« Bon, dame, ce n'est pas tout ça, il faut que j'aille balayer la place ! » comme disait mémé Marie…
J’ai le bonheur, qui vaut toutes les rétributions financières, d’avoir des lecteurs fidèles, commentateurs, plus ou moins réguliers, de mes chroniques.
Même ceux qui ne me trouvent pas à leur goût me lisent, tel François Mauss :
Le 11 décembre 2018
Au Sieur Jacques :
C’est véritablement fascinant de lire ce blog où on trouve des pages splendides comme celles sur Simone Weil, des réflexions intéressantes sur Lafon-Rochet et aussi des aigreurs inutiles dont le ton est assez mineur.
Il doit y avoir comme cela des jours sans et des jours avec ! Va savoir, Charles !
Ainsi le nantais Arédius qui à l’évocation de mon séjour nantais Place Victor Richard a réveillé en mois des réminiscences de ma Vendée crottée, de son patois ou de ses expressions.
« Les nouilles de mon gourbi place Victor Richard » Ah ! C'est à mon arrivée à Nantes que, à la boulangerie de cette place, j'ai entendu une dame dire « bon, dame, ce n'est pas tout ça, il faut que j'aille balayer la place ! »...et j'ai appris que la place, c'était chez elle. »
Mémé Marie, le pépé Louis et tous les vieux du village parlaient patois. Ma sainte mère, très à cheval sur l’orthographe, la syntaxe, elle avait rêvé d’être institutrice mais on l’envoya faire son apprentissage de couturière, veillait au grain : pas question d’utiliser ce vocabulaire de paysan mal dégrossi. Mon père Arsène, qui parlait peu, le faisait en un excellent français.
Mes copains et moi nous ne parlions pas le patois mais, hors les oreilles de nos mères, nous aimions utiliser le langage des charretiers : « Nom de Diou, de Bondiou ! », « Bordel de merde ! », « Fais chier ! » « Putain de putain ! » ou des expressions comme « pleuvoir comme vache qui pisse », « grenouille de bénitier », « tirer son coup »…
Le patois vendéen est riche : c’est un sous-ensemble du dialecte poitevin. Malgré les différences, surtout de prononciation, il existe des points communs importants entre les différents parlers locaux. Henri-Pierre Troussicot le maîtrise parfaitement. ICI
Mais ma chronique de ce matin est essentiellement consacrée : à la place.
En effet, dans ma prime jeunesse, avec mon père, dans sa 2 CV Citroën, qu’il conduisait comme un amoureux de sa campagne, le dimanche après-midi nous allions visiter dans les métairies ses clients. Pour ceux qui ne savent pas encore Arsène Berthomeau était entrepreneur de travaux agricoles : battages, labours, distillation.
C’était au tout début des années 60 et l’électrification rurale n’avait pas encore atteint les écarts, donc les petites maisons d’un étage, aux fenêtres étroites étaient plongées en plein après-midi dans la pénombre. Nous nous asseyons autour de la grande table commune sur des bancs. La fermière préparait le café, c’est-à-dire, qu’elle allait quérir dans un grand récipient qui bouillottait sur un trépied au coin de la cheminée, un café à la turque : un mélange de café moulu et de chicorée plongé dans de l’eau. Vu mon âge je n’avais pas droit au café donc je ne peux vous en décrire le goût. Je ne buvais rien et je trouvais ça très bien vu le niveau d’hygiène. À la maison on se moquait un peu de moi en disant que j’étais « zirou » car je n’acceptais de manger que le beurre que baratait à la main la tante Valentine. Dire que le beurre que vendaient les BOF des villes provenait de ces fermes qui le vendaient sur la marché du vendredi à la Mothe-Achard. Vraiment y’avait de quoi être dégoûté ou aziré en patois.
Mon père, stoïque, faisait la rincette avec de la goutte, celle qu’il distillait pour le compte du bordier. J’avais droit à y tremper un sucre.
