Je viens de lire Black Blocs d’Elsa Marpeau.
La vie de Swann, technicienne en biologie à Jussieu sans histoire bascule le jour où, en rentrant chez elle, elle trouve son compagnon Samuel, assistant en sociologie à la fac, abattu d’une balle dans le dos. Elle découvre à l’occasion qu’il militait dans des groupes que les flics et la presse qualifient d’ultragauche. Pour venger Samuel, pour savoir qui l’a tué, elle va s’immerger dans un de ces Black Blocs. S’immerger et se perdre peu à peu, jusqu’à douter de tout, y compris de sa santé mentale.
Bonne doc sur l’écosystème où nagent les black blocks et nos chers agents de la DGSI et de la SDAT la référence déclarée à l’affaire de Tarnac et à l’absurdité et l’énormité de ce qui a été dit et publié par la police, la justice et les ministères et relayé par une bonne partie de la presse semble aller dans ce sens mais l’intrigue est tellement tordue que ça ne m’a guère convaincu.
« Un demi-ratage d'autant plus triste que beaucoup d'ingrédients étaient présents pour obtenir un bon roman, et que la capacité de l'auteur à brosser des portraits rapides mais saillants reste impressionnante.
Mais une ambiguïté trop forte l'emporte in fine : tout y semble trop artificiel et accidentel, entre Black blocs réduits fortement, pour l'essentiel, à des gamins irresponsables, tandis que leurs adversaires policiers sont soit d'odieux cyniques (ce qui pourrait passer) soit de purs psychopathes (et là, sans humour, non, désolé, ça ne marche pas)... Les citations parfois habiles, mais souvent joyeusement mélangées en une bouillie infâme (ironique, certes, lorsque les anti-terroristes sont à l'oeuvre - mais plus difficile à saisir lorsqu'il s'agit de "théoriciens spécialistes" anarchistes, qui savent au moins lire, en général...). »
Ceci écrit j’ai coché deux passages où le divin nectar de Bordeaux encensé par nos chers critiques occupe une place de choix.
- Ça t’a fait quoi d’être arrêtée ?
Aurélie fixe Swann avec curiosité. Swann réfléchit. Elle commande une deuxième bouteille de bordeaux.
En contemplant le liquide rouge sombre, elle se souvient de la visite des vignobles dans la résidence secondaire des Bordat, le jour où elle les a rencontrés. Le père de Samuel lui a expliqué les cépages l’ensoleillement, la terre. Il faisait un soleil de plomb. Le paysage était magnifique. Jamais Swann ne s’était sentie aussi minable. Humiliée par leur aisance à marcher dans les vignes sans salir leurs chaussures en crêpe, par leur amabilité imperturbable, par leur culture, par la beauté du paysage. Samuel l’avait senti. Entre deux dissertations paternelles, il lui avait glissé :
- T’inquiète, tu pourras quand même boire un Ricard en rentrant.
[…]
Cuisine. Swann lui a préparé une surprise. Elle est allée faire des courses. Elle a acheté un rôti et une bouteille de chasse-spleen 99. Elle débouche la bouteille pour l’aérer, comme Samuel le lui a appris. Elle mt la viande au four. Il est vingt heures. À vingt et une heures, Samuel n’est toujours pas rentré. Son portable est coupé. Le rôti est déjà trop cuit. Swann boit cul sec deux verres de vin. Il rentre à vingt-deux heures. Le rôti a brûlé. La bouteille est finie. Il s’excuse. Il a dû corriger une thèse avec un étudiant largué. L’imaginer discutant sociologie fait enrager Swann. Elle s’approche de Samuel et le frappe au bras. Il se défend. Elle frappe à nouveau. Il serre son poigne. Il le broie. Elle retient son cri par défi. Elle se libère en lui mordant la main. Elle jette le rôti par la fenêtre. Samuel se penche et observe le morceau de viande, pitoyablement écrasé par terre. Ils éclatent de rire. Swann leur sert deux verres de Ricard.
[…]
Justine verse à Swann un verre de bordeaux grand cru. La bouteille évoque Samuel. Il lui tendait toujours son verre pour trinquer. Il le tenait par le pied pour ne pas réchauffer le vin.