Les Valseuses, comédie réalisée par Bertrand Blier, 1974.
Être décontracté du gland jaillit au grand jour en 1974 grâce à Bertrand Blier et au talent d’écorché de Patrick Dewaere, à la gouaille de Gérard Depardieu et à l’innocence de Miou-Miou.
Jean-Claude conduisant une DS (la voiture du président de la République pour situer le niveau de transgression) s’adresse à son poteau Pierrot :
– On n’est pas bien là ?
– Si.
– Paisibles… À la fraîche… Décontractés du gland. Et on bandera quand on aura envie de bander.
Les Valseuses, film réalisé par Bertrand Blier, 1974.
Si vous tancez le langage suranné d’un tant soit peu de vulgarité, il vous rétorquera que ça lui en touche une sans faire bouger l’autre. Et il aura bien raison : comme dirait Maurice, Messieurs les censeurs, bonsoir¹ !
Ceci posé, nous allons tenter sans censure ni outrance, d’aborder une définition sensible en tous points. Être décontracté du gland est une attitude oscillant entre l’apathie béate post coïtum et le lymphatisme généré par la chaleur épaisse des langueurs océanes², bref une affection de l’âme accessible par la consommation de produits illicites ou par la production d’hormones adolescentes pubères.
¹1971, L’insaisissable Maurice Clavel quitte un plateau télé de À armes égales, furieux d’une censure exercée sur son film d’avant débat. Un grand moment de télévision.
²Notamment celle du port d’Amsterdam, là où il y a des marins qui boivent, et qui boivent et reboivent, et qui reboivent encore.
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Le 16 juillet 1982, Pierrot, alias Patrick Dewaere, emporte avec lui l’art d’être décontracté du gland.
Ils étaient si proches qu’on aurait dit des frères. Avec l’aîné, Depardieu, un peu plus fort, un peu plus rentre-dedans, et Dewaere, dans le rôle du cadet, plus fragile.
Leur duo fusionnel dans Les valseuses, film culte sur la jeunesse et la liberté sorti en 1974 et signé Bertrand Blier, avait encore renforcé leurs liens. Dès que les caméras s’éteignaient, les deux enfants terribles restaient dans la peau de leurs personnages : ils piquaient la DS qui servait au tournage et partaient faire les voyous où bon leur semblait…
Il avait d’ailleurs fallu deux semaines supplémentaires au réalisateur pour terminer son film, tant les deux compères, qui semblaient s’être bien trouvés, paraissaient ingérables et ne respectaient que leurs propres règles…
Hélas, on le sait, Patrick Dewaere a mis fin à ses jours en 1982. Le 16 juillet.
En été, quand la vie semble plus douce, lui, l’acteur surdoué, a décidé que plus rien n’était possible. Il a attrapé un fusil, s’est rendu dans sa salle de bains, et là, se regardant peut-être dans le miroir, acteur et spectateur de son suicide, s’est tiré une balle sous le menton.
Mal de vivre
Bien sûr, comme à chaque fois, on a alors cherché la raison de ce geste terrible. Certes, il y avait la drogue, l’héroïne, qui adoucissait son mal de vivre. Le comédien, qui allait tourner Édith et Marcel, avait arrêté net d’en consommer, sur l’injonction de Claude Lelouch. Il était donc particulièrement fragile dans cette période de sevrage.
Mais il y avait aussi un chagrin d’amour. La femme de sa vie, Elsa, connaissant elle aussi des problèmes d’addiction, lui aurait annoncé qu’elle voulait le quitter. Et Dewaere était persuadé qu’elle avait une relation avec Coluche. Lola, leur fille, comédienne, âgée aujourd’hui de 37 ans, en parlait à notre confrère Paris Match, en 2010.
«[Ma mère] m’a dit qu’à ce moment-là elle était partie “décrocher” en Guadeloupe sur l’invitation de Coluche. C’était la première fois qu’elle n’accompagnait pas mon père sur un tournage. L’après-midi de sa mort, [mon père] a parlé à ma mère au téléphone et lui a demandé de revenir, mais elle a refusé car, m’a-t-elle dit, elle se sentait encore trop fragile. […] Je crois qu’après leur conversation téléphonique, mon père a reçu un autre coup de fil. Quelqu’un lui a balancé que Coluche et ma mère étaient ensemble. Je ne leur jette pas la pierre : à l’époque, tout le monde avait des aventures avec tout le monde. Mais, pendant cette période sans drogue, je pense que mon père l’a vécu comme la trahison suprême, Coluche étant son meilleur ami.»
La disparition de Dewaere, Depardieu en a aussi profondément souffert. En 1988, il a adressé une longue lettre hommage à son alter ego, une vraie déclaration d’amour. Au fil des mots, on pouvait y lire : «Ce n’est pas tellement que tu n’avais plus envie de vivre, mais tu souffrais trop, de vivre. Chaque jour, tu ressassais les mêmes merdes, les mêmes horreurs dans ton crâne. À la fin, forcément, tu deviens fou.»
De quoi Depardieu voulait-il parler ? Et pourquoi dit-il plus loin qu’il n’avait pas été surpris par son suicide ?
Aujourd’hui, alors qu’il publie un nouveau livre, Monstre, aux éditions du Cherche midi, dans lequel il évoque son ancien complice, Gérard vient de faire une bouleversante révélation, qui explique peut-être la violence avec laquelle son ami abordait l’existence. Et la violence avec laquelle il l’a quittée. «Patrick Dewaere a été abusé sexuellement durant son enfance. Il avait un encombrement en lui que la drogue a, un temps, mis en paix», a-t-il confié, le 29 octobre au Journal du dimanche.
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