Comme toujours avec moi, un zoom arrière, nous sommes en 1992, je suis aux manettes du 78 rue de Varenne.
À la suite du mardi mensuel avec le le C.A.F (FNSEA, CNJA, CNMCCA et APCA) Michel Ledru, vice-président de la FNSEA, me demande un entretien. Il me suit dans mon bureau pour m’annoncer que l’ULN (l’Union Laitière Normande) a un trou de trésorerie et qu’il sollicite mon soutien, c’est-à-dire celui de l’Etat. Le trou est abyssal. Ces braves gens ont acheté à tour de bras des entreprises en Espagne : un peu comme le pékin moyen qui s’achèterait des appartements avec son découvert de CB.
Le directeur général de l’ULN, dont je tairais le nom, viens le lendemain me la jouer grave (je peux le donner maintenant il a fait une belle carrière par la suite Alain Juillet) . Nous devons avec Edith, la conseillère technique au cabinet, ex de la Banexi, tenir à bout de bras le pool bancaire de 23 banques aussi affolé qu’une couvée de poussins. La paye de lait mensuelle de 12 000 livreurs est en cause. Les repreneurs se bousculent, Michel Besnier en tête : Coeur de Lion la marque de camembert de l’ULN cause des soucis à son Président. Mon devoir de réserve m’interdit de faire état du jeu : les avocats d’affaires s’agitent, les redresseurs d’entreprises fondent sur la proie : mon ex-patron à la SVF l’inénarrable Axel Rückert me la fait dans le style on se connaît Jacques, les élus s’affolent, les dirigeants agricoles rasent les murs et j’en passe…
Je me sens bien seul, mon cher Ministre est selon son habitude aux abonnés absents. Les députés de la Manche, tous de droite, me supplient : tout sauf Besnier (Lactalis aujourd’hui). Je laisse les services opérer en liaison avec les gnomes des Finances. Après une nuit de négociations où Michel Besnier qui a retourné Michel Ledru comme une crêpe pense emporter le morceau.
Tel ne fut pas le cas.
Bongrain reprend l’ULN Publié le 01/07/92 ICI
Besnier doit, pour l’instant, tirer un trait sur sa tentative de créer un second BSN. Car c’est son concurrent Bongrain qui prend les rênes du géant coopératif, associé à Sanofi-Entremont et à Sodiaal.
Une fois le dossier bouclé je reçois un petit mot de Jean-Noël Bongrain qui souhaite me voir. Nous ne nous sommes jamais vus, ni appelés.
Discret, ex-séminariste, Jean-Noël Bongrain, l'homme du Caprice des Dieux, du Boursin et autres spécialités fromagères, l'homme des marques, fondateur et patron du groupe laitier éponyme créé dans une petite laiterie de Haute-Marne. La rencontre a lieu dans un discret hôtel particulier du VIIème arrondissement assez mal meublé.
Gris sur gris, l'homme m'accueille avec la componction des prélats. À peine suis-je assis que JN Bongrain de sa voix doucereuse me pose une question.
« Monsieur Berthomeau pourriez-vous me citer les vertus cardinales ? »
Inversion des rôles, d'ordinaire mes interlocuteurs me cirent les pompes, lui me met en difficulté. Il sait que je suis un pur produit de l'enseignement catholique vendéen. Il me teste. Dans les tréfonds de mes souvenirs de catéchisme je ne retrouve que les 3 vertus théologales : la foi, l'espérance et la charité mais du côté des cardinales, qui elles sont au nombre de 4, je suis à la ramasse.
Pourtant je m'arrache et risque la justice et le courage puis je jette l'éponge. JN Bongrain, toujours aussi chanoinesque me félicite, d'ordinaire ses interlocuteurs sèchent totalement. Il complète ma liste : la prudence et la tempérance... Vous comprenez mieux maintenant pourquoi mon coeur penche du côté du vin plutôt que vers les produits laitiers...
Ensuite nous parlâmes perspectives…
L’Est Républicain du 20/06/2019 m’apprend :
Créateur du célèbre Caprice des Dieux, fondateur d’un groupe fromager devenu le n°2 français et n°4 mondial, le Haut-Marnais Jean-Noël Bongrain est décédé à l’âge de 94 ans. Homme d’une très grande discrétion, il a été inhumé lundi à Illoud, village de ses débuts. Ses obsèques se sont déroulées dans la plus stricte intimité, selon sa volonté.
C’est en 1956 que Jean-Noël Bongrain a élaboré le Caprice des Dieux dans la fromagerie paternelle d’Illoud où se trouve toujours l’usine. La recette, alliée au réel sens de la communication de son inventeur, a fait de ce fromage un succès mondial : il s’en est écoulé plus de trois milliards d’exemplaires. Sous sa houlette, la société va développer et acquérir des spécialités fromagères et des pâtes molles (Tartare, Cœur de Lion, Saint-Moret, Vieux Pané, Bresse Bleu…). En 2004, il en a cédé la présidence à son fils Alex. En 2015, Bongrain a changé de nom pour s’intituler Savencia Fromage & Dairy (CA : 4,9 milliards en 2017). Présent dans 120 pays et employant 20. 000 personnes, le groupe s’est diversifié dans la charcuterie (Bordeau-Chesnel) et le chocolat (Valrhona, La Maison du chocolat).