Dimanche, le 10, le ciel déversait des seaux, il faut dire que le samedi les rues étaient encombrées de sots, je n’ai pas mis le nez dehors, j’ai lu, écrit et puis j’ai consulté ma boîte mail. Un message m’est sauté à la vue, il émanait de Gland, Gland c’est en Suisse :
Découvrez Alain Hasard, artiste de la côte chalonnaise !
Là, mon sang n’a fait qu’un tour, découvrir, découvrir, Alain Hasard, qu’est-ce qu’on me chante-là ?
Illico je plongeais dans ma cave de chroniques (normal c’est pour répondre à CAVE) et je tirais de la poussière un « petit joyau » (si je ne me cire pas moi-même les pompes, qui le fera à ma place ?) :
18 novembre 2008
Mes Riches heures en Bourgogne 1: le principe de «discrétion» appliqué par Alain Hasard vigneron d’Aluze
« Face au terroir, plus l'homme se fait discret, meilleur est le vin » Stéphane Derenoncourt
N.d.l.r : en ce temps-là, je vivais dans l'illusion française mais comme allez le constater, je doutais.
Lundi, veille du 11 novembre, dans ma quête des réalités du terroir profond, j’ai pris matinalement le TGV pour Beaune afin d’aller à la rencontre de vignerons qui travaillent autrement. Des atypiques comme les vins qu’ils produisent. Mais, comme dans notre beau pays on adore cataloguer, classer, réduire les choix au binaire, pimenter le tout d’un bon zeste d’engagement, bâtir des chapelles, je dois vous prévenir que je n’appartiens à aucune coterie, mouvement et que je ne souhaite pas être annexé par qui que ce soit.
Afin de bien être compris, les mots sont si commodes que certains prennent un malin plaisir à cacher sous eux des acceptions simplificatrices – je vous dois des explications à la fois sur mon intérêt pour tous ces vignerons qui revisitent leur métier et sur ma relative allergie vis-à-vis de la notion, très à la mode, de vin dit naturel.
Pour les urbains, coupés du cycle des saisons, consommant de la nature en WE ou maison de campagne, ça signifie des vins qui se font tout seul, en toute liberté, des sauvageons, des vins libres. Ce n’est pas tout à fait faux mais ce n’est pas exact : la main de l’homme y est bien plus présente, constante, qu’il n’y paraît, même si elle se veut peu intrusive, plus accompagnatrice que directive. C’est sur cette geste attentionnée, ce « non interventionnisme » que je souhaite chroniquer ce matin après mes visites chez Alain Hasard à Luze. Mais avant d’en arriver là parlons de la Nature.
La nature, l’originelle, ce sont les forêts primaires, intactes, jamais exploitées ni fragmentées, indemnes de la main de l’homme, qui représentent le plus haut degré de naturalité. Même les prairies naturelles de mon bocage natal, chères à mon cœur d’ancien gardien de vaches, reste bien éloignée de la naturalité. Mais comme la nature est « tendance », l’appropriation du naturel par les défenseurs de la nature est une tentation de tous les instants.
François Morel, dans son dernier opus « le vin au naturel » pressentant l’objection, s’en explique « On n’a peut-être jamais autant parlé de la nature que depuis aujourd’hui : depuis que, dans son complexe rapport à l’homme, elle apparaît menacée, voire en voie de destruction. Que l’homme soit partie intégrante de la nature, et en tant que tel agent essentiel de sa perpétuelle transformation, personne ne peut le nier. Au même titre que la dérive des continents ou la respiration des plantes. Mais l’homme est seul à avoir un pouvoir de choix ou de décision. Le sens des choix et des décisions est donc d’une importance fondamentale. Autrement dit, la nature n’existe pas en tant que donnée figée, définitive et immuable, elle est perpétuellement en train de se faire et l’homme en est indissociable. Elle est tout à la fois ce qui est donné et ce qu’on en fait.
[…] Pour les vignerons, dans l’immense majorité de ceux qui sont concernés, la référence à une conception « naturelle » du vin n’émane pas d’une théorie de « la Nature », bien hasardeuse. Elle résulte du choix d’une agriculture qui s’adapte aux écosystèmes, à l’opposé d’une industrie agro-alimentaire qui veut adapter les écosystèmes. Concrètement : une volonté de se démarquer de méthode de viticulture et de vinification qui multiplient les interventions et les traitements à tous les stades du travail de la vigne et de l’élaboration du vin et viennent modifier – dénaturer, donc – la subtile et complexe biochimie des constituants du vin par des intrants et des « produits chimiques » de plus en plus sophistiqués. Á l’opposé de la conception industrielle qui préconise engrais, pesticides, levures et bactéries « sélectionnées », sucre de chaptalisation, soufre, acidifiants et autres, il s’agit donc de la prise en compte de cette matière vivante qu’est le vin. Travailler à la qualité de la matière première plutôt que s’en remettre aux techniques correctives, s’attacher à des vins vivants.»
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Il y a fort longtemps que je n’ai pas goûté ses vins alors je vous confis à un expert : Jacques Perrin.
« À l'heure où les prix des plus prestigieux vins de Bourgogne flambent littéralement, il y a encore de grandes et belles découvertes à faire dans cette région mythique, notamment au sud de celle-ci, à quelques encablures de la côte de Beaune et du mâconnais. En côte chalonnaise plus précisément.
Les Champs de l'Abbaye est le nom de la section cadastrale sur laquelle se situent la maison et le caveau d'Isabelle et Alain Hasard. Sis sur la commune d'Aluze, entre Rully et Mercurey, le domaine a pour symbole une clé de Fa, clin d'œil du mélomane et parallèle subtil entre champ et chant. Alain Hasard est d'origine ardennaise. Il tient de son père, œnophile accompli, sa passion pour le vin. Après avoir achevé des études de psychologie à Montpellier, il travaille dans un restaurant gastronomique en tant que sommelier puis s’oriente vers l’aventure vigneronne. L'aventure est lancée. »
Attiré par la Bourgogne et le pinot noir, il suit une formation à Beaune, puis effectue des stages chez des vignerons de côte de Beaune et chalonnaise. C'est en 1997 qu'il s'installe dans le couchois où il travaillera ses première vignes. En 2006, après cette première expérience, Alain, Isabelle et leurs enfants s'installent à Aluze. Ici, ils convertissent ce vignoble en bio avec une approche biodynamique appliquée avec bon sens. Ils optent pour de petits rendements et des vendanges manuelles.
Dans la même lignée, les vinifications sont très peu interventionnistes : après égrappage total ou partiel, la fermentation est spontanée, la cuvaison pour les rouges dure 8 à 10 jours, tandis que les blancs sont vinifiés sous bois. L’entonnage et l’élevage durent entre 11 et 14 mois avec 25 à 30% de neufs. Aucun soutirage n'est réalisé. La mise en bouteille se fait après très légère filtration, en douceur.
Les vins sont aujourd'hui célébrés par les journalistes les plus passionnées et exigeants, au même titre que les plus prestigieux crus de Bourgogne. C'est une découverte majeure, prioritaire !