De mes années, ors de la République, je garde un souvenir ému des réunions d’arbitrage à Matignon chez le Premier Ministre. Présidée par le ou la conseiller (…ière) en charge de l’Agriculture au cabinet du Premier Ministre, flanqué d’un représentant du Secrétariat Général du Gouvernement, qui jour le rôle de scribe silencieux, je faisais face, entouré moi-même de mes ingénieurs, dont certains sont polytechniciens, aux têtes d’œufs de Bercy : les gnomes de la direction du budget, ceux qui disent non à tout, les méprisants de la Direction du Trésor, les manieurs de modèles de la Direction de la Prévision, les conseillers des Ministres de l’économie et du budget et lorsqu’il s’agissait d’aller négocier à Bruxelles, le Secrétaire du SGCI chargé de la coordination interministérielle, Elisabeth Guigou fut SGCI.
Comme la PAC était un très gros morceau, surtout en termes de retour budgétaire, nous recevions plus que nous contribuions, ce n’était pas des parties de rigolades, ça cartonnait sec. Les loulous de Bercy nous prenaient bien sûr pour des ploucs, dilapideurs de fonds publics, toujours en train de caresser dans le sens du poil les bouseux et leurs vaches. Ce n’était pas tout à fait faux mais je n’étais pas là pour baisser mon pantalon. Je surjouais le paysan du Danube ahuri et surtout je demandais fermement à mes brillants ingénieurs de fermer leur clapet, de ne pas entrer dans le jeu des budgétaires. En effet, ces brillants sujets rêvaient de faire les intelligents face à nos brillants interlocuteurs. Moi je me contentais de faire de la politique, qui est l’art du compromis entre le souhaitable et le possible, en me basant sur ma bonne connaissance des campagnes profondes.
Pour eux la France se résumait à leurs brillantes analyses macro-économiques, à une vision purement comptable, à courte vue. Bien évidemment, moi, le petit contractuel à deux balles, avec mes mots de péquenot, je ne pesais pas lourd dans leur balance. Sauf que j’ai eu la chance de tomber sur deux Inspecteurs des Finances qui ne m’ont pas pris pour un zozo : François Villeroy de Galhau, actuel gouverneur de la Banque de France et Guillaume Hannezo, devenu ensuite banquier.
Mais je dois avouer que j’avais un gros atout dans ma manche : j’étais dans le team Rocard, à l’Agriculture d’abord puis Premier Ministre, ça tempérait les ardeurs des sabreurs de Bercy. Le problème dans notre République, où les hauts-fonctionnaires sont partout, comme politiques, dans l’exécutif, le législatif, les cabinets ministériels, les directions d’administration centrale, il n’y a aucun contre-pouvoir réel. Tout se passe entre gens de bonne compagnie, mêmes codes, même langage, même tics.
J’ai servi 3 Ministres : Rocard un bon politique qui maîtrisait ses dossiers, Nallet un expert agricole du sérail qui ne savait pas faire de la politique, et Mermaz un politique de la vieille école, l’électeur d’abord, ignorant à peu tout des dossiers « les vaches allaitantes furent toujours pour lui un grand mystère. »
Cependant je dois reconnaître que, chacun à leur manière, ils n’entraient pas dans le petit jeu de leur administration, fort conservatrice, et ils m’ont toujours laissé une grande liberté d’action pour gérer les dossiers et surtout les « vendre » aux paysans. Tel fut le cas avec Rocard pour la réforme du marché du vin avec les accords de Dublin, pour Nallet, un peu jésuite, ce fut le foutu dossier de la représentativité syndicale afin de briser le monopole de la FNSEA, enfin avec Mermaz, qui ne voulait pas déplaire à ce brave monsieur Lacombe, la première réforme de la PAC qui en finissait avec le soutien des marchés par les prix.
Ce fut chaud, très chaud, mais à aucun moment nous n'avons négligé ceux qui subissaient de plein fouet nos réformes.
Le problème des Ministres c’est qu’ils sont de passage, que la gestion de leur Administration les emmerde, que leurs directeurs gèrent leur carrière en étant aussi lisse et frileux que possible, si on n’introduit pas un peu de frictions, de remises en cause de leur conservatisme, on ne fait plus rien ou pire on empile de la réglementation.
Les « technos » dans le viseur de la Macronie
De nombreux élus LRM jugent la haute administration responsable de tous les maux de l’exécutif.
Par Alexandre Lemarié et Virginie Malingre
Haro sur les « technos ». Alors que la mobilisation autour du mouvement des « gilets jaunes » s’érode, vient le temps du bilan en Macronie. Après plus d’un mois de crise, des conseillers de l’Elysée et des élus de la majorité ciblent les hauts fonctionnaires, gardiens de l’orthodoxie budgétaire, accusés de bloquer toute mesure de redistribution depuis le début du quinquennat. A entendre les soutiens d’Emmanuel Macron, ce seraient eux les responsables de tous les maux de l’exécutif. Eux qui auraient bridé l’audace du chef de l’Etat pour répondre à la crise. Eux encore qui freineraient des quatre fers pour mettre en musique les mesures en faveur du pouvoir d’achat, présentées par le président de la République, le 10 décembre.
« L’emprise de la technostructure nous a empêchés d’avancer suffisamment vite. Eh bien, ça c’est fini », a assuré le nouveau patron de La République en marche (LRM), Stanislas Guerini, le 14 décembre sur LCI, plaidant pour « un retour du politique ». « Ce que dit le président de la République, il faut que ça soit appliqué et que l’on ne se perde pas dans les mesures techniques, technocratiques. »
« Crânes d’œuf »
« Nous avons un énorme problème à régler avec la haute fonction publique, qui respecte une logique interne et ne met pas forcément en application les décisions politiques, même quand elles viennent de l’Elysée », peste un proche de M. Macron, remonté contre ces « technos », qui ont envoyé des notes à l’Elysée ces derniers jours pour expliquer qu’il n’est « pas possible » de mettre en application le plan annoncé par le chef de l’Etat. Que ce soit l’augmentation de 100 euros pour les travailleurs au smic ou l’annulation de la hausse de la CSG pour les retraités touchant moins de 2 000 euros par mois.
