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7 février 2019 4 07 /02 /février /2019 06:00
Sébastien Lapaque tire 1 feu d’artifice de bulles carrées (1) d’Anselme Selosse, je me sens ravalé au rang de commis de 2e classe au bureau de la viticulture du Ministère de l’Agriculture.

Quel style, quel panache, quelle érudition, quelle culture, « il » dans sa quête de la théorie de la bulle carrée met  ko debout celles et ceux qui , se croyant auteurs, s’échinent péniblement, et ça foisonne en ce moment, à tartiner des lignes sur le nectar des dieux afin d'avoir nom et prénom en première de couverture.

 

Des besogneux, des qui ont besoin de plein de belles images pour soutenir leurs petits écrits vineux, les qui ont besoin d’être invité au château pour pisser de la copie, des acculturés, des incultes, même des stipendiés, des enfileurs et des enfileuses de lieux communs, des sous-produits des réseaux sociaux, du menu fretin, quoi !

 

« Il », lui, brode finement au point de croix, cisèle, chantourne, enlumine, trace des arabesques, lâche des volutes, pioche dans sa profonde bibliothèque, cite les grands auteurs (2), déguste en alignant des mots chatoyants (3), cite avec bonheur Anselme, il se grise, il ne manque aucun bouton de guêtres à sa panoplie d’amateur éclairé par Jules Chauvet et Marcel Lapierre.

 

J’en suis tout tourneboulé !

 

« Il » m’ébouriffe…

 

Dieu que je me sens bassement terre à terre, oui face à « il » je ne suis qu’un tout petit ver de terre qui, au temps de l’association SEVE, tentait de comprendre la tectonique des egos, de dénouer les fils d’une trame complexe, de comprendre ce qui se passait dans ce monde du vin que je venais de radiographier.

 

 

Ce n’est pas un opus à mettre entre les mains des gilets jaunes, bien que, mais c’est du miel, je dirais même plus, de la gelée royale pour Me Morain.

 

Un jour, du côté de Bordeaux, en compagnie de l’ami François Des Ligneris, lors d’une dégustation de grands vignerons, Anselme Selosse tenait son petit stand à l’entrée du salon. Face à lui une grappe dense de groupies mâles, je salue Anselme, je lui dis « ils boivent tes paroles… »

 

« Il » traduit excellemment le talent d’Anselme, son aura, ses convictions, son charme, sa capacité à séduire, à emporter l’adhésion, à se faire des ennemis aussi.

 

Oui, face au talent de « il » je me sens ravalé au rang de commis de 2e classe au bureau de la viticulture du Ministère de l’Agriculture, un scribouillard tout juste bon à mettre les pieds dans les plats de la Profession.

 

J’irai donc d’abord sur ce terrain que je connais bien, même un peu mieux que « il ».

 

« Il » avec un certain talent plonge sa plume dans l’histoire de l’Agriculture, de son volet champenois, en démontant le vieux Maréchal maurassien, ses technocrates inspecteurs des Finances : Jean Bichelonne, Jean Berthelot, François Lehideux, Pierre Pucheu, Robert Gibrat, Georges Lamirand, Robert Loustau, Henri Lafond, Louis Formery, Pierre de Calan et faire un sort à « sa terre qui ne ment pas. » Je lui conseille tout de même de lire La Révolution Rurale en France de Gordon Wright pour éviter certains raccourcis à propos des dirigeants paysans sous la Révolution Nationale.

 

Après Pierre Caziot, ministre de l’Agriculture, il y eut Le Roy Ladurie.

 

Quant à René Bousquet, préfet de la Marne en septembre 1941, il était dans le camp Laval (je viens de lire la très passionnante biographie de Laval par Renaud Meltz et j’y ai mieux cerné le profil  de ce haut-fonctionnaire opportuniste) il mettra en place le CIVC qui fut sans aucun doute l’outil le plus puissant du développement et du succès du modèle industriel champenois avec son entente entre les grandes maisons et le syndicat des producteurs sur le prix du kilo de raisin ( et ça douille en kg le raisins en Champagne)

 

Le plus important pour moi humble commis de 2e classe du bureau de la viticulture du Ministère de l’Agriculture c’est la parole d’Anselme.

