Lors de mon passage à l’Office du Vin entre 1978 et 1981, avec l’aide des chercheurs de l’INRA de Montpellier, il a été possible de lancer une étude lourde sur la consommation du vin en France. Cette étude perdure. ICI
Sans vous assommer de chiffres, la première constatation de cette étude fut que le haut niveau de consommation de vin en France était le fait d’un petit pourcentage de gros buveurs.
Que la tendance lourde de la baisse de la consommation de vin c’était la chute régulière et inéluctable des consommateurs réguliers parmi lesquels se recrutent les gros buveurs.
À tous ceux qui se lamentaient sur la baisse de consommation de vin, tel Saverot de la RVF et les grands chefs du vin, je répondais que c’était une bonne nouvelle.
Ces gros buveurs, de vin et d’apéro, ont permis en 1956, à Sully Ledermann, de publier un ouvrage en deux volumes intitulé "Alcool, alcoolisme, alcoolisation". Dans son chapitre V : " Mesures du degré d'alcoolisation alcoolique d'une population" l'auteur expose une hypothèse. Il entend démontrer que la consommation moyenne d'alcool d'une population en détermine la proportion de buveurs excessifs. Le problème qu'il a tenté de résoudre est le suivant : nous connaissons, pays par pays, la quantité d'alcool pur consommé par an et par habitant, ou plus exactement la quantité totale consommée divisée par le nombre d'habitants de tous âges. En revanche, nous connaissons mal la distribution.
Notre démographe formule donc une théorie entendant démontrer que la consommation moyenne d'alcool d'une population détermine le nombre de buveurs excessifs (la proportion de buveurs excessifs augmentant selon le carré de la consommation moyenne en suivant une distribution log gaussienne). Cinquante ans plus tard, cette hypothèse, baptisée loi de Ledermann, continue d'être martelée par les ayatollahs d'une politique de santé publique aussi verbalement autoritaire qu'inefficace pour fonder la lutte contre l'alcoolisme. On est entre scientifiques, des gens sérieux, pas des gens qui vivent d'un produit dangereux, circulez y'a rien à voir même si Gauss doit se remuer dans sa tombe en les voyant utiliser sa théorie pour des distributions biologiques.
Bref, cette pseudo-loi a constitué le socle de la lutte contre l’alcoolisme des médecins de santé publique, et explique l’échec de leur lutte contre ce fléau dans notre pays.
Sans qu’il y ait vraiment une inversion de la doctrine on sent un frémissement chez eux, comme une envie de revenir au principe de réalité.
Si la consommation a été divisée par deux depuis les années 1960, la France continue d'être un pays de buveurs. Surtout, les modes d'alcoolisation ont changé, révèle une enquête de Santé Publique France.
ON DÉCRYPTE
Vin, bière, pastis… Les Français aiment boire, beaucoup, et en nombre : seuls 15% des plus de 15 ans disent ne jamais boire. Les autres consomment en moyenne un peu plus deux verres quand l'occasion se présente, c'est-à-dire un jour sur trois environ. C'est ce qui ressort d'une nouvelle enquête publiée mardi matin par Santé Publique France.
La France est aujourd'hui au huitième rang mondial des plus gros buveurs d'alcool. La bonne nouvelle, c'est que notre consommation d'alcool a été divisée par deux depuis les années 1960. Aujourd'hui, seuls 10% d'entre nous boivent tous les jours, contre 25% il y a un demi-siècle.
Pour les jeunes, boire moins mais plus rapidement. Cette tendance cache néanmoins des pratiques bien différentes selon les générations. L'étude montre en effet qu'un quart des plus de 65 ans continuent à boire de l'alcool tous les jours. "Parmi les plus âgés, on a davantage de consommation régulière quotidienne, comme le petit verre de vin à table, alors que chez les plus jeunes, les modalités de consommation principales sont plutôt des consommations épisodiques importantes, c'est-à-dire qu'on consomme en une fois beaucoup d'alcool et non pas de faibles quantités de façon régulière", détaille Viet Nguyen Thanh, responsable de l'unité addiction à Santé Publique France. "Ça correspond probablement à un effet de génération."
