Même si ça étonne certains je suis encore capable d’enjamber le périphérique pour me rendre, en métro, un samedi après-midi, dans les profondeurs de la banlieue afin de nourrir mes vieux neurones de culture.
En allant faire mes courses sur mon vélo j’avais encore croisé des hordes de gilets jaunes errant, suivies par une armada de fourgons emplis des forces de l’ordre, toujours avec les mêmes slogans, la même vacuité, Viansson-Ponté avait écrit dans le Monde, avant mai 68, « La France s’ennuie », comme le sentiment qu’ils ne savent pas quoi faire de leur vie. Tout à la fin, les violents casseront, brûleront tout ce qui leur tombe sous la main. D’ailleurs, sur la ligne 13 les stations Varenne, Champs Elysées-Clémenceau, Miromesnil… sont fermées.
Pauvre ligne 13, poussive, avec sa Fourche, qui après avoir traversé les beaux quartiers s’enfonce dans la tristesse de terres délaissées, arrêt à Gabriel Péri. (1). La piste est bien fléchée pour le parigot tête de veau que je suis.
La salle est complète, public très couples de profs et jeunes gens en mission pédagogique « vous irez voir les Bacchantes ». Pendant la séance mes jeunes voisines tripoteront leur IPhone, trouvant sans doute le temps long. Je dois dire que moi aussi j’ai trouvé le temps bien long.
Mais revenons à l’affiche du TG2 de Gennevilliers, qui n’est pas dans le neuf.3 mais le neuf.2, souvenir du temps où j’embouteillais du vin sur le merveilleux port de pêche de Gennevilliers, les Bacchantes d’Euripide…
« Le mythe ne fait qu'un avec le tragique chez Euripide. Sémélé, aimée de Zeus, meurt enceinte de six mois. Zeus recueille le prématuré et l'abrite dans sa cuisse, jusqu'à la vraie naissance. L'enfant est Dionysos, dieu de la vigne et du délire extatique. Que Dionysos soit le fils de Zeus, cela est mis en doute par nombre de parents, dont Penthée, roi de Thèbes. Dionysos décide d'aller détruire Thèbes. Il y entre, accompagné comme à l'accoutumée de ses amies, les Bacchantes. » Michel Cournot
Pièce tardive d'Euripide, la tragédie des Bacchantes fut représentée juste après sa mort en 405 av. J.-C. Elle occupe une place particulière dans le répertoire tragique, car elle est la seule à mettre en scène Dionysos, le dieu du théâtre, et à évoquer explicitement son culte en le glorifiant. La pièce donne en effet à voir l'affrontement qui oppose le chœur des Bacchantes, mené par Dionysos lui-même, et le roi de Thèbes Penthée, qui tente de mettre fin à un culte qu'il juge usurpé. Pour affirmer sa puissance, Dionysos entraîne à sa suite les femmes de la cité en les frappant de délire et les pousse à mettre en pièces Penthée, dont la tête sera portée en triomphe sur scène par sa propre mère, Agavé. Le culte de Dionysos finit donc par s'imposer de manière éclatante, contre ceux qui niaient sa divinité et lui refusaient leur vénération.
Très beau texte, mais comme le dit mieux que moi Dashiell Donello Bernard Sobel n’a pas sorti les dieux de la machine théâtrale, au T2G
« En entrant dans la salle, nous voyons un film qui met en action des constructeurs de décors. Cela nous amène, peu à peu, dans l’intime du théâtre avant le théâtre, et nous nous imaginons que les colonnes en trompe l’oeil, vont restituer un temple de la période classique, probablement le Parthénon. Hélas ! Notre imagination était trop exigeante.
D’entrée quelque chose ne prend pas. Comme n’a pas pris la continuité du film au lever du rideau. Toute la belle énergie des « Titans » de la technique a disparu. Et notre pauvre Dionysos est plus proche d’un sympathique animateur que du Dieu terrible supposé. De tout ce qui magnifie le théâtre, Bernard Sobel ne nous restitue que quelques éléments de polystyrènes abandonnés à cour et à jardin avec, ce qui n’est pas nouveau, la machinerie à vue. Quant à la fontaine de Dircé où le feu divin brûle encore, c’est par respect, au grand homme de théâtre que nous avons aimé, que nous ne rions pas. Nous devons encore nous retenir à l’arrivée du chœur. Que dire ? Rien. Quand les costumes font fausse route au théâtre, ils ne font pas les moines, hélas ! Si le but est de ne pas faire réaliste, c’est presque parfait. clairement identifiés. Notre seule défense, c’est la transparence. »
Oui, mise en scène indigente, interprétation poussive, que je regrette que ne pas avoir été au Français en 2005, comme l’écrivait Michel Cournot :
« André Wilms met en scène Les Bacchantes à la Comédie-Française. Le décor est un jeu de fragments de piliers, sans ornements ni architecture d'ensemble définie. Une polychromie de grands bâtons de pierre dressés, dont les couleurs ne sont pas habituelles - des couleurs sans correspondance avec la nature, des couleurs disons "industrielles", qui ne sont d'aucune époque.