 

La voici :

 

« Les vignes deviennent pour moi un lieu de vagabondage de l’esprit »

 

« Le vigneron doit être un bon jardinier dans le sens où il doit avoir la sensibilité du végétal. La nature doit être pour lui une réalité directement vécue. Dans cet esprit-là, le jardinier ne mécanise pas. C’est quelqu’un qui se penche, sème, dédrussit, repique, apprécie la maturité et le développement des fruits et des légumes. Dès lors, se met en place tout un monde de sensibilité qui lui permet de prélever de façon différenciée, suivant des stades de maturité, tandis que dans la grande culture en plein champ, on fait une moyenne et on coupe tout d’un coup. Oui, le viticulteur est un jardinier. Attention cependant à ce qu’il ne cherche pas à domestiquer la nature. Il doit rester capable de capter une part d’improbable et de surprise et savoir la restituer dans son produit. »

 

« Qu’est-ce que j’attends lorsque je retrouve ma vigne ? J’attends de partir en voyage dans un pays inconnu. Mais c’est difficile de partir en voyage en pays inconnu dans un pays qu’on connaît ! Ce n’est donc pas le lieu, qui va apporter la part d’inconnu, mais tout le vécu, toute la restitution de la particularité du climat de l’année. Elle va me faire découvrir et toucher un bien que je n’avais encore aperçu »

 

« Je ne refuse pas le SO2 par principe, mais en tant qu’il dégrade les éléments d’élégance. Je ne prétends pas faire un vin biologique ou biodynamique, mais expressif et naturel. »

 

« Le défaut qui créé le remarquable »

 

« J’aime que mon vin ait le goût de l’eau minérale »

 

« Je n’ai rien contre l’idée de vin naturel, mais ce qui m’intéresse, c’est l’idée d’eau de roche, la notion de transparence. »

 

« À l’origine de ce que je ne nommerai pas mon rejet, mais mon éloignement du mouvement bio, il y a eu la sensation que les gens ne réfléchissaient pas assez, appliquaient des recettes, sûrs d’eux, sans se poser de questions. Et j’ai fait partie de ces doctrinaires à l’époque où je défendais José Bové. Mais j’ai fini par refuser cet enfermement, qui conduisait à ne plus réfléchir. J’ai abandonné le côté systématique et sectaire. Aucun paysan ne détient la vérité. Nous avons juste deux ou trois choses qui nous conviennent mieux qu’aux autres. Ne condamnons pas sans appel ceux qui pensent différemment de nous, même lorsqu’ils sont fausse route. Aidons-les à comprendre les améliorations qu’ils pourraient obtenir s’ils changeaient leurs pratiques. »

 

« Pour moi, c’est une évidence que la qualité sanitaire est obligatoire. On n’est pas paysan pour saccager la terre. Mais ce qui est important au bout du compte, c’est la qualité gustative. Mieux encore, le potentiel, le vivant, l’essence et l’essentiel. Le voyage intérieur et le vagabondage dans l’imaginaire rendus possibles par les sensations. Je ne veux pas me retrouver sous le même label que des gens dont les vins n’apportent aucune satisfaction. Je me souviens des premiers champagnes bios. Par peur du botrytis sur des vignes non traitées, les vignerons vendangeaient beaucoup trop tôt. Ils produisaient des vins amers, verts, acides, affreux. Ils avaient l’éthique du produit, mais pas le goût du produit. »

 

La conclusion de  « il »

 

« Il » espérait avoir été fidèle à son projet. Avoir proposé une divagation, une exploration en tous en tous sens, pour retracer l’aventure d’Anselme Selosse… »

 

J’aime assez la notion de divagation, « errer çà et là », laisser libre cours à son imagination, au hasard du cheminement de l'esprit,  mais je trouve que la hotte de « il » est parfois, j’ose, lourde, trop bien pourvue de sa culture…

 

Les Notes :

 

(1) La dégustation des champagne Jacques-Selosse lui avait laissé le souvenir  de bulles sans nombre. Mutines, allègres, rieuses, incisives, élancées, gracieuses, angéliques, bucoliques, rieuses, incidentes, émollientes, languissantes, lancinantes, effrontées.