Papa n’était jamais pressé, il prenait le temps, ce qui me donnait l’occasion d’observer l’intérieur des fermes qui se résumait souvent à deux grandes pièces communes. Comme plusieurs générations cohabitaient, il y avait des lits à rouleau dans la pièce commune. Ceux-là je les connaissais car pépé Louis, mémé Marie et la tante Valentine couchaient sur des matelas de plumes, dans lesquels ils s‘enfonçaient comme dans des sables mouvants, couvre-pied rouge et gros édredon. Pépé Louis couchait en chemise et portait un bonnet de nuit à pompon.
Mais ce qui me fascinait c’est que, contrairement à la maison familiale où le sol était recouvert de carrelage, dans les fermes où nous allions c’était de la terre battue couleur de glaise et surtout pleine de trous et de bosses. L’été y’avait même des poules qui venaient y gratter.
Pour balayer la place la fermière utilisait un balai en fragonnette, le Fragon faux houx ou Petit-houx a des tiges et des feuilles très rigides qui permettaient de gratter le sol en terre battue qu’il fallait un peu arroser afin d’éviter la poussière.
Comme la cheminée, où bouillait un grand chaudron à patates pour les gorets, fonctionnait en permanence, et tirait plus ou moins bien, les poutres au plafond étaient noires de suie. Un jambon y pendait, de même que des tresses d’oignons et d’échalotes. Sur les buffets des globes avec des bondieuseries, des mèches de conscrits, des médailles miraculeuses. Au mur des crucifix ornés du rameau de buis béni par le curé le dimanche des rameaux. Il y avait aussi des hommes debout, des bonnetières, en merisier et toujours une pendule à balancier indiquant l’ancienne heure c’est-à-dire celle du soleil.
L’eau, comme les chiottes, quand il y en avait, étaient dehors.
Ils se lavaient, pas très souvent d’ailleurs, dans les grandes bassines en zinc servant à la lessive à la buanderie.
Les femmes avaient coutume de dire aux hommes « vos bêtes sont mieux logées que nous… »
Le confort matériel des métayers n’était guère le souci des maîtres. On partageait les fruits de la métairie alors pourquoi dépenser de l’argent pour loger ses paysans.
Je ne suis pas en train de noircir le tableau mais je décris une réalité pas très lointaine : une cinquantaine d’années seulement. Rien qu’un petit coup de canif au c’était mieux avant. Le dernier acte de l’exode rural se jouait à ce moment. Les lois d’orientation de 1960 d’Edgard Pisani, la Révolution silencieuse de Debatisse, le Marché Commun, le plan Mansholt, le rapport Vedel, la porte-ouverte à l’intensification, à l’intégration par les firmes, au hors-sol pour les exploitations familiales à 2 UTH, ça vient de loin camarades !
Les paysans ne domineraient plus l’espace rural, ils sont minoritaires, les bourgs vont mourir, les usine fermer, les grandes surfaces, chères aux gilets jaunes vont drainer ces étranges ruraux toujours en bagnoles, plus personne ne prend le train. C’est le début de la fin que nous payons cash.
L’exemple de haute-Vendée industrieuse devrait donner à réfléchir à tous les politiques, les extrêmes en particulier, sur le remaillage, le tapinage aurait dit mémé Marie : le ravaudage, de ces territoires exsangues.
Petit dictionnaire de patois vendéen
Chez nous, il ne pleut pas
o mouille
Chez nous, il n'y a pas de rosée
mais de l'égaille
Chez nous, on ne souffle pas
on buffe
Chez nous, on ne ferme pas les portes à clé
on barre les portes
Chez nous, on ne fait pas la sieste
on fait la mariénnaïe
Chez nous, les gens ne sont pas méchants
le sont chti
Chez nous, il n'y a pas d'éclaboussure
mais o coti
Chez nous, il n'y a pas de mensonges
mais do mentries
Chez nous, il ne bruine jamais
o brimace
Chez nous, personne n'est ensorcelé
l'sont enjominaïe
Chez nous, on ne tombe pas à terre
mais on ché o bas
Chez nous, on ne mange pas de noix
mais do calais
Chez nous, il n'y a ni pie ni corbeau
mais do niaces et pi do groles
Chez nous, on n'a pas chaud
i sont achallé
Chez nous, on ne dit pas 'ou est-tu'
mais 'ou é to qu'té calé'
Chez nous, on n'est pas 'arrivé'
on est rendu
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