La question émane du journal Le Monde du 25 mars 2019
« Faute d’investissements, le vignoble a perdu 40 % de sa surface et 50 % de son chiffre d’affaires en quinze ans. Pour séduire à nouveau, la région, qui s’est longtemps reposée sur le « beaujolais nouveau », parie aussi sur la richesse de ses crus et sur le vin nature. »
Comme je suis un vieux de la vieille qui a roulé sa bosse je ne peux m’empêcher de penser : le Beaujolais n’a pas besoin d’être sauvé !
Pourquoi me direz-vous ?
Parce que j’en ai ma claque de ce genre de propos et que je n’userai pas ma plume à donner un point de vue.
Retour en arrière : la lettre du petit vigneron métayer du Beaujolais
Au tout début de février 2010 j’ai reçu dans ma boîte aux lettres ce message d’un de mes lecteurs :
« Je suis fils de viticulteurs, petit viticulteur du Beaujolais, métayer, donc loin des grandes dynasties Bourguignonnes. Malgré tout, je suis un amoureux de ce terroir, mais pour être franc je ne vois pas comment le sortir de cette crise qu'il connait. Mon père n'a de cesse de me dire chaque jour que le Beaujolais est perdu et qu'il vaut mieux vendre du Bourgogne ou du Champagne, et je trouve cela très triste. » Et de conclure :
« Je viens vers vous aujourd'hui pour avoir votre avis d'amoureux du vin et surtout de professionnel du vin sur l'avenir de ce Beaujolais, quel est votre point de vue sur sa situation ? »
J’avoue que j’étais à la fois assez ému de cette confiance et embêté car, contrairement à ce que pensent certains, je n’ai pas d’avis sur tout et, dans le cas spécifique du Beaujolais, j’estimais et j’estime encore, que mon éloignement du terrain, ce besoin que j’ai avant de me forger une opinion d’arpenter la région, d’écouter les uns et les autres, de voir, de sentir, de me plonger dans la complexité, de définir le champ des possibles, de tester des solutions, ne me permettait pas d’être en mesure de répondre de manière pertinente à mon correspondant.
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« Le Beaujolais est-il perdu ? » comme l’affirme le père de mon correspondant ou comme le journaliste de Lyon Capitale interrogeant Bernard Pivot : « est-il mort ? »
Celui-ci répond : « Non, je ne crois pas. Mais le Beaujolais a mal, il est souffrant, il demande une assistance. Si on ne lui porte pas remède, il ira de plus en plus mal... »
C’est donc avec mon petit balluchon que je me porte volontaire pour « aider » avec ma méthode semelles de crêpe, pas pour « assister », le Beaujolais n’a pas besoin de béquilles, d’infirmiers ou de docteurs miracles – ce qui ne signifie pas pour autant que les conséquences sociales des difficultés ne doivent pas être traitées avec les moyens adéquats – mais d’un accoucheur de décisions.
Le salut – c’est mon côté vendéen qui ressort – du Beaujolais viendra de l’intérieur, de ses propres forces. C’est donc à dessein que j’ai titré ma chronique « Grand Corps Malade » en référence à ce grand garçon sympa qui a su, avec ses propres forces, surmonter son handicap lié à son accident pour « réussir ».
Flop absolu !
En ce temps-là j’étais tricard dans la maison Agriculture, « occupes-toi des vaches et fous-nous la paix… » Y’a déjà eu en 2007 un plan avenir Beaujolais en 2007 : pas un plan de plus mais plus qu’un plan…
Un monument de ce que les technostructures savent pondre…
En décembre 2015 on dépêcha l’Inspecteur Général Malpel l’homme des causes perdues qui rêvait d’accoler à son patronyme le mot rapport. ICI
RÉSUMÉ
Le vignoble du beaujolais connaît une crise structurelle.
Dans un contexte économique difficile, les organisations de gestion des AOP des crus du beaujolais ont décidé de quitter l’Union des Vignerons du Beaujolais, structure fédératrice de la production à laquelle adhérait également les ODG beaujolais- beaujolais villages.
Cette scission reflète un malaise institutionnel profond qui concerne également l’interprofession InterBeaujolais.
L’avenir économique de la viticulture du beaujolais doit être regardé en fonction de l’évolution du marché. Cette évolution concerne la commercialisation et la production. De nouveaux marchés doivent être recherchés et les produits adaptés. Les coûts de production de la viticulture doivent en particulier être réduits.
Une meilleure coordination des actions économiques avec le grand bassin de la Bourgogne doit être envisagée, ce qui correspond à une réalité de terrain. Le négoce est déjà dans cette perspective. La redéfinition des cahiers des charges AOP implique également des redéfinitions des conditions de la production. Un rapprochement des interprofessions doit être étudié par les parties prenantes.
Voili, voilà, ainsi va la vie dans notre beau pays, où il faut que tout change pour que rien ne change.
