« Le goût japonais s’appauvrit de jour en jour, les saveurs naturelles s’effacent au profit du synthétique et la variété part aux oubliettes »
Nishida san « la silhouette fine, le yeux pétillants, le port droit […] C’est un homme gracieux d’une soixantaine d’années, de cette beauté masculine digne et forte qui n’a pas eu besoin d’oublier les fragilités de son enfance pour exister. Responsable de la formation des moines à Eihei-ji et spécialiste du Tenzo Kyôkun (Instruction du cuisinier zen, de Dôgen Zenji, 1236), il reçoit chaque jour des laïques venus de tout le Japon pour entendre cette parole d’un autre âge leur parler de nourriture. »
Il porte un kolomo : kimono traditionnel des moines dont la spécificité est d’avoir de très longues manches. »On dit qu’ainsi elles emmènent avec elles les illusions des personnes devant lesquelles les moines passent. »
« Son discours est sans détour et son introduction s’enfonce comme une flèche dans l’ambiance quelque peu figée de l’assemblée. Il prend pour exemple les yaki soba (plat populaire de nouilles sautées) sur lesquelles, de tout temps, n’étaient saupoudrés que quelques condiments et qui sont aujourd’hui largement arrosées de mayonnaise ou d’une sauce brune ultra sucrée. Tout est devenu excessivement sucré ou excessivement salé, afin de compenser le manque de plénitude que seule peut offrir la palette complète des saveurs. Cette réduction minimale du goût de nos assiettes expliquerait, selon lui, la perception binaire que l’on porte à notre être : on est bon ou mauvais, triste ou joyeux, riche ou pauvre. Effacées les nuances, enfuies les demi-teintes, nous ne savons plus faire la différence entre la nostalgie et la mélancolie, l’amertume ou le ressentiment. Et même s’il le dit avec le sourire, la vérité de ses phrases sonne comme les sentences : notre perception est la conséquence directe de ce que nous mangeons et si le goût est dénaturé, notre vie devient, s’il est perverti, notre monde l’est aussi. Il semble pour Nishida san qu’il y ait une corrélation directe entre le manque de saveurs (en termes de variété) et l’incapacité à nous juger tel que nous sommes.
Pire, cette incapacité à percevoir les finesses de notre être aurait pour conséquence grave un jugement réducteur porté sur les autres : l’autre est gentil ou méchant, moche ou beau, intéressant ou pas, et au final deux camps se constituent, ceux que l’on aime et les autres. Il est vrai que l’on entend souvent des enfants dirent « je n’en veux pas, car je n’aime pas » quand en fait ils veulent dire « je n’en veux pas, car je ne connais pas ». Pour Nishida san, le danger est là, celui de l’ignorance. Sa conférence se termine par une invitation à méditer : si ne pas connaitre c’est ne pas aimer, alors notre rapport à l’aliment devient le reflet de notre rapport au monde. »
« Eihei-ji fut construit en 1241, et si la tradition japonaise invite à changer régulièrement les matériaux, le bâtiment central est encore d’origine. Littéralement implanté dans la montagne, le corps de bâtiment vu du jardin se présente comme un château des songes : beauté, force et sérénité s’en dégagent. Le bois y apporte sa douceur. » ICI
Le goût silencieux
La pratique zen de la nourriture
VALÉRIE DUVAUCHELLE
CHRISTIAN DUMAIS-LVOWSKI
Inspirée de la tradition zen de la Chine et du Japon, la « cuisine de la bienveillance » (shôjin ryôri) permet de renforcer son lien à la nourriture, retrouver son espace intérieur et contribuer à la guérison du monde. Cet ouvrage est une invitation à repenser la façon de nous alimenter, à agir avec bon sens.
Réveiller le corps de la Terre en nous, retrouver le lien à la nourriture et ressentir que chaque bouchée a le goût des étoiles, des lacs, de nos ancêtres, se reconnecter à la réalité profonde de l’alimentation pour enfin manger et vivre pleinement est la réponse de la shôjin ryôri à la situation de notre monde en transition.