Imaginez le gars José, grosses baccantes, paysan à la retraite et encore député européen pour quelques mois, assis à la table de sa cuisine, un stylo à la main pour prendre des notes. En effet, l’hebdomadaire La Vie (de mon temps La Vie catholique) lui a prêté le nouveau roman de Houellebecq, Sérotonine.
Pourquoi ?
La Vie l’avait prévenu : l’auteur parle des paysans et de la campagne.
José prévient : « Que les choses soient claires : je ne suis pas critique littéraire. Je suis lecteur.
Quelle expérience ! J’étais aimanté à ma chaise, un paquet de gris tout neuf, ma pipe et une cafetière pleine.
Pendant deux jours, j’ai vécu avec le narrateur, Florent-Claude Labrouste, contractuel au ministère de l’Agriculture, et ça, ce n’est pas rien… »
Tiens le Michel revient à ses premières amours d’extension du domaine de la lutte où sont lamentable héros Tisserand est fonctionnaire au Ministère de l’Agriculture, normal Houellebecq a fait l’Agro.
Le 7 novembre 2006 j’en citais un passage
Une caricature de socialiste agricole
« Six personnes sont maintenant réunies autour d'une table ovale assez jolie, probablement en simili-acajou. Les rideaux, d'un vert sombre, sont tirés ; on se croirait plutôt dans un petit salon. Je pressens subitement que la réunion va durer toute la matinée.
[…]
Le quatrième représentant du ministère est une espèce de caricature du socialiste agricole : il porte des bottes et une parka, comme s'il revenait d'une expédition sur le terrain ; il a une grosse barbe et fume la pipe ; je n'aimerais pas être son fils. Devant lui sur la table il a ostensiblement posé un livre intitulé : « La fromagerie devant les techniques nouvelles. » Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il fait là, il ne connaît manifestement rien au sujet traité ; peut-être est-il un représentant de la base. Quoiqu'il en soit il semble s'être donné pour objectif de tendre l'atmosphère et de provoquer un conflit au moyen de remarques répétitives sur « l'inutilité de ces réunions qui n'aboutissent jamais à rien », ou bien sur « ces logiciels choisis dans un bureau du ministère et qui ne correspondent jamais aux besoins réels des gars, sur le terrain ».
Le tout ICI
José apprécie :
« Il est toujours dangereux pour un romancier de se coltiner avec le monde rural et sa réalité. Souvent, c’est la caricature ou l’idéalisation. Les seuls qui y arrivent aujourd’hui sont certains auteurs de romans policiers.
Par petites touches, dès le début, Labrouste dépeint son travail au ministère. Incapable de lutter contre la destruction des productions locales par les accords de libre-échange : « Que l’on négocie des abricots, des calissons d’Aix, des téléphones portables ou des fusées Ariane, la négociation est un univers autonome. »
Pensez-donc le héros à sa sortie de l’Agro, a travaillé pour Monsanto, « sur une situation de communication de crise » :
« Mes supérieurs étaient tout simplement des menteurs pathologiques. » Il décrypte en quelques phrases les semenciers et les producteurs de pesticides, dont « le rôle est destructeur et létal ». Il déconstruit le modèle agricole intensif, celui des exploitations gigantesques, « entièrement basées sur l’exportation ».
Du miel pour José.
« En contrepoint, il défend un projet où « il fallait au contraire privilégier la qualité, consommer local et produire local, protéger les nappes phréatiques en revenant à des assolements complexes et à l’utilisation de fertilisants animaux ».
José est en extase :
« Un véritable plaidoyer pour l’agriculture paysanne face à la mondialisation destructrice des paysans. »
Et sans rien lâcher aux bobos de gauche !
Et toc pour eux…
José boit aussi du petit lait lorsque Houellebecq « décrit avec justesse la façon dont la fin des quotas laitiers, la toute-puissance de l’industrie laitière (Lactalis) et les errements de la PAC ont raison des éleveurs. »
Je ne plaisante pas, le José en connaît un rayon sur le sujet.
9 avril 2015
Le cracking moléculaire : casse ton lait cru pour faire un max pognon !
José conclut :
« L’agriculture est une industrie lourde qui mobilise des capitaux de production importants pour dégager un revenu faible ou nul, voire dans le cas d’Aymeric un revenu négatif. » Malgré les investissements raisonnables – pas de robot de traite, la conversion au bio et des vaches normandes – l’éleveur ne s’en sort pas : « Je n’ai jamais réussi à atteindre l’équilibre financier, alors le soir je rumine. »
Son couple explose.
C’est l’engrenage infernal.
« L’agriculture en France, c’est un énorme plan social, le plus gros plan social à l’œuvre à l’heure actuelle, mais c’est un plan social secret, invisible où les gens disparaissent individuellement, dans leur coin, sans jamais donner matière à un sujet pour BFM. »
Lisez Sérotonine. C’est dur, ça remue, ça dérange. Mais tout est dit.
José Bové a lu le dernier Houellebecq, voici ce qu'il en a pensé ICI
Publié le 28/12/2018
« Docteur, je dois manquer de sérotonine ! »
J’ai entendu cette phrase des dizaines de fois au cours de mes consultations de psychiatre, et la sortie du dernier livre de Michel Houellebecq, intitulé « Sérotonine » risque fort d’amplifier le phénomène. Le narrateur y dompte en effet son mal de vivre à grands coups de « Captorix », un antidépresseur imaginaire qui stimule la sécrétion de… sérotonine, évidemment.
Suffirait-il donc d’ingérer la bonne dose de ce neurotransmetteur, parfois aussi appelé « hormone du bonheur », pour être heureux et reléguer mal-être ou dépression au rayon des mauvais souvenirs ? Les choses ne sont pas si simples.
Houellebecq l'avait toujours assuré: musicalement, il n’avait pas dépassé les années 70. Fort bien. Mais dans Sérotonine, il nous exécute un splendide dérapage incontrôlé. « Une grosse boulette », souligne le lecteur qui, photo à l’appui — et confirmation apportée par la version numérique — montre comment Houellebecq a légèrement perdu le sillon.