Nous sommes heureux d'offrir à nos lecteurs la première traduction française de cet essai de Sebastian Haffner. Et cela pour deux raisons. Parce que la Commune de Paris fut un événement considérable, qui a inspiré les révolutions du XXe siècle et qui a posé les enjeux de ce siècle et peut-être du nôtre. Parce que Sebastian Haffner. Il alliait l'amour de la liberté et une intelligence profonde de l'histoire et de la politique.
Nous avons pu publier ce texte grâce à l'aide du professeur docteur Markus Kerber et des éditions Europolis que nous remercions. Cet essai a été publié en allemand pour la première fois dans le magazine Stern du 14 mars au 11 avril 1971, puis reproduit dans Im Schatten der Geschichte. Historisch-politische Variationen aus 20 Jahren (Stuttgart, DVA, 1985).
Jean-Claude Casanova revue COMMENTAIRE
Le massacre de la Commune de Paris a la même signification pour la Révolution mondiale que le Golgotha pour le christianisme. Le Reich allemand dura soixante-quinze ans, la Commune de Paris seulement soixante-douze jours. Mais un siècle plus tard le Reich – qui fut proclamé à Versailles – appartient irrémédiablement...
Sebastian Haffner, n’est pas un inconnu pour moi dans son « Histoire d'un allemand, souvenirs 1914-1933 » un livre qui m’a ouvert les yeux, un livre magnifique.
L’auteur, un magistrat protestant, qui n'essaie pas de se donner un beau rôle, décrit comment la société allemande policée et cultivée bascule petit à petit dans l'acceptation du nazisme.
Le court essai qu’Haffner a consacré à la Commune de Paris occupe une place singulière dans son œuvre. C’est le regard d’un grand intellectuel allemand sur la plus grande tragédie sociale du XIXe siècle en France.
Que trouve-t-on dans ce texte?
Non pas une nouvelle histoire de la Commune mais une réflexion approfondie sur sa signification et ses répercussions.
Les faits essentiels sont rappelés sans rien omettre de la barbarie versaillaise ni de la répression judiciaire qui en a prolongé les effets.
Mais Haffner évoque également les idées «communardes» qui allaient plus tard être reprises dans la législation sociale. Il s’attache à montrer l’attitude évolutive de Marx d’abord très sévère pour l’aventurisme du soulèvement populaire spontané avant de reprendre le flambeau de la Commune assassinée dans La Guerre civile en France, flambeau qui sera repris à son compte par Lénine.
Historiquement, conclut Haffner, la Commune est certes une page de l’Histoire de France mais l’opprobre qui s’attache encore au souvenir de son écrasement en fait un mythe universel. En une formule qui rappelle le début du Manifeste communiste il écrit? : « Les spectres des fusillés continuent de se battre aujourd’hui encore. Ils hantent toutes les révolutions du XXe siècle.»
Le dimanche des Rameaux 2 avril 1871, on entendit à Paris gronder les canons. Les gens crurent d’abord qu’on tirait quelque part des salves d’honneur. En réalité, c’était la guerre civile qui commençait. Le Ministre-Président Thiers n’avait jamais accepté la défaite du 18 mars, quand il avait dû fuir Paris avec ses ministres et l’armée. Il avait fait réoccuper dès le lendemain le principal fort parisien, le Mont-Valérien, les troupes démoralisées furent reprises en main à Versailles, on en rassembla de nouvelles en Normandie et en Bretagne, et, le 1er avril, Thiers annonça à l’Assemblée nationale : « L’Assemblée siège à Versailles, où s’achève de s’organiser une des plus belles armées que la France ait possédée ; les bons citoyens peuvent se rassurer et espérer la fin d’une lutte qui aura été douloureuse mais courte. »
Il disposait à présent de 60 000 hommes, et on leur avait assigné pour le lendemain un premier test : la prise d’un poste avancé de la Commune aux abords de Paris, trois brigades contre trois bataillons, un jeu d’enfant. Tout se déroula comme prévu. Les trois bataillons de la Garde nationale parisienne furent délogés après une vaillante défense. Dans Paris ce ne fut qu’un cri – un cri d’indignation plus que de peur. Quelle insolence ! La Commune allait leur montrer ! Le 2 avril au soir, le tocsin sonna à Paris, les gardes nationaux se précipitèrent vers leurs lieux de rassemblement, on entendait partout crier : « À Versailles ! »
Sebastian Haffner, de son vrai nom Raimund Pretzel, est un écrivain et journaliste allemand.
Issu d'une famille de la moyenne bourgeoisie protestante, Sebastian Haffner commence sa carrière dans le droit. En 1938, il quitte son pays, jugeant le régime nazi exécrable. Après un passage de quelques semaines à Paris, où il fréquente d'autres allemands exilés, il s'installe en Angleterre.
Il mène alors une vie extrêmement précaire. Avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, l'éditeur Warburg lui commande un livre où il raconterait son expérience d'allemand anti-nazi. Mais la guerre éclate et le manuscrit n'est pas publié.
Sebastian Haffner retourne dans son pays en 1954. Il y mène une carrière de journaliste et d'historien reconnu.
Il est mort en 1999 sans avoir jamais cherché à publier sa très personnelle Histoire d'un Allemand, rédigée soixante ans plus tôt et cachée au fond de son bureau. Publié pour la première fois en 2000, après sa découverte, ce récit remporta un succès considérable en Allemagne.
Source : Wikipédia