Soudain, après un noir bref, nous retrouvons tous ces piliers tombés à terre. Au décor de barres droites, dressées ou tombées, succédera un disque rouge sang, géant, qui se reflète dans un miroir ; c'est très frappant, très beau. Au centre de ce disque, une fosse dans laquelle sont couchés Agavé et le corps de son fils en morceaux.
La traduction française, de Mayotte et Jean Bollack, est simple et claire. Le texte, même celui du chœur, est réaliste, évite le lyrisme, alors que l'action et le dialogue irradient un mystère qui n'est pas celui des autres pièces d'Euripide, un mystère que l'on pourrait dire spirituel, et qui n'est peut-être pas sans lien avec l'Egypte.
Superbe interprétation maison. La troupe du Français est à son mieux. Denis Podalydès, Dionysos jeune, alerte, lumineux. Martine Chevallier, Agavé d'un tragique pur. Sylvia Bergé, Catherine Salviat, Véronique Vella, Anne Kessler, Florence Viala, Bacchantes attentives, plutôt assagies par leurs costumes sans érotisme ni bestialité excessifs. Catherine Samie, Coryphée d'autorité parfaite. Eric Ruf, roi de Thèbes sûr de lui. Daniel Znyk, vieux Cadmos impassible. Michel Robin, Tirésias imprudent.
C'est une représentation d'un style neuf, inattendu, très fort.
Les applaudissements au TG.2 furent poussifs.
Pour me consoler je me dis tu vas aller prendre verre au bar en grignotant un plat de Youpi ; là aussi catata, une tristesse infinie, je fuis.
Dans le métro, je souligne des passages dans le texte traduit par Mayotte et Jean Bollack :
TIRÉSIAS :
… Ce dieu, le nouveau, dont tu te moques,
Je ne pourrais pas dire combien il sera grand
À travers la Grèce. Il y a deux principes, jeune homme,
Dans le monde : Demeter, la déesse,
C’est la terre, quel que soit le nom que tu veuilles lui donner.
Elle nourrit les hommes dans le sec.
Lui, le fils de Sémélé, est allé au pôle contraire
Il a découvert l’humide dans la boisson de la grappe, et il l’a introduite
Chez les hommes ; elle libère les malheureux
De la douleur, quand ils sont pleins du jus de la vigne ;
Elle donne le sommeil, l’oubli des tracas du jour.
Il n’y a pas d’autre drogue contre la peine.
Ce dieu, né dieu, coule en l’honneur des dieux ;
Le bien des hommes, il en est la cause.
Et tu te moques de lui parce qu’une suture l’a implanté dans la cuisse
De Zeus ?
[…]
Fais couler le vin, fais le bacchant, mets des couronnes.
Ce n’est pas Dionysos qui forcera les femmes à la raison
En amour, la raison
Fait partie de la nature, en toute chose, toujours.
C’est cela qu’il faut avoir en vue. En pleine extase bachique,
La femme de raison ne se perdra pas.
PREMIER STASIMON
Antistrophe 2
Ce dieu, fils de Dieu,
Prend plaisir aux banquets,
Il aime Paix, prodigue
De trésors, la déesse nourricière de garçons.
À part égale, il a donné au riche
Et au petit d’avoir le charme
Sans chagrin du vin.
Il hait l’homme indifférent à cela :
Vivre jusqu’au bout le bonheur,
Dans la clarté et le long des nuits aimées ;
Tenir loin de soi coeur et tête de sophiste
Comme en ont les prétentieux !
Ce que croit la masse,
La pratique des gens ordinaires,
Dans ce lieu, je voudrais l’accueillir.
Bacchante (nom féminin)
Prêtresse de Bacchus
1537 - «Alors une grande partie de ces dames se leverent, pource que ainsi le faire madame la duchesse leur avoit faict signe, et en riant coururent toutes contre le seigneur Gaspard, comme pour le vouloir batre, et luy faire comme les baccantes Dorpheus, en disant tousiours ; Vous verrez a cest heure si nous soucions que de nous se parle mal.» J. Colin, trad. : B. de Castillon, Courtisan, II, 143 r° (J. Longis et V. Certenas) - R.K.
(1) « Gabriel Péri »
Un homme est mort qui n’avait pour défense
Que ses bras ouverts à la vie
Un homme est mort qui n’avait d’autre route
Que celle où l’on hait les fusils
Un homme est mort qui continue la lutte
Contre la mort contre l’oubli
Car tout ce qu’il voulait
Nous le voulions aussi
Nous le voulons aujourd’hui
Que le bonheur soit la lumière
Au fond des yeux au fond du cœur
Et la justice sur la terre
Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d’amies
Ajoutons-y Péri
Péri est mort pour ce qui nous fait vivre
Tutoyons-le sa poitrine est trouée
Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux
Tutoyons-nous son espoir est vivant.
Paul Éluard