Qui c’est ce Bourgeois me direz-vous ?
Pas un gars de Calais mais un vieux de la vieille comme moi à qui on ne la fait pas, un gars de l’APCA, soit l’assemblée permanente des chambres d’agriculture, un truc de l’ancien monde, un homme de chiffres et de bon sens que j’ai croisé dans ma vie officielle quand nous discutions des chiffres officiels des comptes de l’agriculture.
L’un de mes ministres, Louis Mermaz, détestait l’annonce de l’évolution du revenu agricole en me disant avec un certain bon sens que le Ministre du commerce et de l’artisanat ne proclamait pas les chiffres de l’évolution du revenu des bouchers, des charcutiers, des vendeurs de 4 saisons.
J’avais beau lui dire qu’il n’y couperait pas, il boycottait la conférence de presse.
Lucien Bourgeois, est à la retraite, il fut responsable des études économiques et de la prospective du réseau Chambres d’Agricultures à l’APCA à Paris, secrétaire de la section Economie et Politique de l’Académie d’agriculture, et ancien Président de la Société française d’économie rurale, consultant chez TransFormation associés depuis 2008, comme responsable des études économiques et de la prospective du réseau Chambres d’Agricultures à l’APCA à Paris. Il est membre des Comités de rédaction de la revue « Paysans » et du livre annuel DEMETER. Il est membre du Conseil scientifique de la Fondation ResPublica et de la Mission des Agrobiosciences.
C’est un fervent mais lucide défenseur d’un volontarisme politique dans le secteur agricole au niveau national, européen et mondial. Lorsqu’il s’agit d’exprimer ses convictions, cet homme n’hésite pas à prendre la plume. Il est ainsi l’auteur de plusieurs ouvrages - « Politiques agricoles » (Flammarion, 1993), « La sécurité alimentaire, une affaire d’Etat », dans la revue Futuribles (janvier 2007) -, ainsi que de nombreux articles dans la revue « Chambres d’Agriculture » et « Paysan ».
Il tient un blog ICI
Donc pas un ramier comme moi qui passe mon temps à boire des vins qui puent et à manger dans des cantines à bobos parigots têtes de veaux.
Il vient de mettre des points sur les I à propos des chiffres misérables du revenu des agriculteurs qui circulent sur les réseaux sociaux.
Je ne suis pas un adorateur des statistiques mais si on les prend pour ce qu’elles sont dans ce domaine : des indicateurs de tendance, elles permettent de ne pas colporter des informations fausses.
Je vous livre le billet d’humeur de Lucien Bourgeois :
Des glaneuses tableau de Jean-François Millet, peint en 1857 détourné de façon magistrale et humoristique par Banksy
C’est répété en boucle par les responsables des organisations agricoles, par le Ministre de l’agriculture et même par le Président de la République. Un tiers des agriculteurs, voire la moitié selon les diverses versions, gagnent moins de 350 € voire 450 € par mois. Peu importe le pourcentage ou le seuil exact, cela concerne un grand nombre de personnes et à un niveau de revenu indécent.
C’est la Mutualité sociale agricole (MSA), l’équivalent de la Sécurité sociale, qui est à l’origine de cette rumeur colportée depuis 2015. La MSA avait lancé cette alerte en s’appuyant sur les déclarations des cotisants à ce régime social qui ne concerne que l’activité proprement agricole des personnes concernées. Il aurait donc été plus juste de dire qu’un tiers des cotisants MSA qui sont aussi des pêcheurs ou des centres équestres déclaraient moins de 350 € par mois de revenu pour leur activité agricole et après déduction de toutes les possibilités d’optimisation fiscale et sociale. La MSA ne donnait par ailleurs aucune information sur les autres revenus éventuels d’autres activités non agricoles exercées par ces personnes.
Il est aussi très étonnant que malgré les variations de revenu dues aux aléas climatiques de 2016 et 2017, les chiffres cités soient restés à peu près les mêmes depuis 4 ans. Ces chiffres soient répétés en boucle sans que personne ne se soucie d’en vérifier la fiabilité.
On ne manque pourtant pas de statistiques. Le Gouvernement a mis en place depuis près de 50 ans une Commission des comptes de l’agriculture chargée justement d’éclairer cette question essentielle de la mesure du revenu. Cette Commission réunit deux fois par an les statisticiens et les Organisations professionnelles agricoles. Comment se fait-il que le chiffre le plus souvent repris n’ait pas été validé par cette Commission ?
Lors de la dernière réunion de fin 2018, les statisticiens ont exposé une situation moins alarmante. Les prévisions de l’Insee pour 2018 font état d’un redressement notable du résultat par actif non salarié après les baisses dues aux aléas climatiques de 2016 et 2017. Le niveau 2018 constituerait même un record historique pour les 18 dernières années.
Par ailleurs, le Ministère de l’agriculture traite chaque année les comptabilités d’un échantillon de 8 000 exploitations dans le Réseau d’information comptable agricole (RICA). Ce réseau représente les 300 000 exploitations qui ont un chiffre d’affaires de plus de 25 000 €. Ces exploitations réalisent 97 % de la production totale. Pour 2017, dernière année connue, le résultat courant avant impôt par actif non salarié était cette année-là de 2 300 € par mois. Il y a des disparités. La moitié des exploitations dégage moins de 1 725 € par mois. On est loin des 3 ou 450 € évoqués ! Ajoutons qu’en 2017, 14 % des exploitations ont un revenu négatif et 15 % un revenu supérieur à 4 000 € par mois par actif non salarié.
Il y eut certes des crises sévères qui ont secoué de nombreux secteurs. Cela a fragilisé le revenu de certains agriculteurs. Pourquoi s’obstine-t-on même parmi les responsables de l’Etat à noircir le tableau ? Pourquoi attacher plus d’importance aux chiffres d’un organisme social qu’aux spécialistes de la statistique publique ? Si la situation est aussi mauvaise qu’on le prétend, qu’attend-on pour utiliser les aides directes au revenu de la PAC qui comme leur nom l’indique devrait servir à assurer un revenu décent aux agriculteurs. Le montant de ces subventions représente, selon le RICA, en moyenne 33 000 € par exploitation en 2017. C’est une marge de manœuvre largement suffisante pour atténuer les disparités éventuelles. Fort heureusement, il y a en France, de très nombreux agriculteurs qui innovent en permanence et qui savent s’adapter au changement sans écouter les fausses nouvelles.
Lucien Bourgeois, le 14 Mars 2019.
- Les résultats économiques des exploitations agricoles en 2017 (PDF : 694.5 ko)
- Bilan conjoncturel 2018 (PDF : 2 Mo)
- Bilan conjoncturel 2018 : données complémentaires (PDF : 1.4 Mo)
- Les comptes nationaux prévisionnels de l’agriculture en 2018 (PDF : 363 ko)
- Le compte social prévisionnel de l’agriculture pour 2018 (PDF : 503.3 ko)
- Le compte national provisoire de l’agriculture en 2017 (PDF : 1.4 Mo)
- Les concours publics à l’agriculture en 2017 (PDF : 204.8 ko)
- Éléments de calcul du RBEA (Revenu brut d’entreprise agricole) par hectare pour l’indexation des fermages 2018 (PDF : 72.2 ko)
- Les comptes régionaux provisoires de l’agriculture en 2017 (PDF : 325.6 ko)