Jugez par vous-même
Le français, notre belle langue, que le monde nous envie, surtout nos amis anglais, au même titre que nos beaux vins, lorsqu’elle s’encanaille, argot, verlan, sabir du neuf trois, langue du populo, s’aère, prend l’air de la rue, et permet de dire crument ce qui est cru, loin de l’aseptisation hypocrite du parler sous cellophane.
Des expressions comme « avoir bu l’eau des nouilles » ou « avoir les bonbons qui collent au papier » ou « je m’en beurre les noisettes », sont les dignes héritières d’un Boudard, d’un Audiard, d’un Dard, d’un Lebreton, d’un Simonin ou d’un Coluche. Je n’en use qu’avec parcimonie même si mes doigts sur le clavier de ma bécane à puces me démangent souvent. Je me réfrène mais de temps en temps je me laisse aller à être très bord-cadre.
L'ancien français "dauber" signifiait au sens propre "frapper", et au sens figuré : "se moquer, railler, dénigrer"
« Je les dauberai tant en toutes rencontres, qu'à la fin ils se rendront sages. » Molière, Critique de l'école des femmes
Revenons à cette pauvre daube qui depuis plus d’un siècle, ce nom a quitté les fourneaux pour désigner aussi de la camelote et que, depuis quelques années, il traîne aussi dans les cités pour stigmatiser des substances illicites, coupées, donc de très mauvaise qualité.
Daube : du chevalier au souper
« La cuisine catalane connut un vif succès dans l’Italie du XVIe siècle et influença plus particulièrement l’Italie du Sud. Les premières attestations de daube, en français, proviennent au XVIe siècle des Pays-Bas espagnols. On trouve, dès 1571, à la dobe dans un Menu d’un souper de noces lillois, puis, en 1599, en adobbe, sous la plume du Flamand Marnix de Sainte-Aldegonde, et en 1604, en adobe dans l’Ouverture de cuisine du cuisinier des princes-évêques de Liège, Lancelot de Casteau. En 1640, le dictionnaire italien-français d’Oudin glose dobba « sorte de viande, peut estre ce que nous disons, à la dobe ou daube. » C’est à Paris que le bœuf en daube est devenu l’un des plats les plus populaires.
C’est en catalan, dans la Blaquerna de Raymond Lulle, qu’apparaît pour la première fois le verbe adobar avec le sens de « préparer un aliment » ; il s’agit d’une extension au domaine culinaire de la « préparation » du chevalier : cet adoubement consistait en un coup de plat d’épée (francique dubban « frapper »)
En Catalogne et en Espagne, adob a désigné la marinade, et le mot s’est répandu en Italie au XVIe siècle : dobba, viande marinée apparaît en italien au milieu au milieu du siècle, et y demeure jusqu’au XVIIIe avant de devenir un régionalisme sicilien. On estime généralement que c’est l’Italie, plutôt que directement depuis l’Espagne, que le mot est passé en français. Sa trajectoire, depuis le domaine germanique du nord de l’Europe, au sens général de « préparation », avec son emploi dans la chevalerie, manifeste la circulation imprévisible des mots culturels. »
Marie-Josée Brochard Dictionnaire culturel en langue française Le Robert
Dans une chronique La daube de bœuf dite ‘de la Saint-André’ … et les autres
Blandine Vié pose la question :
Pourquoi « C’est de la daube ! » est-elle une expression argotique péjorative et méprisante ?
Une bonne daube, c’est pourtant chaleureux et régalant. Eh bien, eh bien, dans son « Dictionnaire des argots », Gaston Esnault explique que « daube » serait un mot d’origine lyonnaise pour dire gâté, appliqué à des fruits et à de la viande. Autrement dit, on faisait mariner la viande qui était un peu limite au niveau fraîcheur, histoire d’atténuer son côté sauvage voire faisandé.
Or, si l’on pousse plus loin, on apprend que le mot « daube » s’est d’abord orthographié « dobe » et qu’en italien, « dobba » signifie marinade. Tiens ! Tiens !
Comme quoi la cuisine est une alchimie parfois un peu trouble, ce que confirme le mot « marmite » dont le sens initial (il était alors adjectif) est… « hypocrite » ! C’est au XIVe siècle que l’adjectif est devenu nom et a pris une connotation culinaire, par allusion au fait qu’on peut faire mijoter bien des choses suspectes dans un chaudron muni d’un couvercle.
Bas-morceaux, morceaux choisis
« On peut braiser une pièce dans son entier (culotte par exemple ou épaule pour un agneau ou un gibier) ou la couper en gros cubes, le fin du fin étant de mélanger plusieurs morceaux — dits bas-morceaux (ce qu’on appelait les morceaux de 3ème catégorie dans les manuels de cuisine de nos grands-mères), c’est-à-dire situés dans la partie arrière de l’animal : culotte, tranche, gîte à la noix, jumeau, macreuse, paleron, basse-côte, galinette (très gélatineux) — pour avoir des textures différentes et une saveur finale plus riche, à la fois de la viande et de la sauce. Des morceaux nécessitant tous une cuisson longue pour être tendres. On peut même leur adjoindre des morceaux du cinquième quartier (on nomme ainsi tout ce qui dépasse de la carcasse et ce qui se trouve dans les entrailles), à savoir, dans le cas présent, joue et queue. »
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