Et si nous allions visiter le musée Estève valeur à l’Hôtel des Echevins de Bourges. ? ICI
Et nous avons pris le train pour Bourges ?
Estève, le grand Maurice Estève élevé par ses grands-parents paternels. « Cette enfance de petit paysan va le marquer d’autant plus profondément que sa grand-mère est une figure assez exceptionnelle. Totalement illettrée, elle décela très vite la personnalité de son « travail » avec beaucoup de respect, quand il installait sur le carrelage même de la salle de séjour, dès l’âge de huit ans, des objets et des fruits pour les dessiner. »
Aquarelle de 1966 et un fusain, crayons jaune et bleu de 1979
C’est ce jour-là que j’ai découvert l’existence de Marcel Bascoulard.
Le 12 janvier 1978, la population berruyère apprend avec stupeur le meurtre de Marcel Bascoulard. C'était son peintre fétiche, un marginal qui faisait partie de la ville. Il avait dessiné et peint tant de rues et de monuments du cœur de Bourges. La Ville décide de prendre en charge ses obsèques et la concession au cimetière Saint Lazare (massif 7, ligne 11, fosse 152).
Son assassin, Jean Claude S.., âgé de 28 ans sera condamné à 15 ans de prison l'année suivante.
Qui était donc ce Marcel Bascoulard ?
Je vous le dirai plus tard.
Le jour où Bascoulard a refusé de sortir de prison, parce qu'il n'avait pas terminé son dessin
Publié le 12/01/2018
Le dimanche 4 janvier 1942, Marcel Bascoulard était arrêté par les Allemands, soupçonné d'espionnage alors qu'il dessinait des trains. Il se retrouvait alors à la prison du Bordiot, à Bourges.
Marcel Bascoulard dessinait. En l’absence de papier il avait choisi les murs de la minuscule cellule où on l’avait jeté pour y inscrire les paysages intérieurs qu’il portait en lui. Des rails qui s’entremêlaient, se croisaient, se perdaient dans des horizons incertains, sur lesquels circulaient des locomotives flambant neuves d’où s’échappaient des paquets d’étoupe grisâtre. Il voyageait où et quand il voulait sans avoir à bouger de là où il se trouvait.
Il entendit la porte de sa geôle s’ouvrir dans un grincement de fer rouillé, mais ne tourna pas la tête pour autant. Il était concentré sur l’œuvre en cours.
— Bascoulard ! T’es libre. Allez, suis-moi…, proféra le gardien Justin Bichon avec un fort accent berrichon.
Il ne répondit pas. Il continuait à couvrir les murs de voies ferrées et de wagons.
— Eh ! T’es sourd ou quoi ? On te libère, t’entends ? On veut plus de toi ici ! Tu peux rentrer tranquillement chez toi.
— Je suis… chez moi… ici, répliqua l’artiste de sa voix lente.
Bichon jouait avec ses clés. Il se demandait ce que ce drôle de prisonnier pouvait bien vouloir dire. Il était chez lui en prison ? Cela n’avait pas de sens.
Personne n’est chez soi en prison.
— Fais pas d’histoires, Bascoulard… J’ai l’ordre de t’emmener au guichet, pour qu’on te donne ton ordre d’élargissement.
— Reviens plus tard.
Justin Bichon ne savait plus quoi faire. En trente ans de Bordiot, c’était bien la première fois qu’un détenu refusait d’être libéré. Il en avait pourtant croisé, des énergumènes. Des costauds qui pleuraient comme des mioches qu’on a privé de dessert. Des croyants qui réclamaient le secours d’un prêtre. Des rusés qui cherchaient à obtenir du tabac ou de l’alcool en échange de promesses de rétribution qu’ils n’avaient bien entendu pas les moyens d’honorer. Des désespérés qui tentaient de se suicider avec leur fourchette. Des fous qui hurlaient de jour comme de nuit. Mais des prisonniers qui refusaient la liberté, il n’en avait jamais vus. Et il n’avait pas été formé pour répondre à ce type de situation.
