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18 novembre 2018 7 18 /11 /novembre /2018 06:00
Aucun épisode des temps modernes n’a marqué aussi profondément la paysannerie française que la 1ère guerre mondiale.

Le 100e anniversaire de cette saignée monstrueuse que fut la guerre 14-18, si l’on veut bien laisser de côté la glorification des chefs, pour en revenir à la chair à canon, majoritairement paysanne, devrait éclairer celles et ceux, jeunes ou un peu moins jeunes, qui ignorent les racines de la profonde et tenace césure qui continue de diviser les Français : d’un côté une ruralité, sans plus beaucoup de paysans dénommés aujourd’hui agriculteurs, fantasmée, et de l’autre, une urbanité souvent assimilée au comportement des arrogants parisiens, les élites, les bobos, les qui ne savent rien de la vraie vie.

 

La part de vérité est incontestable, qui peut nier la concentration du pouvoir politique, économique, culturel, à Paris intra-muros, pas moi qui en ai été.

 

Jean-Paul Kaufmann dans son excellent livre La remontée de la Marne nous fait toucher du doigt la vie de ces Français, à quelques encablures de Paris sont les habitants d’une France sinistrée : villages aux devantures vides, églises fermées, communes vidées, paysans ou agriculteurs aigris et parfois méfiants envers la rivière, traces de guinguettes disparues, baignades interdites…

 

De même, dans son livre les raisins de la misère, Ixchel Delaporte, note « Le centre-ville de Pauillac a été laissé à l’abandon, ouvrant la voie aux marchands de sommeil qui accaparent les logements insalubres loués aux saisonniers », constate l’étude sur le travail saisonnier en Médoc. » C’est à deux pas du château Mouton-Rothschild et des GCC.

 

Les lignes de fractures sont partout, et la ruralité prend de multiples visages : territoires sinistrés ou lieux privilégiés, ou les deux ensemble à quelques kilomètres.

 

L’opposition, gens des villes, gens des champs, perdure même si y’a plus beaucoup de paysans dans les champs et que les villes moyennes ont souvent bradé leur centre-ville au bénéfice des prédateurs de la GD.

 

Revenons à la Grande Guerre et à sa chair à canon, des paysans, des ouvriers qui vont pour la première fois se côtoyer dans les tranchées.

 

Gordon Wright, qui était chef du département d’histoire de l’Université de Stanford, grand spécialiste de l’histoire de la France du XXe siècle, dans son livre La Révolution rurale en France, porte un regard pertinent sur ce que furent les prémices du grand exode qui s’accéléra avec le Marché Commun, la révolution silencieuse de Debatisse soutenue par le pouvoir gaulliste, Pisani, on préservait officiellement l’exploitation familiale tout en la précipitant dans une économie de marché de plus en plus ouverte.

 

« 20 ans après, le Président du Conseil Edouard Daladier devait justifier sa reculade de Munich par le fait que la France ne pouvait « sacrifier un ou deux millions de  paysans de plus » ; et il ajoutait – à la Chambre des députés le 9 décembre 1938 – (soulevant à la fois des applaudissements et des protestations) que 80 % des soldats du front, lors de la première guerre mondiale, avaient été des paysans

 

Sans doute exagérait-il ; et pourtant il est évident qu’aucune couche de la société ne sacrifia autant à la guerre.

 

Lire : la géographie des « morts pour la France » 

 

 

La Vendée paysanne y figure malheureusement tout en haut du tableau.

 

Les sursis d’incorporation, qui étaient monnaie courante dans les villes, étaient de rares exceptions dans les campagnes ; les trois cinquièmes de la population active masculine de l’agriculture furent mobilisés, et la majeure partie de ces recrues fut affectée à l’infanterie.

 

Les exploitations continuaient leur activité, grâce surtout aux efforts des hommes âgés, des femmes et des enfants. Lorsque les listes des pertes furent closes à la fin de la guerre, on put constater que 53% des morts ou disparus étaient des paysans.

 

 3 millions et 1/2 de paysans mobilisés

 

673.700 tués ou portés disparus

 

Environ 500.000 grièvement blessés et frappés d’invalidités permanentes.

 

Certains conservateurs prétendirent qu’en maintenant à la terre une population nombreuse Méline avait fait gagner la guerre à la France.