 

« Il » avait connu des bulles carrées, au commencement et à la fin, et mille autres bulles, tous les jours et d’autres encore. Des bulles fines, des bulles fermes, des bulles fortes, des bulles aiguisées, des bulles délicates, des bulles tristes et des bulles tendres. « Il » avait connu des bulles en vers et des bulles en prose. Des bulles comme des poèmes : radieuses, élégiaques, ténébreuses. Des bulles comme des idées : heureuses, flâneuses, paresseuses, obstinées. Des bulles terriennes et des bulles  aériennes, des bulles rares et des bulles abondantes. Des bulles caressantes, symbole de gaîté, et des bulles dures, des bulles en deuil. Des bulles en gerbes, à l’abordage, et des bulles en colonne, comme à la parade. « Il » n’avait pas oublié le jour où il avait trempé sa main dans son verre pour essayer d’attraper les bulles avec ses doigts. Et combien d’autres fois ? Combien d’autres bulles, tour à tour souples, douces, légères, exquises, juteuses, fameuses, furieuses, gracieuses, onctueuses, savoureuses, esculentes.

 

Esculentes ? Un dernier mot rare et précieux comme un brin de bruyère cueilli pour Anselme.

 

PS. Comme je suis effronté, des bulles rossinantes, des bulles nues

 

(2) Par ordre d’entrée en scène : Socrate, Confucius, Carlos Drummond de Andrade, Marcel Proust, Balzac, Flaubert, Sainte-Beuve, José-Maria de Heredia, Anselme de Cantorbéry, Platon, Arthur Rimbaud, Dante Alighieri, Guillaume Apollinaire, Guy Debord, Antoine Furetière, Georges Bernanos, Jean de La Fontaine, Charles Péguy, Paul Claudel, Pascal, Alexandre Dumas, Jacques Chardonne, Cicéron, Albert Camus, Louis Ferdinand Céline, Blaise Cendrars

 

 

(3) La cuvée Substance était un champagne extra-terrestre, le pur produit du terroir mental d’un vigneron d’exception. Quelle révélation. C’était un vin au nez de noix et d’amande, à la bouche iodée, ample et généreuse pour commencer, avec des arômes primaires, puis plus resserrée, évoluant vers des notes d’agrumes. La bulle fine et crémeuse, très présente en bouche, était merveilleusement fondue dans la trame du vin. Après une heure de carafe, ce champagne inouï introduisait le buveur en pays inconnu, rivalisant avec les grands bourgognes blancs, un montrachet du domaine de la Romanée Conti. Convoquant des références de goût peu communes, il exigeait beaucoup de patience et même une longue initiation.

 

Typiquement champenois, le Jacques Selosse blanc de blancs grand cru millésime 1998 avait une belle robe dorée, des bulles fines, des arômes de brioche, de malt,  de froment et de blé sucré. Le 1999 était très différent, déroutant au premier abord, avec son nez mêlant la menthe et l’iode, la fraîcheur d’une glycine en guirlande et la salinité des petits poissons de la mer Cantabrique.

 

 

Champagne. Progression des grandes maisons de type industriel au détriment des vignerons.

 

 

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P
Merci et bravo de mettre à l’honneur ce prolifique écrivain des plus séduisants. Je partage ton enthousiasme plutôt deux fois qu’une cher Taulier.<br /> Comme le chantait Brassens pour une tendre de rencontre : « Tout est bon chez lui, il n’y a rien à jeter. Sur l’ile déserte il faut tout emporter ! » En espérant que cela donnera l’envie de le découvrir et de le suivre. (Pour Selosse, déjà souvent cité dans tes chroniques, j’ai eu l’occasion d’y gouter l’été dernier et ce fut effectivement un grand moment partagé avec, comme le dit Lapaque qui lui, n’en manque pas, des copains)<br /> Il faut lire Lapaque écrivains éclectique, jamais ennuyant quelque soit le sujet abordé. Dans ses écrits chacun y trouvera son compte. Des plus sérieux, c’est un fin connaisseur de Bernanos et du Brésil, au plus léger comme le Vin des Copains ou dans la même collection ses aventures avec Camdeborde, en passant par ses romans ou polar (Un savoureux « Il faut qu’il parte ! » dézinguage en règle de ineffable Sarkozy) On le trouve partout, sur tous les sujets avec des points de vue qui sortent des sentiers battus ou disent simplement sa gourmandise ou sa joie de vivre.(ainsi, épisodiquement la RVF,Le Point, Le Monde Diplo, La Marianne, Revue des Deux Mondes si chère à la pauvre Pénélope, etc. etc.)<br /> L’article que lui consacre Wikipédia vaut le détour si l’on veut prendre la mesure du bonhomme. Renvoyé du lycée, champion de rugby pendant ses études. La tête et les jambes quoi. Je crois sincèrement cher Taulier, qu’on s’honore en fréquentant une telle œuvre.
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