Je tiens le coup.
Je continue d’observer les réseaux sociaux, twitter, face de bouc, sans me livrer aux outrances des commentaires de certains de mes « amis ».
De la violence, de l’invective, du parti pris, des œillères, le cul sur leur chaise, face à leur écran certains déversent le trop-plein de leur aigreur, de leur vie riquiqui, grand bien leur fasse mais ça a pour moi un effet bénéfique : je ne les fréquente plus physiquement, n’ayant nulle envie de mettre un mouchoir hypocrite sur ce que je pense d’eux.
L’irruption du mouvement des gilets jaunes, via les réseaux sociaux, est la traduction de cette violence d’abord verbalisée puis déversée dans la rue. Il suffit d’écouter ce que ceux qui s’expriment disent, c’est très souvent radical (j’exclue bien sûr les professionnels de la violence situés aux deux extrêmes). Des victimes me rétorquera-t-on ! Peut-être, mais ce sont eux qui le disent, qui est en capacité de le vérifier ?
Malheureusement pas les journalistes qui leur tendent leur micro, leurs boss leur demandent du sang et des larmes pour doper l’audience.
Les politiques ?
Eux, ça apporte de l’eau à leur moulin, si le petit peuple souffre, descend dans le rue, ce qu’ils n’arrivent plus à faire faire, ça alimente leur rêve de contraindre le pouvoir en place à leur laisser la place. Pourquoi pas ! Mais, à qui fera-t-on croire que leur arrivée aux responsabilités va, comme par magie, changer la vie des gens.
C’est une escroquerie intellectuelle, un cartel des non, hétéroclite, bourré de contradictions, débouche soit comme en 1981 à un reniement ou comme chez nos voisins italiens à une politique d’exclusion, de fanfaronnade, qui débouchera sur rien de bon pour le peuple.
Reste les intellectuels, ceux que l’on considérait comme tel, pas les usurpateurs qui s’autoproclament pour faire prospérer leur fonds de commerce.
Étant abonné au journal Le Monde je vous livre la salutaire réflexion d’Elisabeth Badinter.
Je le fais comme autrefois je passais mon journal papier à des amis pour qu’ils lisent un article qui avait retenu mon attention. Foin du copyright, j’ai payé et je dispose de ce que j’ai acheté.
Elisabeth Badinter : « Je ne pense pas qu’on puisse parler librement sur Internet »
La philosophe, dont « Les Passions intellectuelles » paraissent en un volume, évoque la violence des réseaux sociaux, qui contraste avec l’idéal de rationalité des Lumières.
Propos recueillis par Jean Birnbaum
Les Passions intellectuelles, d’Elisabeth Badinter, Robert Laffont, « Bouquins », 1 216 p., 32 €.
Sous le titre Les Passions intellectuelles, les éditions Robert Laffont font paraître un volume de la collection « Bouquins » qui regroupe les trois beaux essais consacrés par Elisabeth Badinter à l’effervescence du XVIIIe siècle et des Lumières. C’est l’occasion d’interroger la philosophe sur la vie des idées et son évolution.
- Voilà plus de quinze ans qu’est paru le premier tome de votre trilogie. Que vous inspire cette réédition dans le contexte actuel ?
Cela me fait plaisir car je pense, peut-être naïvement, que nous avons un besoin fou de rationalité. Le combat des philosophes du XVIIIe siècle, c’était quand même celui de la rationalité contre les superstitions. A une époque où l’irrationnel prend une place immense dans notre vie sociale et intellectuelle, revenir à ce combat me semble un geste opportun, peut-être beaucoup plus encore qu’au moment où j’ai publié ces textes pour la première fois.
- « Les intellectuels ont changé de maître, mais pas d’esclavage », écriviez-vous à la fin du troisième tome des « Passions », pour expliquer que les clercs obéissaient de moins en moins au roi et de plus en plus à l’opinion. A qui obéissent les intellectuels aujourd’hui ?
Aux réseaux sociaux ! Tout le monde en a peur. Moi je n’y suis pas, je tiens à ma tranquillité et je crains de me prendre au jeu, mais j’entends ce qu’on dit et je lis ce qu’en raconte la presse. Il y a des sujets qu’on aborde à peine, sur la pointe des pieds. En ce qui concerne #metoo et #balancetonporc, j’ai été impressionnée par le silence de féministes historiques, parfois fondatrices du MLF, qui n’étaient pas d’accord avec la façon dont la parole se libérait, interdisant toute nuance, toute objection… mais qui avaient si peur qu’elles se sont tues. Les réseaux sociaux ont doublé le pouvoir d’une opinion publique qui est libre de dire ce qu’elle veut, mais qui est souvent peu nuancée, peu avertie et d’une violence inouïe. Jamais la presse ou les médias en général n’ont eu une telle puissance d’intimidation.
On peut critiquer autant qu’on veut la tribune parue dans Le Monde sur #metoo signée, notamment, par Catherine Deneuve. Il reste que ce qui s’est passé est incroyable : elle est devenue une cible mondiale. L’opinion publique du XVIIIe siècle, la doxa, respectait les savants, les philosophes, et elle était limitée. C’était déjà une menace indirecte pour la pensée, la critique, mais ce n’était rien du tout à côté de ce qui se passe aujourd’hui : personne n’a envie de se faire écraser sous les insultes de millions de gens. Ce pouvoir des réseaux sociaux, je le ressens paradoxalement comme une censure !
- « On est bien seul : j’ai un tel besoin de “communauté” », écrivait Mauriac dans une lettre à Jacques Maritain. Les intellectuels ne sontils pas d’autant plus intimidés par les réseaux qu’ils sont travaillés, dans leur solitude, par un désir de « communauté » ?