 

Nul ne peut s’arrêter devant un « monument aux morts » de village sans être frappé par le souvenir cruel qu’i s’y inscrit dans la pierre.

 

Il est vrai que l’expérience de la guerre eut un autre aspect. Pour les paysans qui restèrent à la ferme, la période de la guerre leur apporta un niveau de prospérité (ou du moins d’une apparence de prospérité) sans précédent. Les besoins terribles en denrées alimentaires et matières premières firent monter les prix en dépit des contrôles gouvernementaux ; même le petit paysan qui pratiquait une agriculture de subsistance fut entraîné dans l’économie de marché et s’arrangea pour mettre de côté un petit magot de billets de banque. Durant les années d’après-guerre, une grande partie des dettes des exploitants agricoles purent être remboursées et de nombreux paysans purent agrandir leurs biens en achetant des pièces de terre longtemps convoitées. Dans une grande mesure cependant, ces bénéfices de guerre provenaient en quelque sorte d’économies forcées du fait de l’impossibilité d’acheter l’équipement nécessaire et des engrais pendant la guerre. Ils furent également en partie anéantis par l’inflation mondiale.

 

Après 1918, il sembla un moment que, en définitive, la guerre avait tout simplement eu pour effet, comme l’écrivit un observateur – Michel Augé-Laribé – « d’accélérer l’évolution antérieure de l’agriculture, sans en changer le sens ». Trente ans après, le même observateur pouvait constater, avec une compréhension plus approfondie, que la guerre « marque dans l’histoire de l’agriculture française plus qu’une étape, une séparation », surtout parce qu’ « elle a modifié certainement la mentalité paysanne ». Des généralisations de cette sorte sont presque impossibles à vérifier, ou même à avancer avec grande précision ; cela ne leur enlève pas toute valeur. La mobilisation de toute une génération de paysans, et leur expérience de la vie des chambrées et de la guerre de tranchées eurent à coup sûr un retentissement profond sur ceux qui les subirent. Beaucoup de vétérans ne purent se résigner à la vie simple de village qu’ils avaient connue ; ils préférèrent rechercher un emploi d’ouvrier en usine ou d’employé. Chez ceux qui étaient restés à la ferme durant tout le conflit, il se produisit sans aucun doute une forme d’évolution plus nuancée. Le contact avec les hommes jeunes qui revenaient du camp ou du front, en permission au foyer, dut élargir leur façon de voir les choses. Pratiquement, pour la première fois dans l’histoire de la France rurale, leurs vies se trouvèrent intimement liées à des événements survenant loin du village. Leur importance accrue dans l’économie nationale et leur prospérité temporaire durent également leur donner un renouveau de confiance et d’amour-propre.

 

Et cependant les effets les plus marquants de l’expérience de la guerre ne semblent pas avoir été sous le signe de la confiance et de l’amour-propre ; on constate plutôt un amer ressentiment, une hostilité accrue envers les politiciens et le monde des villes, l’impression d’être des victimes et des incompris. Certains Français, durant les années qui suivirent, prétendirent que la guerre avait beaucoup contribué à combler le fossé entre la ville et la campagne. Plus souvent, elle semble avoir élargi ce fossé et créé de nouveaux sujets de tension. Les paysans pensaient qu’ils avaient mérité non seulement l’admiration et la gratitude des habitants des villes, mais une égalité de statut pleinement reconnue dans la société française. Au contraire, les citadins se plaignaient de la cherté des denrées alimentaires dans les années qui suivirent immédiatement la guerre et s’en prenaient au « paysan profiteur », gros, gras et rapace. Un journal parisien publia une description mordante du rustaud enrichi par la guerre conduisant fièrement une automobile neuve en vile, avec un veau étalé à son côté sur la banquette avant, et l’épithète humiliante de « cul-terreux » devint d’un usage courant. Au total, la tension entre ville et campagne fut probablement renforcée plutôt que réduite par l’expérience de la guerre ; et beaucoup de paysans en retirèrent une conscience de soi renforcée, mais aigrie.