Une frange de très gros buveurs. Enfin, il existe chez nous une frange de très gros buveurs, plutôt des hommes âgés. Ils représentent 10% des consommateurs et à eux seuls, ils boivent 58% de l'alcool consommé en France. Côté mortalité, l'alcool a fait 41.000 morts en France en 2015 (16.000 cancers, 9.900 maladies cardio-vasculaires, 6.800 maladies digestives, 5.400 accidents ou suicides et 3.000 morts d'autres maladies comme des maladies mentales). C'est la deuxième cause de mortalité évitable après le tabac et avant la pollution.
Michel Reynaud
Professeur émérite de psychiatrie et d'addictologie − Président du Fonds Actions Addictions, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay
Alcool : ces 20 % de consommateurs qui font le bonheur des alcooliers
Le Baromètre de Santé publique France 2017 est une enquête probabiliste transversale : 25 319 personnes résidant en France métropolitaine, âgées de 18 à 75 ans, ont été interrogées par téléphone, de janvier à juillet 2017. Le taux de participation à cette enquête a été de 48,5 %.
Usages d’alcool en France métropolitaine en 2017, selon le sexe parmi les 18-75 ans. Baromètre de Santé publique France 2017.
Les données recueillies ont notamment révélé que la consommation d’alcool était plus fréquente chez les hommes, et l’écart entre sexes d’autant plus marqué que la fréquence de consommation augmentait. Ainsi, si 29,8 % des hommes consommaient de l’alcool entre une et trois fois par semaine (contre 20,3 % des femmes), ils étaient trois fois plus nombreux que les femmes à consommer de l’alcool quatre à six fois par semaine (7,6 % contre 2,6 %) ou tous les jours (15,2 % contre 5,1 %). De plus, la consommation moyenne un jour type était de 2,8 verres chez les hommes contre 1,8 chez les femmes.
Mais l’un des enseignements les plus intéressants concerne l’hétérogénéité de cette consommation d’alcool : en 2017, près de la moitié de la population (49 %) ne buvait que 3 % du volume total consommé dans l’année, un tiers (35 %) en consommait 91 %, tandis que les 10 % des plus gros buveurs consommaient 58 % du volume total.
Autrement dit, la courbe de la consommation d’alcool en France ressemble fortement au diagramme de Pareto :
Le modèle économique des alcooliers est bâti sur les consommations excessives
Ces chiffres mettent en lumière la structure du marché de l’alcool dans notre pays. Ils montrent en effet que les ventes de l’industrie alcoolière se concentrent à 80 % sur les populations ayant des consommations d’alcool excessives susceptibles d’engendrer un problème (soit 20 % des consommateurs), dont 58 % sur des individus ayant un problème avéré (soit 10 % des consommateurs).
En l’absence de données venant directement des producteurs ou de l’État, des éléments de confirmation peuvent être tirés des chiffres de la filière Vin et société : ceux-ci sont cohérents avec les chiffres de Santé publique France, puisqu’ils indiquent que seuls 16 % des Français seraient des consommateurs réguliers.
Les alcooliers prétendent prôner une consommation modérée, mais si 80 % des Français sont au-dessous du seuil problématique de trois verres par jour, il faut savoir que ce sont les 20 % restant (les consommateurs excessifs et les dépendants) qui consomment plus des trois quarts des alcools vendus. Le modèle économique des alcooliers est donc bâti sur les consommations excessives. La France n’est pas la seule dans cette situation : des données collectées au Royaume-Uni en 2013 dans le cadre de l’enquête Health Survey for England avaient également mis en évidence une structure similaire du [marché de l’alcool britannique]
Quelles conséquences en termes de prévention ?
Si la nocivité de l’alcool, même à faible dose, est établie, il faut néanmoins considérer les niveaux de risque pour proposer une politique respectant les choix individuels. Car certes, l’alcool est mauvais pour la santé, mais il est indiscutablement bon pour le plaisir. Source de plaisirs, de convivialité, d’empathie, vin et alcools font partie intégrante de notre culture. Chacun devrait donc pouvoir choisir en conscience le niveau de risques qu’il accepte de courir, au regard du niveau de plaisir qu’il recherche.
Néanmoins, lorsqu’on est au-delà des consommations modérées, les risques pour soi-même et pour autrui deviennent majeurs. Le risque relatif croit en effet de manière exponentielle en fonction de la consommation journalière. En s’appuyant sur ce constat, il est donc possible de réduire considérablement la morbi-mortalité en se concentrant sur les consommations excessives.
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