Lundi après-midi je rentre d’une journée de dégustation, même si je n’apprécie pas l’exercice je m’astreins de temps à autre à la pratiquer, je suis fourbu, je prends un bain, je consulte Twitter qui m’annonce que Notre-Dame est en feu, je me précipite dans ma cuisine et je vois d’élever un énorme champignon gris de fumée.
Je suis sidéré.
Lorsque la flèche s’effondre j’ai envie de pleurer.
Dans ces moments-là, chez moi, dans mon pays crotté, chez les gens de peu, ceux dont on ne parle jamais, on m’a appris le silence, le recueillement, la discrétion…
Mais nous sommes dans une société qui valorise le paraître, les confessions à grand spectacle, l’affichage de ses sentiments, de ses hautes et belles réflexions, de son bon cœur, de l’épaisseur de son porte-monnaie.
Sur les réseaux sociaux c’est le déferlement, le déversement, on communique, overdose, envie de fuir ces gens-là, disparaître, entrer en résistance au paraître.
Être discret.
Attention il ne s'agit pas de me mettre en retrait, ni jouer les misanthrope, m’extraire de la société telle qu’elle est, affirmer ma différence, non simplement chercher la bonne distance.
Pierre Zaoui dans son livre La discrétion, Ou l'art de disparaître, Collection Les Grands Mots, octobre 2013, 157 pages, 14 € le dit bien mieux que moi
La discrétion dont nous parle Zaoui n'est pas un trait de caractère, ni une valeur morale.
Cet art de disparaître nécessite avant tout d'aimer notre monde et de vouloir s'y fondre, tout en restant à bonne distance. Trop près on est aveuglé, trop loin on est aveugle. Et contrairement à une quête immodérée de reconnaissance et d'apparence, l'expérience de la discrétion est une lutte souterraine, plus calme mais tout aussi tenace, pour l'anonymat et l'invisibilité, sans lâcher les autres du regard.
La discrétion désigne précisément cet effacement qui fait sortir l’ego de sa gangue ; elle consiste à « disparaître momentanément pour s’abandonner à l’apparition de l’autre », pour « cesser pour un instant d’être soi ». C’est une « déprise » à la vocation épiphanique : le « je » se dépersonnalise, se sépare de lui-même – discretio, en latin, signifie à la fois « discernement » et « séparation » – pour qu’advienne le sens d’une altérité.
Ce n’est pas une posture, simplement mettre son ego de côté sans pour autant renoncer à exister, être apaisé, laisser les autres être sans se montrer, laisser « un peu de place aux autres et au monde»
Se faire discret, c'est créer, c'est donner, c'est aimer. »
« Aujourd’hui, nous dit-on, il faut s’adapter à l’accélération inexorable du temps ; le discret, lui, interrompt la course folle des horloges dans des instants suspendus de flânerie ou de contemplation désintéressée. Aujourd’hui, nous dit-on avec raison, le moindre de nos faits et gestes est épié, surveillé, commenté ; le discret, lui, défie cette « panoptique totalitaire » en se soustrayant aux radars, en se déconnectant et en renonçant à toute forme d’exhibitionnisme où l’on tend le bâton pour mieux se faire battre. »
« Attention, Pierre Zaoui ne milite pas pour un « vivons heureux, vivons cachés » new-age, tant ce slogan évoque le repli égotiste sur soi. Si la discrétion constitue à ses yeux une puissance hautement subversive, ce n’est pas seulement parce qu’elle branche sur courant alternatif à l’heure des flux continus ; c’est également, donc, parce qu’elle rend disponible à cela même que nous perdons trop souvent : le pur spectacle du monde. Disparaissant par intermittences, fugueurs magnifiques, nous pourrons de nouveau en jouir à discrétion – avec toute l’abondance désirable. »
Au temps où j’occupais des fonctions publiques et politiques certains m’ont reproché ma distance qu’ils qualifiaient au mieux de froideur, au pire d’orgueil, j’ai toujours assumé, je préservais ce que je nomme ma petite Ford d’intérieur, afin d’éviter de me prendre au sérieux, de croire en la comédie du pouvoir.
Pour autant, je suis tout sauf modeste, je sais ce que je vaux sans avoir le besoin de l’afficher, en ce domaine, les mêmes qui me trouvaient distant, me reprochait les couleurs de mes pulls, de mes chaussettes, mes différences je les assume, nul besoin de me positionner sur les réseaux sociaux soit comme le défenseur des affligés, soit comme le social-traître que je suis…