 

À l’époque, ce changement psychologique semble être passé largement inaperçu. Le subtil Daniel Halévy, historien et essayiste, ne le mentionna pas en 1920 quand il fit l’un de ses pèlerinages périodiques dans une région rurale bien connue de lui. (Visites aux paysans du Centre). Ce fut la crise économique, dix ans après, qui ouvrit l’abcès de l’amertume paysanne longtemps réprimée. Quand Halévy retourna en province en 1934, il trouva les paysans en proie à ce qu’il appela une « sombre humeur » dans laquelle les souvenirs de la guerre tenaient la plus grande part. « On parle peu de ses tortures » écrivait-il, « mais on n’en oublie rien, et il en reste au fond des cœurs aigris, un désir de vengeance… La rancune a sommeillé quinze ans… Mais la crise a déchiré les voiles, elle a  libéré les anciennes colères, elle en suscite de nouvelles » Les impressions d’Halévy étaient celles d’un observateur étranger, parisien et intellectuel de cœur ; et pourtant il était suffisamment perspicace pour saisir un changement radical dans les attitudes rurales, et pour déceler que la conscience de soi nouvellement manifestée par les paysans au temps de la crise avait ses origines dans l’expérience de la guerre.

 

7 avril 2013

 

On se réfère souvent à la nature des sols où croissent les vignes, mon propos plus hétérodoxe nous ramène à l’homme replacé lui aussi dans son terroir d’origine

 

Même si pour beaucoup de jeunes gens ce retour à la compréhension de ce grand virage du XIXe au XXe siècle, la France paysanne qui va s’estomper pour laisser la place à une France sans paysans, peut paraître être à jamais englouti, effacé, que tout commence presqu’avec eux, il n’en reste pas moins vrai que, tout autant que les vignes qu’ils chérissent, l’histoire de ces hommes et de ces femmes qui ont fait de la France un grand jardin cultivé, avec une précision, une minutie, un acharnement journalier est le véritable ADN du terroir. Pour autant, il ne s’agit pas de verser, comme l’a fait Daniel Halévy sur la fin de sa vie, dans l’idéologie qui a présidée au régime de Vichy, la terre qui ne ment pas. Simplement, dans la recherche d’une nouvelle identité paysanne, vigneronne, retrouver le sens de la communauté, du bien commun, de la fierté du bien faire. C’est à la fois la France vu d’en haut et d’au plus près des hommes, un Google Maps où la chair et la sueur, les rires et les pleurs, le temps pris ensemble fait partie intégrante du logiciel.

 

« Les travailleurs qui se groupent ici sont des métayers. C’est un fait nouveau. Il existe dans le midi de la France et dans la Brie, des syndicats de journaliers, ouvriers des champs qui travaillent la terre comme l’ouvrier de la ville travaille le fer, le cuir, le bois, et vivant au jour le jour du salaire de leurs bras (…) Le métayer est une sorte de contremaître que le propriétaire installe sur sa terre. Il exécute les besognes. En fin d’année, les fruits de toute sorte sont comptés. Deux parts sont faites : l’une va au propriétaire, l’autre est laissée au métayer. Il n’y a pas de salaire fixe. La fortune du maître et la sienne sont liées : on a pu dire, en ce sens que le métayage était une association. Ce n’est qu’un mot. Deux hommes de force très inégale ne peuvent être associés. Il est inévitable que l’un soit le maître et l’autre serviteur. »

 

Lire ICI 

 

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commentaires

P
Ce n'est pas pour rien que, par les temps qui courent, certains proclament : « je sens la guerre » (faites-vous désinfecter répondait, en son temps, Tristan Bernard) tous les signes avant-coureurs sont la. Les fractures sociales et territoriales soulignées par le Taulier. Les centre-ville qui meurent à en mourir et pareils à un chancre, une nécrose, gangrène toute la bourgade. Des dettes abyssales de toutes parts qui ne seront jamais remboursées. Les économistes compétents, lucides et adeptes du parler vrai, vous explique qu'il y a trois manières de se débarrasser d'une dette. La première est l'inflation que ne veulent pas nos zélytes, courroies de transmission de la phynance et qu'elles s’évertuent, au prix d'incroyables gymnastiques, à tenter de les repousser aux calendes grecques. La seconde est de faire défaut avec toutes les conséquences que l'on connaît en regardant ce qui est arrivé à l'Argentine. La troisième est la guerre. Allons, il serait temps de remettre les pendules à l'heure et de donner à celle impunément appelée « La Der des Der » sa vraie place et son vrai nom : antépénultième !
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