Quelques citations :
« Il est plus difficile de réussir le beaujolais primeur que le vin du château Lafite-Rothschild, de Petrus ou de Cheval-Blanc », lance Georges Duboeuf
« Ici, dans le Mâconnais, et jusqu’aux Pierres Dorées, plus au sud, le paysan vivait au rythme des saisons. Jusqu’en 1960, l’hiver, il coupe le bois, l’été il coupe le blé, et en septembre les raisins. Le reste du temps, il s’occupe de son potager et de ses vaches qui s’engraissent dans les champs et sont payées cher par l’abattoir. Le vin ne saurait le passionner, il n’en vit pas, ou si peu. Ce sont les coopératives qui vont le sauver et les gens de l’INAO lui apprendre à respecter la vigne. »
« La médaille a son revers. Le beaujolais nouveau fonctionne comme une super-marque. Les vignerons élevés par Georges Duboeuf dans le goût du bon vin sont devenus exigeants, un rien prétentieux question porte-monnaie et compte en banque. Le prix du beaujolais a monté de 30% en deux millésimes ; pas mal, non ? Les paysans qui font les vendanges en Renault 25 ont des envies de nouveaux riches. Oublié le temps de la mouise, quand le père Ramonet, à Chassagne, n’avait pas de chaussures pour sarcler ses vignes ! »
13 août 2010
« Opération Grand Corps Malade » Du beau, du bon, Duboeuf
À l’intérieur du livre acheté sur les quais « Beaujolais vin du citoyen » Georges Duboeuf par Henri Elwing, plié en quatre, j’ai découvert les 2 feuillets double-face d’un « reportage », signé par un esthète du vin Nicolas de Rabaudy, sur Georges Duboeuf pour le compte du Figaro-Magazine du 10 novembre 1990. Si je vous le propose dans son intégralité, dans le cadre de mon opération « Grand Corps Malade » c’est qu’il me semble très représentatif de l’ambiance du début des années 90. Hormis le ton et le style très Fig-Mag, un peu condescendant, et une certaine forme d’hagiographie, l’auteur ne pratique pas la langue politiquement correcte qui a cours de nos jours dans nos gazettes. Son enthousiasme pour le travail de Georges Duboeuf n’est pas feint, mais bien réel et il repose sur une réalité qu’on aurait tort de minorer ou de cacher. 20 ans après, il est facile d’ironiser, de jeter aux orties le Beaujolais Nouveau, d’instruire des procès, d’oublier le chemin parcouru. Pour ma part j’ai l’intime conviction que ce ne sont pas les savantes analyses du passé produites par de beaux esprits, moi y compris, qui apporteront à cette belle région un souffle nouveau mais la capacité de tous, vignerons et négociants, à se prendre en mains pour que la réalité des vins du Beaujolais, quelle que soit leur positionnement sur le marché, correspondent à ce qu’on dit qu’ils sont. C’est l’essence même des AOC : écrit ce que tu fais, et fais ce que tu dis... Sinon, vive les IGP !
« Georges Duboeuf a inventé le beaujolais nouveau et transformé le troisième jeudi de novembre en date-culte. Grâce à ce génie des vignobles, le vin des mâchons est devenu un phénomène médiatique mondial»
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3 août 2010
« Opération Grand Corps Malade » Papa Bréchard c’était pépé primeur
C’est maintenant Papa Bréchard qui parle :
« Mais revenons à nos feuillettes. Longtemps, nos vins ont pu se contenter de n’être que de bons petits vins faits pour la carafe et le café. Sensible au charme « écologique » eu barriquaillage qui lui donnait la promesse d’un vin authentique de vrai vigneron – en direct du producteur au consommateur – la clientèle, essentiellement locale, pardonnait la faiblesse ou la rusticité de ce beaujolais de bonne franquette. Par exemple je me souviens de vin livré dans la précipitation et qui démarrait sa « malo » au comptoir, cette malo dont on ne savait pas grand-chose alors, sinon qu’elle faisait un temps le vin revêche et amer, quasi imbuvable et que l’on appelait seconde fermentation. Eh bien, personne ne se fâchait, on supportait cet avatar provisoire avec constance, comme une maladie infantile, la rougeole ou la varicelle, dont le vin sortirait plus fort et meilleur qu’avant. Essayez donc maintenant d’écouler du beaujolais qui n’aurait pas fait sa malo !
Avec la mise en place progressive du négoce qui a considérablement élargi les zones de diffusion de nos vins, mais aussi gommé le folklore, la clientèle frustrée de barriquaillage pittoresque, a retrouvé le goût juste et sans indulgence, elle exigé du primeur mieux élaboré, plus étoffé. Bon gré mal gré le vignoble a suivi pour le plus grand bien de tous. Les vignerons décidés à faire du primeur, ou ceux qui n’avaient pas de meilleure alternative – je pense surtout aux miens, ceux du Sud – se sont appliqués. Ils ont démontrés, nonobstant les tentatives ultérieurs d’autres vignobles attirés par la poule aux œufs d’or, que l’association terroir beaujolais/gamay noir à jus blanc, donnait par vocation et quand on le voulait bien, le meilleur primeur rouge du monde, souvent imité, rarement égalé, jamais dépassé et croyez-moi, c’est pas de la réclame mensongère...
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