Chaque année, le GFA de LA CARBONELLE, tient son assemblée générale ordinaire et extraordinaire au pied du chai de Catherine Bernard, en pleine campagne.
Cette année j’ai pris le TGV jusqu’à Nîmes puis un TER jusqu’à Lunel, où l’on vint me chercher, pour assister à l’AG du 6 octobre 2018, c’était un samedi.
Au menu, les 8 résolutions, mais surtout le petit discours de Catherine, que j’ai baptisée pour l’occasion présidente, car ça fait sérieux dans le Languedoc qui recèle le plus de présidents à l’are de vignes.
Ensuite nous avons bien mangés et bien bus et à la fin, à 23 heures, comme prévu par la météo un orage monstrueux nous est tombé dessus. La pluie, tant attendue par tous, les vignes y compris, tomba comme vache qui pisse.
J’ai attrapé un rhume dans le mobil-home jouxtant le chai où j’ai dormi malgré les illuminations du ciel et ses fureurs.
Mais revenons au plat de résistance, le petit discours de Catherine, c’est elle qui le qualifie ainsi, pourtant il n’a rien à voir avec ceux que j’ai, dans ma vie antérieure, si souvent entendus dans les AG de caves coopé (une pensée pour le président Verdier), car il donne à réfléchir.
C’est si rare dans le monde du vin de réfléchir, de donner à réfléchir, et j’ose écrire, en parodiant l’ouvrage de Laure Adler « les femmes qui lisent sont dangereuses », que « les femmes qui donnent à penser sont dangereuses », Catherine est de cette espèce.
Bien évidemment, j’ai bu ses paroles comme du petit lait – Catherine est née dans un pays de vaches à lait – et je me suis dit, dans ma petite Ford d’intérieur, sitôt qu’elle eut terminé : en voilà une belle chronique !
Mais, comme nous n’étions point dans une AG de coopé, le petit discours de Catherine n’était pas dactylographié pour être distribué aux membres du GFA. Elle avait bien un petit papier, notre présidente d’un jour, mais comme disait mon père, elle a brodé.
J’ai donc dû attendre ce début d’année où avec les papiers officiels, que je ne lis jamais, Catherine a eu l’obligeance de nous transcrire son petit discours comme je le lui avais demandé.
Merci à notre présidente d’un jour et bonne lecture à vous mes chers lecteurs.
Chers tous,
Je vous avais promis de coucher par écrit les quelques réflexions ébauchées lors de l’assemblée générale le 6 octobre dernier. Le temps a passé, mes réflexions sont toujours à l’état d’ébauche, et sont, en fait, avec le recul, plutôt des interrogations.
Comme vous le savez tous maintenant, la grêle et le mildiou ont mangé 85% de la vendange 2018. C’est fort dommageable, mais cela n’engage pas l’avenir. Tout vigneron, où qu’il soit, connaît au moins une fois dans sa vie une telle perte. Cela fait partie du métier.
Mes interrogations se situent ailleurs sur l’échelle du temps. Je pense que nous sommes à l’aube d’une grave crise du vignoble, et plus généralement agricole. Le paradoxe est le suivant : après presque un demi-siècle de désamour, les Français, et avec eux le monde occidental ou en voie d’occidentalisation, ont (re)trouvé le goût du vin. Jamais le vin n’a été aussi bon, jamais il n’a été aussi populaire, de la Chine aux pays nordiques. Il n’a pourtant jamais été autant menacé. Sauf et comme en 1863, année de l’apparition du phylloxera à Pujaud, dans le Gard. Il n’y a pas de cause unique, mais un enchaînement de causes qui forment un écheveau difficile à démêler, au rang desquels :
Le changement climatique
Cela fait maintenant trois millésimes, 2018 compris, que les vignes souffrent d’un stress hydrique que je qualifierais au minimum d’inquiétant. Je pourrais même en ajouter un 4ème, 2015. Ce stress (pour la seule année 2018, conjugaison de températures extrêmes, jusqu’à 48°, et 16 semaines de sécheresse) n’ampute pas seulement les rendements en jus, il modifie profondément les équilibres et le métabolisme du raisin, rendant les fermentations compliquées, et plus grave, porte atteinte à la pérennité des vignes.
Ces conditions climatiques répétées rendent très difficiles l’enracinement des jeunes vignes. Sur les 900 jeunes vignes plantées en janvier à La Carbonelle pour remplacer les mourvèdres morts de ce que l’on qualifie banalement de «dépérissement précoce», la moitié n’a pas survécu d’abord à l’asphyxie racinaire engendrée par les 300mm de pluie du printemps, puis par la sécheresse de l’été. Enfin, chaque année supplémentaire de stress hydrique fragilise davantage encore les plus âgées, comme nous-mêmes vieillissons. Nous prenons chaque année une année supplémentaire, mais la prise de conscience de l’âge se fait par palier. Boum.
La dégénérescence du vignoble
Depuis le phylloxera, les vignes (vitis vinifera, à peu près 6 000 variétés connues dans le monde) sont greffées sur 4 autres familles de vigne (vitis berlandieri, labrusca, riparia et rupestris).
En soi, déjà, cela interroge. C’est comme si on arrivait au monde avec une jambe de bois. Et en soi, cela réduit singulièrement la diversité. On passe, dans la terre, de potentiellement 6 000 à 4.
