Nommé en 1854 doyen de la nouvelle faculté des sciences de Lille Pasteur va cueillir ses premiers lauriers deux plus tard à l’été 1856 grâce à la betterave. Dans son discours inaugural il avait souligné l’importance pratique que les études scientifiques pouvaient avoir pour l’industrie locale qui, dans le Nord, comprenaient de nombreuses brasseries et distilleries.
L’un de ses étudiants, un certain Bigo, était le fils d’un important distillateur d’alcool de sucre de betterave. Celui-ci s’adressa à Pasteur car sa production d’alcool était en train de s’arrêter pour des raisons qu’il ne comprenait pas. Pasteur se rendit sur place à plusieurs reprises, il préleva des échantillons dans les cuves encore actives et dans celles désormais inertes.
Le jeune Bigo écrira, qu’au microscope « Pasteur avait remarqué […] des globules ronds quand la fermentation était saine, qui s’allongeaient quand l’altération commençaient, et devenaient très longs quand la fermentation devenait lactique »
« C’est en étudiant les causes de cet échec que le savant se demanda s’il n’était pas en présence d’un fait général, commun à toutes fermentation. Pasteur se dirigeait vers une découverte dont les conséquences allaient révolutionner la chimie. » René Vallery-Radot.
Son Mémoire sur la fermentation appelée lactique (celle qui rend le lait aigre) est la première étape décisive qui mènera la recherche de Pasteur « des cristaux à la vie ». Il y expose résolument l’hypothèse que la fermentation n’est pas le processus purement chimique, mais qu’elle est aussi le résultat de l’activité de micro-organismes vivants.
C’est une victoire face à Justus von Liebig, son rival allemand.
Lui et d’autres chimistes vont laisser libre court à leur scepticisme, en raillant dans un article sur le rôle des micro-organismes dans la fermentation ces « animaux dans le vin » de la « forme d’un alambic de Beindorf » qui « mangent du sucre, évacuent de l’alcool de vin par le canal intestinal et de l’acide carbonique par la vessie Quand elle est pleine, la vessie a la forme d’une bouteille de champagne. »
Pour Liebig, cette hypothèse était comparable à la « croyance d’un enfant qui voudrait expliquer la vitesse du courant du Rhin en l’attribuant au mouvement violent des nombreuses roues des moulins de Mayence. »
Bonjour l’ambiance !
En 1858, pendant ses vacances en Arbois, « Pasteur puise assidûment dans les caves bien garnies de ses amis d’enfance pour mener à bien ses observations sur le vin gâté, en constatant de fortes similitudes avec ses recherches sur l’acide lactique. »
« Outre la levure, Pasteur observe régulièrement des traces de micro-organismes dans les échantillons de vin gâté qui sont absents des vins non altérés. »
« Il devint si habile dans l’identification de ces différents germes qu’il fût bientôt capable de prédire le goût particulier d’un vin après l’examen de son sédiment. »
Ayant réuni les producteurs et les commerçants en vin, il se produisit en un spectacle de magie. « Apportez-moi », leur dit-il, « une demi-douzaine de bouteilles de vins passés, mais sans me faire connaître leur mal ; moi, sans les goûter, je saurai vous dire leurs défauts ». Les producteurs de vin ne voulaient pas y croire, mais en souriant malicieusement, ils apportèrent les bouteilles de vins malades. Ils observaient les curieux pareils dans le vieux café et regardaient pasteur comme un pauvre maniaque. Ils décidèrent de se moquer de lui en apportant aussi quelques bouteilles de vin très sain. Pasteur, avec une fine pipette de verre, prit une goutte de vin dans une bouteille, la posa entre deux lamelles de verre qu’il plaça sous le microscope. Les paysans se donnaient des coups de coude dans les côtes et clignaient de l’œil pendant que Pasteur était courbé sur son microscope, et l’hilarité se répandait de minute en minute […] Brusquement, il leva les yeux et dit : « Ce vin est excellent, donnez-le au goûteur, et qu’il dise si j’ai raison. » Le goûteur goûta, fronça son nez rouge et dut admettre que Pasteur avait raison. Et il en fut ainsi pour toute la série de bouteilles : Pasteur regardait avec le microscope et annonçait, tel un oracle : « Ce vin est bon, cet autre est filant, celui-là est acide. » Le goûteur confirmait à chaque fois l’oracle. Es marchands de vin stupéfaits, chapeau bas devant lui, s’en allèrent en balbutiant des mots de remerciement. « Nous ne savons pas comment il fait », murmuraient-ils, « mais il est très intelligent ! Extrêmement intelligent, vraiment ! » Une grande concession pour un paysan français ! »
De Kruif
« Avec sa démonstration, Pasteur balaie le scepticisme et les moqueries des viticulteurs : la science fait son entrée triomphale dans les caves, en légitimant son rôle dans le domaine de l’œnologie. Mais l’un des aspects les plus remarquables – et le plus lourd de conséquences pour l’avenir, car ses effets se feront sentir sur l’image publique de la science jusqu’à notre époque –, c’est qu’elle ne le fait pas en tant que science. Pasteur n’explique rien aux viticulteurs, ni à propos de la méthode qu’il a suivie ni à propos des théories sur lesquelles elle repose. Les viticulteurs s’en vont, incrédules et admiratifs, sans avoir rien compris à ce qui se passait… »
Massimiano Bucchi Le poulet de Newton La science en cuisine. (cette chronique lui doit tout)