La nouvelle intéresse la presse, et c’est normal, l’homme en vaut la peine, le Point ICI titre Fin de partition pour le juge Van Ruymbeke: « aujourd'hui, les affaires ne sont plus étouffées »
Kerviel, Karachi, Cahuzac... L'emblématique juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke a incarné la lutte contre les fraudes et la corruption en se confrontant souvent aux hautes sphères du pouvoir. A l'heure de la retraite, ce magistrat mesure les progrès réalisés. Mais « il n'y a jamais eu autant d'argent sale ».
De ses débuts à Caen au pôle financier de Paris, « ce fut un parcours tout sauf paisible, semé d'embûches, mais je n'ai jamais renoncé », raconte dans un entretien à l'AFP le juge, pianiste à ses heures, qui se décrit comme un « besogneux » à l’ «intelligence moyenne »
« J'ai commencé dans une période où l'on ne traitait pas des dossiers politico-financiers, cela n'existait pas », témoigne ce fils d'un haut fonctionnaire énarque.
Et là je me dis, moi je connaissais bien le papa André Van Ruymbeke le patron du FORMA.
Ce que je vais écrire n’est ni un procès à charge à son endroit, ni une pierre jetée dans le jardin de son fils, simplement le témoignage qu’en ce temps-là, ce temps que l’on badigeonne aujourd’hui du c’était mieux avant.
En effet, le couplet de nos jours c’est que sous de Gaulle puis Pompidou la France naviguait sur un océan de bonheur béat, consommait à tour de bras dans les nouveaux temples inventés par le père Leclerc et les fondateurs de Carrefour, tout était net et propre, les Français ne râlaient pas ils partaient joyeux et contents en congés-payés à Palavas-les-Flots, tout allait bien madame la marquise.
Mais, à y regarder de plus près, il est tout de même permis de noircir un peu ce tableau idyllique en pratiquant un zoom arrière sur cette période.
Je planchais alors sur ma thèse de doctorat sur le porc et je montais à Paris pour alimenter ma documentation. J’allais bien évidemment rue Barbet de Jouy, siège de la DIAA, la direction des Industries Agro-alimentaires, mais aussi au FORMA, Fonds d’Organisation et de Régulation des Marchés Agricoles, sis rue Saint-Charles.
Qu’était-ce donc le FORMA ?
Là où se situait le pouvoir économique des subventions et du pognon de dingue que déversait le Marché Commun pour soutenir les prix agricoles. C’est un peu court comme définition mais ça reflète la réalité de l’époque : le directeur du FORMA discutait d’égal à égal avec le Ministre de l’Agriculture.
Et puis le Monde du 4 août 1971 titrait :
M. VAN RUYMBEKE QUITTE LA DIRECTION DU FORMA pour celle d'un grand groupe coopératif de l'Ouest
M. André Van Ruymbeke quittera à la rentrée la direction du Fonds de régularisation des marchés agricoles (FORMA) pour prendre celle de la société d'intérêt collectif agricole Ouest-Lait.
Cette société regroupe plusieurs affaires importantes, notamment l'Union laitière normande et Négobeureuf ; elle a une participation dans l'Union des coopératives Fromançais et dans le Comptoir agricole français, deux sociétés commerciales. L'ensemble forme un groupe qui réalise près de 2 milliards de francs de chiffre d'affaires. Il compte parmi les toutes premières firmes de l'industrie alimentaire française et se classe au premier rang du secteur coopératif.
L'Union laitière normande et Négobeureuf avaient cependant connu ces derniers mois des difficultés financières. Leur réorganisation en cours a déjà conduit à un rapprochement avec UNI-COPA, un autre groupe coopératif important de l'Ouest. L'arrivée de M. Van Ruymbeke se situe, estime-t-on, dans cette perspective de regroupement des industries coopératives de cette région.
Né le 17 mars 1921 à Lausanne (Suisse), M. Van Ruymbeke a été successivement administrateur civil au ministère des affaires étrangères, administrateur civil, puis sous-directeur à l'administration centrale des affaires économiques, avant d'être nommé, en 1966, chef de service à la direction des relations économiques extérieures (D.R.E.E.). M. Van Ruymbeke devait, de février à août 1968, occuper le poste de directeur des industries agricoles et alimentaires au ministère de l'agriculture, puis être nommé directeur du FORMA.]
Il en était ainsi dans les années Pompidou un haut-fonctionnaire, qui avait la main sur la distribution d’argent public, national et communautaire, et le secteur du lait était l’un des principaux bénéficiaires, partait gentiment sous les applaudissements gérer la plus grande entreprise laitière de l’hexagone (en effet, à cette époque Besnier était encore une petite boîte de Laval fabricant du calemdos)
Qu’entendrions-nous aujourd’hui sur les réseaux sociaux, dans la presse bien-pensante, chez les politiques de tous poils avec mention spéciales aux deux bouts, du côté des bons français bouffant du haut-fonctionnaire matin, midi et soir.
Cette pratique, à l’ULN, perdura, puisque lorsqu’André Van Ruymbeke parti à la retraite c’est Denis Gautier-Sauvagnac énarque qui devint directeur général entre 1981 et 1985, puis lorsque celui-ci devint directeur de cabinet de François Guillaume ministre de l’Agriculture, Christian Prieur, directeur du FORMA, prit sa succession.
L’ULN rompit avec cette pratique lorsque la perfusion de subventions atteint ses limites, que le soutien communautaire au beurre et à la poudre de lait ne faisaient pas une politique commerciale, en embauchant Alain Juillet ancien cadre du groupe Pernod-Ricard, parent du Juillet de Pompidou, comme directeur général adjoint chargé du développement international (1988-1992), puis directeur général (1992).
