le pays compte une ribambelle d’exploitations de plus petite taille et moins productives. Près de la moitié des exploitations du pays font moins de 20 hectares. Les partisans d’un changement estiment que, dans des régions comme le pays de Galles, les petites fermes devront fusionner, ou du moins coopérer plus étroitement afin de diminuer leurs coûts.
Des drones et des serres connectées
M. Gove vante également le potentiel des technologies. Sur les petites exploitations comme celle de Gary Ryan, dans le Monmouthshire, au pays de Galles, on utilise des appareils comme Moocall, un capteur fixé à la queue des vaches qui alerte l’éleveur avant la mise bas. Les conseillers du gouvernement se tournent vers les Pays-Bas, un pays qui, avec seulement 17 millions de personnes, est le deuxième exportateur mondial de produits agricoles grâce à de massifs investissements dans des technologies comme des drones et des serres connectées.
Toujours est-il que les agriculteurs britanniques ont peu de temps pour rattraper ce retard. Tom Hind, de l’organisation professionnelle Agriculture and Horticulture Development Board, explique que la croissance de la productivité est si faible que la tâche qui s’annonce est “un peu comme demander à un pétrolier géant de faire demi-tour”. Il ajoute que la Grande-Bretagne est bonne en sciences agricoles, mais pas pour ce qui est de les appliquer à l’agriculture.
Pendant ce temps, dans la vallée de l’Usk, les agriculteurs attendent de connaître leur sort. La politique agricole a été déléguée aux gouvernements d’Écosse, du pays de Galles et d’Irlande du Nord, qui pourront choisir de continuer de soutenir directement les exploitants s’ils n’aiment pas le nouveau système de M. Gove. Comme le rappelle un responsable gallois, dans les années 1980, les exploitations de charbon et d’acier locales se sont fait décimer. Et aujourd’hui, dans certaines régions, l’agriculture est “un pilier social” – c’est tout ce qui reste aux populations.