Je crois qu’il faut distinguer entre les intellectuels reconnus par l’opinion publique et la jeune classe des intellectuels. Au départ, quand on est Diderot, Rousseau, d’Alembert, et qu’on déjeune chaque semaine à l’Hôtel du Panier fleuri, on forme une amicale communauté. Mais quand les mêmes émergent au regard de l’opinion publique, alors le groupe éclate, parce que les rivalités prennent le dessus. Et là on est seul. Chez les intellectuels, le sentiment communautaire ne dure pas. Ce chacun pour soi, je l’observe aujourd’hui, où l’on peut avoir les pires conflits avec des gens dont on était proche dix ans plus tôt. Et cela ne peut qu’être aggravé par les réseaux sociaux qui sont, pour les intellectuels, la communauté de la peur.
Sur Twitter, au fil des années, les choses se sont durcies, au point que chacun semble fuir la discussion loyale et désirer des ennemis plutôt que des contradicteurs. Assiste-t-on, en retour, à une « twitterisation » du débat intellectuel ?
Je n’ai pas l’impression que les relations entre intellectuels ont fondamentalement changé depuis vingt ans. Oui, il y a une sorte de distance que l’on met entre soi et les autres, mais je n’ai pas le sentiment qu’on les traite en ennemis. Peut-être même les intellectuels vont-ils retrouver un sentiment communautaire grâce à l’hostilité des réseaux sociaux ? Si nous faisons l’objet de la détestation générale, cela peut remettre un peu de vie entre nous ! Les intellectuels pourraient régresser de six ou sept siècles, et retrouver la vie des clercs qui s’expliquaient entre eux dans les couvents, sans que personne d’autre intervienne. On continuera de réfléchir, on échangera, on fera des colloques, on s’engueulera, mais on sera entre nous. Je reste donc relativement optimiste : la vie intellectuelle, c’est un choix, un plaisir, une douleur, mais c’est aussi un besoin, et même si cela doit redevenir l’expérience d’un microcosme coupé du monde extérieur, rien ne pourra la faire cesser.
Au XVIIIe siècle, le champ intellectuel était déjà un champ de bataille. Voltaire évoquait la « guerre des rats et des grenouilles », selon une formule qui parlera sans doute à quiconque fréquente les réseaux sociaux…
Mais le facteur important, c’est le nombre. Oui, à l’époque des philosophes, il y avait des clans politiques ennemis, on représentait Rousseau à quatre pattes en train de manger des salades, c’était violent, et Twitter représente sans doute la radicalisation de tout cela. Mais à l’époque cela concernait un microcosme. La quantité de haine personnifiée, cela change les choses. Si cette tendance twitteuse l’emportait aujourd’hui, ce serait la fin de la réflexion et de la connaissance hors des couvents ! En même temps, là encore, je reste assez optimiste : ce faux savoir, ces provocations, cette haine… on en a déjà assez, on va se lasser de tout ça, j’espère.
- Les correspondances ont toujours été fondamentales pour la vie intellectuelle. Que deviennent-elles à l’ère numérique ?
C’est une source de savoir qui est aujourd’hui coupée, car on ne s’écrit plus de lettres. Les courriels, on les supprime, ou ils s’effacent, et puis ça va vite. Les lettres de philosophes que je cite dans mes livres pouvaient faire huit, quinze, vingt pages, assez pour exprimer un raisonnement. Si la correspondance est fondamentale pour la vie intellectuelle, c’est que, en général, la censure ne s’y exerce pas, on peut y exprimer toutes ses pensées. Et j’ai remarqué quelque chose : dans les correspondances du XVIIIe siècle, même les gens très collet monté, un scientifique comme Réaumur par exemple, finissent toujours par se lâcher, et donc par éclairer quelque chose de leur personnalité.
Aussi les correspondances régulières sont-elles la source d’une connaissance approfondie des destinataires, et de controverses fécondes. On n’est pas inquiet et même si on a tort parfois, on estime qu’on peut parler librement. Or je ne pense pas qu’on puisse parler librement sur Internet. Moi, je n’ai jamais participé à une polémique intellectuelle par courriel ! D’ailleurs, je n’entretiens aucune correspondance digne de ce nom par courriel. Quand j’écris une lettre, je suis plus confiante. Pas vous ?
Rien n’est moins intellectuel que le mot « intellectuel », tel qu’on l’applique aux interventions des écrivains et théoriciens dans la vie publique. Ses usagers sortent rarement d’une mise en scène répétitive de l’affrontement des opinions, avec, à défaut de pensée critique, la morale pour arbitre. Comment y échapper, comment traiter de la réalité de l’engagement intellectuel sans devenir le singe plus ou moins savant des « débats de société » qu’on restitue ? En reconnectant justement les positions et les textes à la société dont ils émanent, répond Gisèle Sapiro dans tous ses essais, depuis La Guerre des écrivains. 1940-1953 (Fayard, 1999).
Cette entreprise de réévaluation sociologique de l’histoire littéraire s’amplifie encore dans Les Ecrivains et la politique en France, qui systématise, à partir des concepts forgés par Pierre Bourdieu (1930-2002), la corrélation entre la place des écrivains dans des « champs » politiques et littéraires structurés par les rapports de « domination », et leurs modes d’intervention – de la fin du XIXe siècle aux débats sur la décolonisation. Avec un art virtuose du changement de focale, qui lui permet de mêler aperçus biographiques, histoire intellectuelle et lecture serrée des œuvres, la sociologue met en question les notions de droite et de gauche littéraires, analyse les évolutions historiques, observe la manière dont les textes construisent des visions du monde. Elle n’échappe pas toujours, à son tour, à une forme de schématisation mais livre une nouvelle fois un stimulant exercice de décrassage de nos idées sur la vie des idées. Florent Georgesco
Jean Birnbaum