Ce ne fut pas une bonne pioche, notre amena joyeusement l’ULN à la faillite mais c’est une autre histoire.
(1) Wikipédia
André van Ruymbeke, participe activement à la Résistance, durant l'Occupation allemande. Il rejoint le Maroc, puis participe au débarquement de Provence, et à la libération de Toulon.
Licencié ès lettres, il entre en 1947, à l'ENA dans la même promotion que Michel Poniatowski.
Il intègre la direction des affaires administratives et sociales du ministère des affaires étrangères en 1949, puis il entre au secrétariat d'État aux affaires économiques en 1958. Il est nommé sous-directeur de l'administration des finances en 1962, puis prend la tête de la division chargée des relations avec les pays sous-développés au sein de la Direction des relations économiques extérieures (DREE).
En avril 1966, il devient chef de service et chargé des négociations internationales et administrateur de l'organisme franco-algérien de coopération industrielle.
Directeur des industries agricoles et alimentaires au ministère de l'agriculture à partir de février 1968, il est nommé en août directeur du Fonds d'orientation et de régularisation des marchés agricoles (FORMA) en remplacement de Pierre Lelong.
Il devient dans les années 1970-80 directeur de l'Union laitière normande, alors première coopérative française avec 11 000 employés. Il habite alors le château d'Agneaux dans la Manche.
Il se retire par la suite dans le Var, où il sera maire de Cogolin.
Il est le père du magistrat Renaud van Ruymbeke et de l'historien Bertrand Van Ruymbeke et le grand-père de l'éditeur Thomas van Ruymbeke, directeur des Éditions Les Perséides
PREAMBULE:
Tout part en 1971 de la décision de François Mitterrand, devenu premier secrétaire du nouveau PS, de créer une société chargée essentiellement de centraliser et de récolter des fonds perçus à l'occasion de la passation de marchés publics, en vue des campagnes électorales à venir. La perquisition effectuée mardi par le juge Van Ruymbeke au siège du PS à Paris est le dernier épisode d'une histoire commencée en juin 1990 par un banal accident du travail au Mans (Sarthe).
INTRODUCTION:
Une dalle de béton s'effondre sur un chantier de construction d'un immeuble destiné à abriter des services de la Communauté urbaine. Deux salariés de l'entreprise Heulin trouvent la mort. Le juge Thierry Jean-Pierre instruit le dossier.
CHAPITRE No 1:
Le 8 janvier, «je débouche par hasard sur un témoin, membre du PS, qui me parle d'autre chose et notamment de l'attribution de marchés publics dont les commissions vont au Parti socialiste», confiera plus tard le juge au cours d'une interview accordée à «l'Humanité» (17-4-1991). Le parquet ouvre alors une information contre X pour extorsion de fonds, faux et usage de faux et corruption.
CHAPITRE No 2:
L'ex-inspecteur Gaudino vient de publier le livre «l'Enquête impossible». Il s'agit de l'affaire des fausses factures de Marseille mettant en cause la SORMAE, Urba, sept responsables politiques de droite, six socialistes ainsi que Gérard Monate, socialiste et P-DG d'Urba. L'inspecteur dévoile le mécanisme du financement du PS après le refus du parquet d'ouvrir une information judiciaire et la mutation du policier dans un autre service. Il sera d'ailleurs ensuite révoqué de la police pour avoir publier ce livre. Lors d'une perquisition au siège marseillais d'Urba, l'inspecteur Gaudino avait mis la main sur les fameux cahiers d'un certain Delcroix. Ce militant PS a noté avec application le contenu de toutes les réunions d'Urba. Le 28 mars, le juge s'intéresse à ce document.
CHAPITRE No 3:
Grâce aux cahiers, le juge Jean-Pierre met en lumière le rôle de Christian Giraudon, délégué régional d'Urba pour les Pays de la Loire, qui est interpellé, inculpé et écroué. Urba au Mans, Urba à Marseille, Urba au niveau d'une région, les ramifications se précisent. Poursuivant son enquête contre X, Thierry Jean-Pierre décide le dimanche 7 avril de perquisitionner dans les locaux parisiens d'Urba. Il est aussitôt dessaisi de l'affaire, le garde des Sceaux, Henri Nallet, ex-trésorier de la campagne présidentielle, qualifiant la perquisition d'«équipée sauvage» et le ministre de la Justice parlant de «cambriolage judiciaire». Le juge confiera son amertume à «l'Humanité»: «1981 marquait pour moi l'arrivée d'une éthique, d'une certaine morale. (...) C'est pour cela qu'on élit la gauche. Et quand on voit ce qu'elle est devenue dix ans plus tard, c'est vrai que ça rend très très amer.» La procédure mise en oeuvre par le juge sera néanmoins déclarée le 19 avril «conforme au droit» par la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Angers.
CHAPITRE No 4:
Fin décembre 1991, reprenant le dossier ouvert par le juge Jean-Pierre, Renaud Van Ruymbeke enquête sur une autre affaire de commissions sur des marchés publics au Mans. La piste Urba, encore. Il effectue des perquisitions le 13 janvier, notamment dans les locaux de la fédération du PS de la Sarthe. Jacques Jusforgues, premier secrétaire, conseiller régional PS, et Pierre Villa, ancien adjoint au Mans, sont interpellés.
CONCLUSION (provisoire):
Le juge décide de perquisitionner au siège parisien du PS le 14 janvier. Puis il inculpe, le 15, les deux élus PS du Mans.
Dominique Bègles