Pour un natif d’une Vendée alors profondément ancrée dans la religion catholique, apostolique et romaine, mon alimentation durant toute ma prime jeunesse n’a été marquée que par un seul interdit : celui de manger de la viande le vendredi. Je dois avouer que j’aimais bien le vendredi car la mémé Marie nous faisait manger des galettes de blé noir cuites dans du beurre salé, j’en mangeais 5 ou 6, la dernière tartinée de raisiné. Ce n’était donc jamais poisson le vendredi, nous en mangions souvent le dimanche.
Mon jeune âge me dispensait du jeûne du Carème qui d’ailleurs au Bourg-Pailler n’était guère respecté. Le seul jeûne que j’ai connu, de courte durée, fut celui qui devait précéder de 3 heures la communion (Autrefois, l’Église demandait d’être à jeun depuis minuit. Puis, cette exigence a été ramenée à 3 heures précédant la communion. Mais ces dernières décennies ont vu surgir une grande confusion, suite aux nombreux changements (et souvent abus…) survenus dans le sillage du renouveau liturgique; certains décidant que 15 minutes suffisaient, d’autres clamant que l’obligation du jeûne eucharistique n’existait plus.)
Le pain était sacré puisqu’on y traçait le signe de la croix avant de l’entamer, le curé distribuait chaque dimanche à la grand-messe du pain béni, offert par une famille. Le curé se sifflait dans son ciboire du vin devenu sang du Christ alors qu’il était blanc. Bref, la dimension religieuse n’a donc guère impactée mes habitudes alimentaires qui n’ont été modelées que par mon appartenance à une famille paysanne où l’on mangeait de tout sauf de ce l’on ne connaissait pas.
Ce n’est pas pour autant qu’il faille se désintéresser de ces influences. Je propose à votre lecture ce texte savant qui, même s’il s’en tient à des généralités, pose de bonnes questions et mériterait d’être un peu plus étayé.
Le goût des autres par Sébastien Abis
Étonnamment, les dimensions culturelles et religieuses semblent mésestimées dans les analyses portant sur l’évolution de la sécurité alimentaire et les dynamiques de consommation dans le monde. Curieusement, de nouvelles pratiques se développent autour de l’alimentation sans être considérées comme de potentielles « croyances ».
Deux remarques pour signifier à quel point nos systèmes de valeurs – aussi divers soient-ils – affectent nos comportements alimentaires et, n’étant pas véritablement mesurables, se retrouvent le plus souvent mis à l’écart de nos réflexions sur l’état de l’alimentation dans le monde. Il est fort probable que cette lacune tient à notre difficulté à appréhender des dynamiques sociales éminemment hétérogènes, selon les croyances des individus et les choix alimentaires qu’ils opèrent tout au long de leur existence. Il est aussi possible que notre sacro-sainte laïcité à la française nous amène à écarter ces grilles de lecture essentielles.
Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce en quoi tu crois
Nos pratiques et nos choix alimentaires répondent en partie à des considérations culturelles ou cultuelles. Ils dépendent à la fois du territoire où nous nous vivons et de notre trajectoire, au fil de rencontres et de découvertes ; ces valeurs et ces croyances transforment inévitablement notre alimentation. Non seulement la religiosité au sein des sociétés reste prégnante mais, simultanément, de nouvelles croyances émergent, chez des individus devenus « consomm’acteurs ».
Marqueur fort de l’intimité et de l’identité de chacun, ce que nous mangeons nous définit en très grande partie tant sur le plan de notre propre santé que sur celui de notre rapport aux autres. À travers la nourriture d’un individu et ses pratiques alimentaires, on peut même appréhender une dimension de ce qu’il est, y compris sur le plan religieux. Les interdits ou les tabous alimentaires peuvent renseigner sur les croyances religieuses d’une personne. Le rapport est donc très étroit entre le système alimentaire et l’univers, religieux ou non, de chacun. Impossible de mener une enquête sociologique sérieuse sur les modes de consommation sans intégrer ces variables ! Impossible aussi de scruter la situation alimentaire d’un pays ou d’un territoire sans tenir compte de ses réalités culturelles et religieuses, autrement dit de sa civilisation. Et rien ne laisse penser que ces fondamentaux disparaîtront demain, eu égard aux géopolitiques des religions qui continuent d’animer chaque continent. Il s’avère donc indispensable d’associer ces paramètres pour tenter de cartographier les trajectoires alimentaires de la planète.
Sacrée nourriture !
La suite ICI
Sébastien Abis Directeur du Club Demeter, chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)