— Plus tard, plus tard… T’en as de bonnes, toi. C’est que j’ai mon service à faire. T’es pas le seul, ici, mon gars ! Et puis, je dois rendre des comptes, moi.
Plus tard, c’est pas possible. C’est maintenant que je dois te conduire dehors.
— Pas avant… que j’ai fini… mon dessin, articula l’artiste.
Bichon, d’une main, releva son képi pour se gratter le front. Il cherchait désespérément l’argument décisif qui emporterait l’adhésion de l’artiste têtu. Il essaya la menace :
— Si tu attends trop longtemps, ils risquent de revenir sur leur décision, mon gars ! Si tu veux pas partir, ils vont te garder, et pour longtemps !
— Ça me va, répliqua sobrement Bascoulard tout en traçant avec minutie les rayons d’une roue de locomotive.
Justin Bichon était au désespoir. Décidément, il n’y arriverait pas tout seul. Il lui fallait des renforts.
— Puisque c’est ça, je te laisse, Bascoulard ! Viens pas pleurer, après !
Il sortit et referma la porte derrière lui, puis attendit un moment, au cas où le prisonnier aurait changé d’avis. Mais non. Il ne percevait que le frottement du crayon sur les murs.
Bichon redescendit jusqu’au guichet où se trouvait les autres gardiens du Bordiot.
— Les gars, j’ai un problème avec Bascoulard.
— Qu’est-ce qu’il a encore inventé, ce maboul ? fit un gros geôlier au nez rubicond.
— Il veut pas quitter sa cellule. Pas avant d’avoir fini son dessin.
— Tu essayes de nous mener en bateau, Bichon ! répliqua un grand maigre qui flottait dans son uniforme.
— Je t’assure que non ! Il veut rien savoir ! Vous voulez pas m’aider, les gars ? A nous trois, on va bien réussir par le foutre dehors !
— Des qui refusent de venir ici, j’en connais. Mais des qui veulent pas en partir, c’est du jamais vu ! philosopha le gros.
— Bon, on y va ? J’ai pas fini ma tournée, moi ! se lamenta Bichon.
— Pleure pas, on vient ! le rassura le maigre.
Tous trois escaladèrent l’escalier qui conduisait à la cellule de Bascoulard.
Justin Bichon fit jouer le pêne et ouvrit la porte en grand.
A l’intérieur se trouvait Marcel Bascoulard, debout, les yeux dirigés vers eux.
— J’ai fini… mon dessin. Je veux bien… partir… maintenant.
SOURCE : ICI
Marcel Bascoulard, né le 10 février 1913 à Vallenay dans la vallée du Cher il vit à Saint Florent, la famille habite dans le fond d'une cour, sur la route de Châtillon. Son père, Léon est ouvrier maçon, il a quelques ouvriers avec lui, c'est un homme que l'on dit volontiers rigoureux. Il avait dans cette profession, une vision très personnelle pour installer les échafaudages, ce qui lui vaudra le surnom de "Le Cordiau", car ces barres devaient être parfaitement alignées.
Sa mère est née Marguerite Mulet, il est le second enfant du couple, il a une soeur Marie-Julie qui est l'aînée, elle vit le jour en 1909, et meurt en 1952, quant à son jeune frère, Roger, il est né en 1921 et est mort en 1984.
Le petit Marcel Bascoulard commence à l'école de Saint Florent sur Cher, et à la rentrée de 1926, il entre au Collège situé route de Bourges, aujourd'hui rue Gabriel Dordain, juste en face du centre Louis Aragon. Il sera aidé par ses professeurs dont Robert Vergnoux qui va tout faire pour encourager le jeune Marcel vers « les Beaux Arts ».
