Ma fille connaît bien son père, elle se souvient aussi que nous nous gavions de BD à L’arbre à Lettres, librairie sise au bas de Mouffetard, alors pour la Noël elle m’a offert un vrai petit bijou de BD : Les Grands Espaces de Catherine Meurisse.
« Le 7 janvier 2015, Catherine Meurisse était arrivée en retard rue Nicolas-Appert, à Paris, à la conférence de rédaction de Charlie Hebdo. Ayant ainsi échappé aux balles des frères Kouachi, mais pas indemne pour autant, la caricaturiste a entrepris depuis une forme de convalescence qui passe par l’abandon du dessin de presse pour l’écriture exclusive d’albums de bande dessinée. »
Dans Les Grands Espaces Catherine Meurisse me fait retrouver mes souvenirs d’enfance, ma jeunesse de sauvageon, ce monde fait d’imaginaire et de liberté. C’est léger, dénué de nostalgie sirupeuse, on respire, c’est drôle, le trait est spontané, il « baguenaude du côté de Bretécher et de Reiser »
« Là est la force de l’album : divertir le lecteur sans lui faire sentir le long travail de résilience qu’il représente. « La Légèreté posait la question “qui suis-je ?”. Les Grands Espaces racontent « d’où je viens ». Trois ans après l’attentat, retourner aux sources, à l’enfance, m’est apparu comme une nécessité », confie Catherine Meurisse. »
J’ai dévoré !
Même que je suis prêt à en faire la lecture à ceux que j’aime.
Un conseil : offrez !
Mais avant de clore cette chronique je ne puis m’empêcher de vous infliger un florilège de mes souvenirs.
Je vais être sans pitié, pour nous Vendéens, les Deux-Sèvres, où les parents de Catherine se sont installés, retapant une vieille bâtisse, département voisin du nôtre, qui lui faillit se nommer les Deux-Lay, le 79, c’était une vague annexe de la Vendée militaire.
Et puis vint Ségolène qui y débarqua en 1988, après avoir tanné Tonton (c’est Louis Mermaz qui s’en est chargé) pour se faire élire députée de la seconde circonscription. Elle fut élue et me tanna aussi pour que son chabichou soit reconnu AOC.
De notre côté nous fûmes affligés par le règne sans partage du vicomte Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon, avatar du Puy-du-Fou.
« L’ancienne dessinatrice de presse n’a pu résister, non plus, à doter son récit d’une dimension documentaire sous la forme d’une plongée dans les années 1980. Y sont décrits l’avènement de la société des loisirs, les mutations industrielles de l’agriculture, la périurbanisation du monde rural… Ségolène Royal, René Monory et Philippe de Villiers y font également des apparitions furtives – plutôt désopilantes. « On ne se refait pas, je suis caricaturiste », s’excuse Catherine Meurisse. Nul ne lui en voudra. »
Pour les petites louves et les petits loups ignorants, René Monory, le garagiste de Loudun, inventeur du Futuroscope, fut Ministre des Finances dans le gouvernement de Raymond Barre, un autodidacte comme Pierre Bérégovoy.
Enfin, pendant longtemps les Deux-Sèvres pour moi c’était le marché aux bestiaux de Parthenay où je suis allé avec mon père vendre des bêtes. On partait tôt, les maquignons avec leurs blouses noires, le verbe haut, le casse-croûte dans les bistrots. À l’époque l’un des plus grands marché de bestiaux de France avec Sancoins. Et puis y’avait aussi ma cousine Maryse, la fille de l’une des sœurs de maman, la tante Jeanne et son mari Tatave et ses 4CV gonflées, mais là motus et bouche cousue.
Pour finir :
Et in arcadia ego
« Oui ça se faisait dans ma région, les agriculteurs épandaient sur leurs champs de maïs ce qu’ils appelaient du sang de nettoyage, des résidus d’abattoir. Ça sent très mauvais. Mes parents ont grandi et vécu à la campagne, mon père était ingénieur dans l’industrie du bois et ma mère, femme au foyer. Ils connaissaient très bien la terre, les plantes, les arbres et savaient parfaitement comment les faire pousser et s’en occuper. Ce n’était pas de militants écolo, mais voir la campagne se modifier à toute allure, les haies abattues pour que les tracteurs puissent passer plus facilement, les champs qui empestent les produits chimiques, les lotissements qui poussent en dépit du bon sens, la disparition des insectes, le remembrement, le productivisme, tout ce cortège d’aberrations leur brisaient le cœur. Ma sœur et moi avons été sensibilisées très tôt à tous ces problèmes et rétrospectivement que je me sois retrouvée caricaturiste à Charlie Hebdo ne doit rien au hasard. Mes convictions rurales, ma hargne envers les ronds-points et les pesticides amusaient beaucoup Charb et Wolinski. Evidemment les pluies n’étaient pas aussi rouges, j’ai demandé à la coloriste Isabelle Merlet d’accentuer le côté fin du monde, ce qu’elle a parfaitement réussi ! Mais c’était très inquiétant quand même et l’odeur était pestilentielle ! »
Télérama ICI
Lorsque j’officiais en Normandie comme président des cidres et Calvados d’appellation, Jean Pinchon, hobereau d’Épaignes dans l’Eure (dont le maire était le Morin qui préside la région réunifiée, une lumière), éleveur de belles charolaises, aimait lors des agapes dominicales choquer les bourgeoises parisiennes, évoquer le fait que la merde des vaches modernes, gavées d’ensilage maïs, puait alors que celle d’autrefois fleurait bon l’herbe fraiche et le foin.