Vous allez me rétorquer : qu’est-ce que nous en avons à cirer !
Répartie qu’adorait Édith Cresson.
« Le 15 mai 1991, François Mitterrand se débarrasse de son premier ministre Michel Rocard. Les deux hommes, ce n’est un secret pour personne, se vouent une haine et un mépris réciproques. Edith Cresson est alors nommée à Matignon, devenant la première femme à occuper ce poste.
Quatre jours plus tard, le Journal du Dimanche publie une interview d’elle avec une citation qui fait le titre : « La Bourse, j’en ai rien à cirer ! »
Elle était comme ça Édith Cresson, j’ai beaucoup souffert au cours de son séjour à Matignon, mais je ne prononcerai pas un seul mot de travers à son endroit car je risquerais de me faire taxer de machisme.
Donc, même si vous n’en avez rien à traire je vais ce dimanche vous parler chiffons, c’est-à-dire beaux tissus, belles coupes, vestes bien construites, pantalons taillés au millimètre.
Le costume est l’uniforme des hommes de pouvoir.
J’ai donc porté des costumes même si je me permettais veste de tweed, blazer, pantalon de flanelle, de velours côtelé…
Ma mère couturière m’avait taillé et construit un superbe blazer bleu marine que je portais sur un pantalon gris perle. Un vrai gandin qui, dans les bals se la pétait grave, ainsi lors de la rencontre, avec celle qui sera ma première épouse, j’avais péroré : « Un jour je serai Ministre ! » Petit con, prétentieux, imbuvable.
De toute ma vie, je n’ai pu m’offrir qu’un seul costume sur-mesure dans un superbe tissu anglais, il est resté tout au long du temps où je l’ai porté, impeccable.
Au tout début de mon installation à Paris j’achetais mes costumes, en demi-mesure, au Bon Marché d’avant Bernard. De vrais pros, un essayage avec les fils, du beau boulot. Ensuite, je me suis approvisionné en prêt-à-porter dans des petites boutiques. Jamais de marques.
Enfin, lorsque j’ai viré de bord, abandonnant les ors de la République, j’ai remisé tous mes costards dans une malle à la cave.
Place aux jeans et pantalon de toile qui passent à la machine.
L’idée m’est venue de vous parler de mes costards en lisant l’interview de Véronique Nichanian qui dessine depuis plus de trente ans, les collections homme chez Hermès.
Hermès : « Le costume n’embourgeoise pas, il libère »
Je ne suis pas fan d’Hermès, tout particulièrement de ses fameuses cravates qu’arboraient beaucoup de mes interlocuteurs du monde économique.
Mon seul achat chez Hermès fut une chemise d’une beauté insoutenable que je payai au prix du caviar. Elle aussi repose en paix dans une malle à la cave.
Cette styliste d’une maison de vrai luxe parle un langage simple et direct, sans afféterie, dans une autre vie j’aurais pu me glisser dans sa peau.
- Parfois, les costumes bon marché brillent trop ou sont trop épaulés…
Quand on est jeune, on est beau dans tout. Mais c’est vrai qu’il y a beaucoup de costumes ratés. Quand on s’y connaît, on en trouve peu d’assez réussis. En fait, c’est un casse-tête : vous pouvez très bien avoir un tissu parfait mais hélas, si c’est mal coupé, tout tombe à l’eau. Ensuite, vous pouvez avoir une belle matière qui peut se déformer très vite à l’usage si la construction n’est pas travaillée. C’est la qualité à toutes les étapes qui fait la différence, du choix de la matière à la fabrication.
- Ce qui fait la différence, c’est surtout la construction ?
Oui ! C’est au millimètre, le cran, le revers, l’épaule, le montage… Pour qu’on n’ait pas l’air dans un sac, il faut des jours et des jours d’élaboration. Il faut également penser à la manière dont le vêtement va vivre, il ne doit pas se froisser quand on voyage. Bref, c’est quelque chose de précieux, qui n’est pas fragile. En fait, un costume est fait d’une somme de détails dont on ne se rend pas compte, sauf si on le porte. Et j’adore cette idée. C’est ça, le luxe.
- Est-il compliqué de trouver les tissus ? On sait que trouver les bons cuirs est devenu toute une affaire…
Les tissus, non. Mais il faut vraiment s’y connaître. Je connais les gens de ce métier depuis mes débuts, je les retrouve dans les salons où l’on présente des tissus. Je crois être l’une des seules avec Paul Smith à prendre ce temps-là, à avoir un contact direct avec les fournisseurs du monde entier pour faire des tissus exclusifs.
- Diriez-vous que la qualité des tissus s’est détériorée avec le temps ?
C’est le contraire : les tisseurs ont fait un travail remarquable. Dans ce domaine, les Italiens sont des génies.
- Et le corps des hommes, a-t-il changé ?
Ils font beaucoup plus attention à eux, ils font du sport, ils mangent mieux. Le costume ne sert plus à masquer les défauts.
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