C’est toujours pour moi un grand plaisir de recevoir un livre par la poste, en effet comme je n’achète mes livres chez des libraires j’ignore ce que contient ce paquet plat.
Tout commence par un petit papier de la concierge glissé dans la boîte aux lettres, je sonne, je la salue, je tends mon billet, elle farfouille puis me tend le paquet par le petit guichet, genre demoiselle de la Poste, survivance du passé, je la remercie, je la salue. Au dehors, je consulte l’adresse de l’expéditeur.
Deux sont de gentils expéditeurs : Actes Sud et Rouergue, aujourd’hui c’est ce dernier, éditeur des livres de Catherine Bernard, qui provoque mon impatience. Je tire sur la languette du paquet, je désincarcère le livre, le voilà entre mes mains, belle couverture et titre alléchant.
La vigne et ses plantes compagnes
Histoire et avenir d'un compagnonnage végétal
Yves Darricau
Léa Darricau
Je me réjouis, je jouis presque en allant déposer l’enveloppe cartonnée dans la poubelle jaune.
Là, je peste contre les crétins de mon immeuble qui y déposent leurs ordures en sac ; certains ne savent pas lire, d’autres s’en foutent mais je soupçonne beaucoup de n’avoir pas le courage de faire les 20 mètres qui séparent les poubelles jaunes des poubelles vertes.
C’est sur leur chemin de sortie, pourquoi se cailler le lait pour si peu, c’est un truc de bobos le tri.
Je m’égare à peine, la presse, l’opposition à madame Hidalgo, que je ne trouve pas très bon maire par ailleurs, proclame : Paris est sale !
Oui, c’est la réalité mais si Paris est sale c’est que les Parisiens, et plus largement les franciliens qui viennent y travailler sont sales, les suremballages, les bouteilles, les canettes et autres saletés ne tombent pas du ciel. Seules les feuilles des arbres et les fientes de pigeon tombent du ciel.
Sur ma contre-allée, j’ai compté face à une poubelle de la ville 15 canettes de bière…
Pour calmer mon juste courroux je me plonge dans la lecture de l’introduction : Non solus.
« La vigne, celle de nos actuels paysages viticoles si géométriques, si épurés, tels des prolongements de jardins à la française, a fini par ressembler à un arbuste de haie, fortement canalisé dans sa croissance et sa fructification ; un végétal mené à la « baguette », attaché, taillé, épampré, effeuillé, mis au carré par souci de productivité, vivant encore souvent sur sol nu, dans une monoculture impeccable.
On en oublierait presque que la vigne est une liane, un végétal social, naturellement exubérant, doté de vrilles pour s’agripper solidement sur ses voisins, et capable de mouvements dans son espace, en recherche de contacts avec des supports qui, opportunément, lui permettront de se hisser toujours plus haut, au-dessus de tout concurrent pour la lumière, jusqu’à l’étage ultime, le plus lumineux, celui de la canopée ; là où la lumière lui permettra de fleurir et de fructifier à son aise.
Notre vigne, Vitis vinifera, est en effet la proche parente de Vitis sylvestris, la vigne sauvage, dite aussi lambrusque, adepte des forêts alluviales et des trouées claires. Cette sauvage, pollinisée par les abeilles et dispersée par les oiseaux, qui a été vite repérée et appréciée pour ses baies capables de fermenter facilement, aura été domestiquée dans le Caucase puis progressivement disséminée hors des forêts, principalement en zone méditerranéenne, en milieux très lumineux et parfois très secs où elle a prospéré grâce à sa remarquable adaptabilité.
La démarche des premiers planteurs-sélectionneurs aura été de repérer des pieds bisexués, hermaphrodites, capables de s’autoféconder ; une démarche générale en matière de domestication des plantes. Les vignes « sauvages » étant majoritairement dioïques à sexes séparés (en fait il s’agit d’un hermaphrodisme non fonctionnel : certaines plantes présentent un gynécée fonctionnel et des étamines atrophiées, d’autre l’inverse… quelques-unes, moins de 5%, étant hermaphrodites fonctionnelles) et donc à fructification plus aléatoire, qu’on aurait dû mener en culture comme les Kiwis, en intercalent pied mâles et pieds femelles.
En parallèle, il leur a fallu retenir les pieds porteurs de baies de plus en plus grosses, les multiplier par bouturage ou provignage, et enfin concentrer dans leurs champs le pieds les plus robustes et bien entendus fournisseurs des meilleurs jus aromatiques après fermentation.
La vinification des débuts faisait usage des raisins de la vigne sauvage locale mais aussi de ceux de pieds dioïques domestiqués, et de divers autres issus de croisements entre sauvages et formes domestiques, si l’on en croit les données génétiques récentes. De grands brassages ont finalement constitué le patrimoine variétal viticole. Ce long cheminement motivé par la passion du vin fait que nul autre végétal n’est aussi divers dans ses productions ! Il a mené à la sélection de plus de 5000 cépages subdivisés en de multiples clones, lesquels soumis aux effets des sols, des climats, des savoir-faire et de la créativité des vignerons et œnologues, ont abouti à une quasi inquantifiable diversité de vins, produits sur plus de sept millions d’hectares de vignobles à travers le monde.
Ce que l’on sait moins, c’est que nul autre végétal ne doit autant à des compagnes végétales pour en arriver là : en effet tout ce cheminement a été rendu possible par l’apport de plantes remarquables venues de diverses zones tempérées du monde – arbres, arbustes et autre herbes – qui ont soutenu de façon décisive, et soutiennent encore, la vigne et son économie.
Ce livre parle de ces compagnes qui ont guidé la vigne hors des forêts et la suivent dans les très divers sols et climats où les vignerons tentent d’en tirer le meilleur : arbres supports, arbres à piquets, racines porte-greffe, liens végétaux ; arbres fruitiers complantés ; arbres qui ont amélioré la vinification et le commerce du vin, fournisseurs d’outils et de pièces pour les pressoirs, les barriques et les bouchons ; et de ceux qui ont eu, ont et auront de nouveaux rôles paysagers et surtout écologiques pour les temps chahutés qui viennent, marqués par le réchauffement climatique et la baisse de la biodiversité : arbres et arbustes apporteurs de services à une viticulture durable, devenue écologiquement intensive, et économe – sinon exempte – en produits chimiques…
[…]
Tout ceci sans oublier le grand retour de l’herbe sous forme de couverts végétaux adaptés, capables déjà de revigorer les vers de terre et, bientôt, de dépolluer les vignes de leur excès de cuivre. De nouvelles complantations vont apparaître et les vignobles changer d’allure.
[…]
Une histoire vue du côté « vignes et vignerons », puis côté « plantes compagnes et planteurs » soucieux d’arborer nos paysages agricoles et viticoles trop simplifiés et fatigués par les excès de l’agrochimie. Une histoire que résume le fronton d’une maison scientifique d’Amsterdam, reprenant la marque d’un imprimeur hollandais du XVIIIe siècle, éditeur d’Érasme, avec la devise « Non solus.. » énoncée par le philosophe humaniste discourant sous l’Orme enlacé par la vigne : pas seul pour progresser, pas seule pour fructifier !
Non solus, comme règle de vie et programme en faveur de la biodiversité.
Maintenant, je vais m’attaquer à une matière qui me passionnait lorsque j’étais élève à l’école d’agriculture et, si je m’en sens la capacité je ne manquerai pas de chroniquer.
La vigne et ses plantes compagnes
Yves Darricau&Léa Darricau Histoire et avenir d'un compagnonnage végétal paru le 20 mars 2019 Beau livre (broché) 29,50 euros