« Les politiques sont obnubilés par l’exécution des mesures, le pouvoir administratif, lui, ne pense qu’à une chose : comment on finance et comment on décale les mesures », déclare, agacé, un conseiller de l’Elysée. Or, « la priorité » du président de la République, selon ses proches, c’est l’application de ses promesses à destination des « gilets jaunes ». Quitte à laisser filer les déficits, de manière provisoire.
Pas question de laisser ces « crânes d’œuf », « déconnectés de la vie réelle », torpiller l’opération. « Il faut être intraitable face à la technocratie, en s’assurant de la bonne mise en œuvre des mesures », juge un pilier de la majorité. Pour les macronistes – qui se sont pourtant construits en rupture avec le jeu politique, accusé d’être un frein à la réforme –, la primauté du pouvoir politique doit prévaloir face au pouvoir administratif. « On a besoin des “technos” mais il ne faut pas qu’ils aient le dernier mot. La politique doit être menée avant tout par les élus », souligne le député LRM Jean-Jacques Bridey, jugeant « problématique » d’avoir « une fonction publique toute-puissante ».
A tous les étages du pouvoir, ils sont attaqués. Chacun semble avoir son « techno » à détester. « Il a été élu sur une promesse de bouleversement de la technostructure. Pour l’instant, ça manque », juge un ministre. Le candidat d’En marche !, qui avait promis du mouvement à la tête des administrations – le spoil system –, a aujourd’hui changé moins de directeurs d’administration que François Hollande ou Nicolas Sarkozy. L’urgence serait désormais de « repolitiser la technostructure pour la mettre à portée de baffes, estime un conseiller du chef de l’Etat. Il n’est plus possible de continuer sur la logique de l’inspecteur des finances sortant de l’ENA qui décide de tout, alors qu’il n’a jamais mis un pied sur le terrain ».
Trop orthodoxes
A l’Elysée et au sein de la majorité, on a surtout la dent dure contre les hauts fonctionnaires de Bercy, obsédés par le respect de la règle des 3 % de déficit. Ces experts des chiffres, qu’on tient pour partie responsables de l’épisode de la baisse de 5 euros des APL, qui a plombé le début du quinquennat. De même, on les accuse de tout faire pour mettre en œuvre le prélèvement à la source début 2019, sans se soucier des effets politiques.
Mais Bercy n’est pas le seul dans l’œil du cyclone. Des proches du président ont également la critique facile contre le premier ministre, Edouard Philippe, et son directeur de cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas, qui allieraient « l’arrogance » des conseillers d’Etat « au manque de sens politique ». Considéré comme « l’incarnation de la technocratie au pouvoir », le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, est également ciblé. « S’il existe une technocratie à Matignon, la vraie technocratie est à l’Elysée, tranche Frédérique Dumas, députée UDI depuis qu’elle a quitté le groupe LRM en septembre. Dans les faits, 90 % des décisions d’arbitrage remontent au secrétaire général, qui n’est ni en prise avec la réalité ni exposé. C’est Bercy au cœur du pouvoir. »
Des macronistes reprochent à ces trois énarques d’avoir « planté » M. Macron, en obtenant qu’il raye à la dernière minute de son discours du 27 novembre la suspension de la hausse des taxes sur les carburants. Une heure avant qu’il ne s’exprime, la mesure y figurait pourtant, selon plusieurs sources. Depuis, la suspension s’est transformée en annulation et l’exécutif a dû céder d’autres concessions à hauteur de 10 milliards d’euros. La faute à ces « technos », jugés trop orthodoxes sur le plan budgétaire, qui n’ont pas lâché en temps voulu. « Pour eux, la règle des 3 % est un dogme », déplore un proche de M. Macron.
Un reproche également formulé à l’encontre des ministres de Bercy, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin. Le ministre de l’économie est particulièrement visé, après s’être opposé jusqu’au dernier moment à une annulation de la hausse de la CSG. Tout un symbole de ce bras de fer, qui se joue en coulisses : avant ses annonces du 10 décembre, le chef de l’Etat n’a pas informé les « technos » de Bercy de ses intentions. Une manière de leur signifier qui est le chef.
Lucides, plusieurs élus LRM jugent toutefois que M. Macron – lui-même un pur produit de l’élite technocratique, en tant qu’ex-inspecteur des finances et diplômé de l’ENA – a une part de responsabilité dans l’emprise de l’administration. Certains y voient le résultat de son choix de s’entourer de « technos » lors de son arrivée au pouvoir, pour pallier son manque d’expérience dans la gestion de l’Etat. Un peu facile, dès lors, de leur faire porter le chapeau.
« On déteste les “technos” parce qu’ils empêchent de s’affranchir du réel », soupire un proche du pouvoir, rappelant qu’in fine « ils exécutent tous des décisions qui relèvent du politique ». « Faire le procès des “technos”, c’est confondre la maladie et les symptômes, ajoute un proche de M. Macron. Le vrai mal, c’est qu’on a arrêté de faire de la politique. Cela concerne tout le monde : le gouvernement, le parti et les députés. Quand on gouverne sous le double mantra de l’efficacité et du pragmatisme, on ne fait pas de politique. »
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Avocat et écrivain, François Sureau plaide, en pleine crise des \"gilets jaunes\", pour une révision du mandat présidentiel et de celui des députés, seule solution à ses yeux pour dégripper...