Dans Le Gène du garde rouge, Luo Ying, né en 1956, relate ses souvenirs de la révolution culturelle où dans ce « chaos collectif, à la fois coupable et victime, persécuté, il ne cache rien de son embrigadement progressif, de l’irruption, voire de la révélation, dans sa conscience et dans son corps, de ce terrifiant gène du garde rouge dont il sait qu’il ne se débarrassera jamais tout à fait, quels que remords, volontés ou désirs qu’il en ait désormais. »
« L'auteur, ancien garde rouge devenu riche homme d'affaires, traite de ce sujet d'une façon originale à plus d'un titre. L'ouvrage est poétique et autobiographique, tout en soutenant un point de vue critique sur l'histoire du pays.
95 textes d'environ une page, en vers libres, ou courts versets, « donnent la liberté de lire l'œuvre en suivant sa chronologique ou de la méditer en l'abordant et en la revisitant de façon aléatoire. Ces poèmes, très rythmés par ce choix d'écriture, ne se perdent pas dans la rêverie romantique ; le réalisme préside à la mise en scène des personnes et des anecdotes souvent brutales qui les font revivre. »
Au-delà de la tragédie personnelle et du témoignage, Luo Ying, propose une réflexion sur l'histoire de son pays.
« Il faut au moins nous débarrasser de la détestable Révolution culturelle. Elle a fait perdre à la nation le sens de la honte, des valeurs morales, de la décence. » Contrairement à l'Allemagne qui s'est purgée du nazisme, la Chine, selon l'auteur, feint d'avoir oublié. Mais le gène du chaos guette encore. « Sous prétexte de vouloir aller de l'avant, nous ne voulons pas rouvrir cette plaie. Voici alors ce qui risque de se produire : un beau jour nous reverrons les brassards des gardes rouges et leurs banderoles disant : “On a raison de sa révolter !” Ce sera une grande catastrophe pour la nation. »
Le 17 novembre 2012, 10 :11
96 Newport Beach Linda Isle, Los Angeles, USA
Xin Fei et moi avions décidé d’agresser Chan Jian, violoniste de la Troupe artistique.
Sous prétexte que sa femme Yu Fang était en conflit avec ma camarade Qu Ailing.
Mais il prit son violon et joua un air qui nous fit venir les larmes aux yeux
Il dit : « La mort du cygne de Saint-Saëns, vous connaissez ?
Il ajouta « N’allez surtout pas raconter que je joue de la musique pure
Pékin l’a prise pour cible au nom de la critique de la culture bourgeoise
Il nous reste les opéras modèles, les citations de Mao, la danse de la loyauté
Au violon seuls sont autorisés : Les nouvelles de Pékin parviennent à la frontière et La Course de chevaux »
Ayant découvert Beethoven, je ne me lassais pas d’écouter La Symphonie du Destin
J’entrais par effraction dans la bibliothèque pour y dérober des disques
Rideaux tirés, porte close, nous écoutions la musique pure, assis au pied du lit
Ayant peine à formuler nos émotions, la qualifiant de « pas mal », « intéressante »
Chen Jian s’est ensuite volatilisé, accaparé peut-être par la lutte armée ou la critique
Une fois riche, j’ai fait installer chez moi des enceintes hautes de deux mètres uniquement destinées à la musique classique
Je pleure encore lorsqu’en avion j’écoute sur mon MP3 La mort du cygne
Grâce à la Révolution culturelle et à toutes ses critiques, j’ai pu avoir accès au plus précieux.
En bonus : « La Mangue » illustre en particulier l'absurdité des événements et l'incroyable délire de vénération qui s'est emparé des habitants :
« L'illustre président Mao avait offert aux rebelles une mangue couleur d'or /
Ciel ! Le peuple de notre ville frontalière passa trois jours à l'attendre sans fermer l'œil /
Les gens tapaient sur des gongs et des tambours, exécutaient la danse de la loyauté ; les rues s'étaient vidées de dix mille personnes venues l'accueillir le long de l'artère principale /
Le visage baigné de larmes, tous criaient à tue-tête : “Vive le président Mao !”/
Les rebelles avançaient pas à pas, tels les émissaires d'un dieu, l'un tenant la mangue /
On dit qu'elle brillait d'un éclat inouï, que son parfum se répandait dans la ville entière /
Trop petit et repoussé par la foule, je ne parvins jamais à poser les yeux sur elle /
Sans doute qu'à cause de mes origines, je n'étais pas digne d'être un bon soldat de Mao /
La venue de la mangue enflamma la ville, portant au paroxysme l'ardeur révolutionnaire /
Les gens criaient qu'ils étaient prêts à sacrifier leur vie pour la Révolution culturelle ! /
Nul ne sait su cette mangue finit par pourrir ou bien si quelqu'un l'avala en cachette /
Passant ensuite de l'affrontement verbal à la lutte armée, on s'entretua avec frénésie /
La rue empruntée par la mangue se mua en champ de bataille résonnant de coups de feu /
Les hymnes funèbres devinrent la musique la plus répandue dans la ville frontalière /
Plus tard à force de manger des mangues, j'ai perdu ma passion révolutionnaire /
Plus tard à force de manger des mangues, ces chants funèbres ont résonné dans ma tête. »