Il fait enfin soleil, j’enfourche mon vélo pour filer jusqu’à la librairie Jonas 14 Rue de la Maison Blanche dans le 13e.
Je glane et je repars m’installer face à une petite mousse en terrasse pour explorer mon butin.
Je commence par le plus imposant. La France chroniques Aurélien Bellanger Gallimard France Culture.
Je feuillette, et très vite je tombe sur Michel Rocard.
Aurélien Bellanger en a croisé beaucoup de Premier Ministre mais il avoue que « Ma meilleure rencontre avec un Premier Ministre, c’était avec Michel Rocard. »
L’entretien est organisé par le magazine Usbek et Rica, un an avant sa mort.
Le père Rocard est un peu sourd croit qu’ils sont ouzbeks. Gentiment ils le font revenir vers eux en lui expliquant qu’Usbek et Rica sont les deux protagonistes des Lettres Persanes.
L’objet de l’entretien : Comment peut-on être français ?
« Là, soudain, ses yeux se sont mis à briller. Il nous a demandé si on préférait la réponse courte ou la réponse longue. On a dit : ma longue. Il nous a prévenus : ça fera quarante-cinq minutes. On a dit oui quand même. Et ça été un moment prodigieux. »
« L’idée de départ, c’était de monter cette rencontre aux Arts et Métiers, dans l’un des plus vieux musées techniques et industriels au monde, histoire de se mettre dans l’ambiance. Finalement, la rencontre s’est faite dans le bureau de Michel Rocard, dans le VIIe arrondissement de Paris. Moins glamour. D’autant qu’on a très vite compris que le dialogue tant attendu n’aurait pas vraiment lieu. L’ancien Premier ministre nous reçoit assis derrière son bureau, encombré de livres et de manuscrits. Dans son dos, près de la fenêtre, trône une maquette de bateau à voile. Il invite Aurélien Bellanger à prendre place de l’autre côté de la table, celui d’où l’on pose les questions. »
Photographie réalisée par Cyrille Choupas pour Usbek & Rica.
« Notre hôte s’engage alors dans un long mais passionnant monologue sur le rapport de la France au futur, puisant dans ses souvenirs autant que dans l’histoire de notre pays. Michel Rocard est un grand témoin que l’on écoute parler, pas un pair avec qui l’on discute. Heureusement, le romancier comprend vite de quoi il retourne et accepte de se mettre dans la peau du journaliste. Deux heures plus tard, tandis que l’ancien Premier ministre s’éclipse pour déjeuner, Aurélien Bellanger acceptera de prolonger l’échange en plus petit comité, dans un restaurant du quartier, pour nous en dire plus sur cet entre-deux siècles français qu’il met en scène dans ses romans. »
L’ancien Premier Ministre de la France nous a expliqué calmement que la France était un pays colonial, à ceci près que sa clonie principale, c’était la province. Il avait évoqué aussi pêle-mêle, le corporatisme des grands corps de l’État, ces modernisateurs ambigus, car tout imprégnés encore du féodalisme de la robe, l’Académie française, cette structure vestigiale de l’absolutisme, ainsi que cette perversion intrinsèque du capitalisme français, qui conduisaient des entreprises à utiliser la rhétorique de l’aménagement du territoire pour se lancer dans des concessions impossibles – électrification de la Bretagne, le désenclavement du Massif Central – afin de revenir au plus vite se placer dans le giron de l’État, ce régime déguisé de la faillite.
C’était passionnant. »
- Michel Rocard, dans la France de 2015, l’ambiance est au « déclinisme » : tout le monde s’alarme de la situation du pays et de sa dégradation potentielle. Dans votre nouveau livre, vous citez une phrase de l’écrivain Emil Cioran qui, bien que datant de 1941, entre en résonance avec l’état d’esprit actuel : « Une nation ne peut être indéfiniment génératrice de foi, d’idéologies, de formes étatiques et de vie intérieure. Elle finit par trébucher. » Alors, la France at-elle trébuché ?
Michel Rocard : Cette phrase est magnifique, n’est-ce pas ? Oui, la France se porte mal, elle est en train de trébucher.
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Bellanger conclut sa chronique :
« Je me suis souvenu de alors de l’endroit où Michel Rocard avait choisi de se reposer : à Monticello, en Corse, en haut d’une falaise et en face de la France. Il y avait, dans son bureau, des photos de lui en planeur. Sport qu’il avait beaucoup pratiqué, et qui a pour théâtre invisible une carte des vents, carte largement corrélée à la carte géologique, mais qui repose, c’est tout le charme du vol à voile, sur l’exploitation des singularités de celle-ci, comme les arêtes rocheuses ou les falaises, qui permettent de se désolidariser soudain du pays réel. C’était comme s’il reposait là-bas, à Monticello, sur ces légers thermiques qui lui promettaient de continuer à s’élever toujours, loin des écrasantes masses d’air de l’État nation. »
12 septembre 2016
Ma supplique pour être enterré dans le cimetière sur les hauts de Monticello… ICI
2 novembre 2014
L’Aménagement du territoire (Gallimard, 2014). d’Aurélien Bellanger
Son deuxième roman, l’histoire d’une lutte symbolique et tragique entre un haut fonctionnaire républicain et un grand patron du BTP dans un petit village de Mayenne, où la France se révèle comme une construction historiquement artificielle et fragile.
Les paysans de l’Arche perdue aux marches de Bretagne (1) : « Ils parlaient un mélange de français et de patois difficilement compréhensible »
Pour bien comprendre le texte d’Aurélien Bellanger tiré de son livre paru chez Gallimard « L’Aménagement du Territoire » vous trouverez toutes les explications à la suite du texte ci-dessous : ICI
Le recueil de chroniques radio d'Aurélien Bellanger
Quatre-vingts secondes ce matin sur un recueil de chroniques radio, quelle drôle d’idée. On le doit à l’écrivain Aurélien Bellanger qui officie tous les