Cette diminution (le mot est faible) a été elle-même multipliée de manière exponentielle par les pratiques viticoles et la généralisation des pépiniéristes. Au fil des ans, de manière tout à fait insidieuse, les vignerons ont délégué aux pépiniéristes l’acte de planter. Depuis plus d’un demi-siècle, ces derniers sélectionnent par clonage les porte-greffes ainsi que les greffons. Cela a eu pour première conséquence l’abandon de cépages dits «autochtones», par exemple en Languedoc, le terret, le ribeyrenc, l’aramon, et d’autres qui ne me viennent pas sous mon clavier.
Le nombre de cépages réellement cultivés en France a fondu comme neige au soleil, tant et si bien, que maintenant, n’importe quel amateur peut demander à propos d’un vin : «qu’y a-t-il comme cépage dedans ?»
Cette question a priori tout à fait banale et ordinaire a le don de me mettre dans une colère noire.
Car la connaissance que l’on a aujourd’hui des cépages est précisément rendue possible par l’immensité de la perte. Je referme la parenthèse, et reviens à mes interrogations.
La deuxième conséquence de ce rétrécissement de la diversité engendre aujourd’hui la dégénérescence, ainsi de la consanguinité. Apparaissent donc des maladies qui amputent l’espérance de vie de la vigne et son équilibre présent.
Je passe sous silence les autres pratiques, encore plus innommables, qui répondent à un marché et ne nous concernent pas : les machines à vendanger, les pesticides dans le sol et foliaires, les plantations forcées…
Je ne suis pas sûre (encore un euphémisme) que les instituts de recherche divers et variés cherchent dans le bon sens, ni d’ailleurs la profession dans son cri majoritaire.
Nous abordons les choses de manière saucissonnée, en faisant aveuglément confiance au positivisme scientifique.
Après analyse des bois auprès de l’Institut Français de la Vigne, il s’avère que «le dépérissement précoce» des mourvèdre de La Carbonelle est lié au porte-greffe, lequel s’avère pas du tout adapté au Languedoc, pourtant à l’époque conseillé et vendu par le pépiniériste…
Comme celle de la démocratie, la crise est encore à ce jour trop complexe à cerner pour qu’il y ait un vrai sursaut conduisant à un changement de paradigme, soit, non plus regarder les choses avec les yeux de la volonté rivés sur l’objectif, mais à travers le prisme de leur environnement.
Il n’y a pas de solution miracle, ni unique, mais peut-être une multitude de solutions, propres à chaque région viticole, à chaque manière de conduire la vigne. Et peut-être, faudra-t-il se résigner à pas de solutions du tout dans certains cas.
En 2009, je suis allée pour Vitisphère à Nuits Saint Georges au festival international de la vigne et du vin. J’ai retrouvé depuis le titre de l’un des films que j’ai vu et dont les images continuent de me hanter, bien qu’improbables, «Les temps changent». Le film, au demeurant assez moyen, se déroule en 2099. Le réchauffement climatique n’est plus un scénario. L’héritière d’un Château de l’appellation de Bordeaux se bat pour maintenir en vie le domaine dont les vignes ont été remplacées par des orangers. Les orangers sont eux-mêmes menacés par des nuées de criquets poussés par les vents du Maghreb, lui-même devenu inhabitable...
Si en Languedoc, à La Carbonelle, à Saint-Drézéry, « La » solution au stress hydrique doit être l’irrigation, cela n’en est pas une.
Cela signifie qu’il faut cultiver autre chose à La Carbonelle, et cultiver des vignes ailleurs, là où c’est possible sans avoir à puiser dans les ressources de l’eau.
Avant d’en arriver là, je vais explorer d’autres voies, cette année la permaculture, pour limiter l’évapotranspiration qui stérilise les sols.
Néanmoins, en viticulture, à cause ou grâce (selon le point de vue où l’on se place), le temps se compte en années et il n’y a qu’un millésime par an.
Avant de planter les 27 ares qui restent à planter à La Carbonelle et de replanter les 30 ares des Travers et les 30 ares des Combes, je vais réfléchir à comment planter : d’abord le porte-greffe pour qu’il s’enracine, puis au bout de deux à trois ans greffer. Entre temps, il faut trouver des porte-greffes, apprendre à greffer ou trouver un greffeur …
Et si la vigne n’a pas sa place, planter autre chose. Bref, chercher, retourner aux origines pour comprendre, expérimenter, se tromper.
Si j’ai dix millésimes devant moi, Nicolas, ou tout enfant de ma génération, en a 40 devant lui. C’est en cela où la vigne, le vin et le GFA prennent tout leur sens.
Pour conclure, je pense profondément que s’il ne se trouve pas une poignée à résister au rouleau compresseur du déni et du tout prêt, le vin perdra de son humanité, et nous la nôtre.
Mon intention n’était pas de vous affoler, mais de partager avec vous mieux qu’avec quiconque, ces quelques interrogations majeures.
Les photos illustrant cette chronique sont tirées du très beau reportage qu'a réalisé le photographe François Flohic, venue avec Catherine Flohic, deux jours pendant les vendanges 2016, pour le livre « Les semences en questions de la terre à l'assiette », que je vous invite aussi à lire.