Marcel sera très moyen dans ses études, aimant le Français, les langues et le dessin, mais très faible en mathématiques et en sciences. Il est semble-t-il un élève assez dissipé. A 17 ans, il a le Brevet d'Etudes Primaires Supérieurs, et il fréquente l'Ecole Nationale des Beaux-Arts de Bourges, place Cujas et rencontre le sculpteur André Bezart, lequel va l'orienter vers la sculptures et c'est lui qui fera après sa mort son buste que l'on peut voir à Bourges.
Le jeune Marcel commence à dessiner des maisons qui sont autour de Saint Florent.
Le 25 septembre 1932, il a moins de vingt ans, c'est le drame. Sa mère Marguerite abat son père Léon, âgé de 55 ans, d'un coup de revolver acheté deux mois auparavant dans une armurerie de Bourges. Elle avait éloigné ses deux enfants Marcel et Roger. Jugée irresponsable elle sera internée à Bourges à Beauregard, l'Hôpital spécialisé. Elle meurt le 1er juin 1944, à Limoges, car Beauregard avait été décentralisé de Bourges à Limoges.
Après ce drame familial, pour se rapprocher de sa mère, il s'établit à Bourges. Sans argent, déjà marginalisé, il habite dans des cabanes dans les Marais, mais aussi dans un grenier à Fenestrelay ou près de la route de Nevers. Enfin, il trouve une cabine d'un bas situé dans le quartier Avaricum, un lieu mal famé.
Pendant longtemps, il va vivre dans une vieille maison devant être détruite à l'emplacement actuel du quartier Avaricum. Dans ces années 1935, il signe ses dessins "Bascoulard-Mulet", et comme un hommage à sa mère, il signe à l'endroit, à l'envers, et parfois dans d'autres langues qu'il semble un peu connaître.
En 1934, il commence à dessiner dans les rues de Bourges, et suit des cours d'art de Marcel Pinon.
« Si je me promène en tenue féminine, c'est que j'est me (sic) cette tenue plus esthétique. Pour les besoins de l'art, lorsque je revêts la tenue féminine, je prends avec moi mon appareil photographique et je fais faire des clichés de moi-même par des gens de connaissance. »
Bascoulard est connu par son curieux accoutrement, il porte " des chaussures éventrées, sur ses jambes nues bat une éternelle blouse jadis grise ". Pour regagner sa demeure, après avoir dessiné une fois encore la cathédrale de Bourges, vu de la rue Porte Jaune, " il utilise une machine bizarre, hybride, sorte de tricycle que bien souvent, il pousse ou traîne au lieu de pédaler ".
C'est en 1938 qu'il fait fabriquer par André Narcy, commerçant de cycles qui était à l'angle de la rue de la Poissonnerie et de Bourbonnoux, c'est à dire place Gordaine, un tricycle pour transporter deux personnes et un peu de matériel. Il va payer cet engin avec ses dessins. C'est ce qu'il fera toujours.
10 ans plus tard, nouveau tricycle, mais toujours chez Narcy, mais il n'est pas très stable, il y a quelques chutes et s'il est très connu alors dans Bourges pour ce véhicule, ce n'est pas la panacée pour se déplacer.
À partir de 1955 il vit alors dans une sorte de cabine de camion en pleine nature avec ses chats au lieu-dit "Les Gargaudières". Pour vivre, il dessine, il reproduit à l'encre ou au crayon le Palais Jacques Coeur, les vieilles rues de Bourges, les Eglises et surtout la Cathédrale Saint Etienne.
Il dessine le Bourges éternel, " appuyé contre un mur, perché tel un échassier sur une seule jambe contre laquelle l'autre s'est repliée ", ses dessins sont remarquables, d'une très grande précision, ils ont une âme. Il mange comme autrefois, sans assiette ni fourchette, il utilise un canif un peu rouillé, et dors à même le sol, sans se soucier du lendemain, ni du temps, il ne possède pas de montre…. Ni de peigne. Il vit par son art.