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14 octobre 2018 7 14 /10 /octobre /2018 06:00
La réponse au 1er président de la province du jeune Karl Marx journaliste à la Gazette rhénane à propos d’un article sur un contentieux fiscal opposant l’administration prussienne aux vignerons de la Moselle.

En 1842, Marx quitte le domicile familial pour se frotter au monde, il travaille comme rédacteur à la Gazette rhénane un quotidien local financé par un groupe d’industriels libéraux. En un an, il s’y était déjà forgé une réputation de rédacteur et de critique hors pair. Les ventes s’envolèrent, attirant du même coup l’attention des censeurs. »

 

« Pour décrire le rédacteur, alors âgé d’à peine 24 ans, un de ses collaborateurs invite un ami à se représenter « Rousseau, Voltaire, Holbach, Lessing, Heine et Hegel unis en une seule personne ; je dis unis et non rassemblés, et tu auras le Dr Marx. »

 

« En janvier 1843 parut ce qui allait être son dernier article pour la Gazette rhénane, les autorités ayant interdit le journal immédiatement après […] Il était intitulé « Justification du correspondant de la Moselle »

 

Ce texte se voulait une réponse à un rescrit du Premier président de la province rhénane von Schapper dans lequel celui-ci sommait le journal […] Sa réclamation portait en particulier sur un article faisant état d’un contentieux fiscal opposant l’administration prussienne aux vignerons de la Moselle.

 

L’auteur de l’article, un avocat de la région, Peter Coblentz, futur combattant de la révolution de 1848, qui périra en prison dans les années 1850, avait fait valoir que « longtemps les instances supérieures auraient tenu pour des vociférations insolentes les cris de détresse des vignerons. »

 

À quoi le président avait rétorqué : « Je pense pouvoir proclamer que ceci n’est pas vrai. »

 

« L’article initial avait pour sujet la forte baisse du prix du vin. La direction de l’association pour le développement de la culture de la vigne en Moselle venait de réclamer un allègement fiscal au ministre des Finances pour aider ses membres à traverser cette période difficile. »

 

« Le gouvernement de Trèves avait ensuite chargé le chef de bureau du cadastre, un inspecteur des impôts dénommé von Zuccalmaglio, de vérifier les chiffres soumis par l’association des vignerons pour appuyer sa requête. L’inspecteur von Zuccalmaglio était tout à fait compétent pour rendre un avis sur la question, puisqu’il avait collaboré avec cette même association quelques années auparavant pour recueillir les données qui avaient servi à dresser le dernier bilan décennal de l’industrie viticole. Il rendit scrupuleusement visite aux vignerons pour entendre leurs doléances, inspecter leurs vignobles et recueillir toutes les nouvelles données auxquelles il pouvait avoir accès. De retour à Trèves, von Zuccalmaglio remit son rapport dans lequel il recommandait de refuser la demande de révision fiscale. Les autorités passèrent plusieurs mois à délibérer sur ce rapport, avant de rendre leur décision : « L’État pourra se limiter seulement à ceci : faciliter à la population actuelle, par des moyens appropriés, son étape de transition. »

 

Que les vignerons aient mal accueilli cette décision, il n’y a rien d’étonnant.

 

Marx prit l’initiative de répondre lui-même. Selon lui, le Premier président et l’autorité collégiale avaient bien pris la détresse des vignerons pour de l’insolence, et pour cause ils n’avaient pas pu faire autrement. Leur réaction n’était pas cependant pas affaire de négligence ou d’indifférence, mais un effet spécifique de ce que Marx appelle […] « la dépendance de l’État à l’égard des rapports officiels.

 

« Marx nous invite à apprécier la position de l’inspecteur von Zuccalmaglio. Ce dernier avait été choisi en raison de ses compétences dans le domaine viticole et sa connaissance de la région. Dès lors, comment pouvait-il ne pas se montrer un tant soit peu hostile à l’égard de ce qui lui apparaissait comme autant de calomnies dirigées contre son travail ? »

 

Persuadé d’avoir accompli consciencieusement son devoir et de connaître en détail le dossier officiel dont il dispose, quoi de plus naturel que, devant une opinion contraire, il prenne parti contre les plaignants ; leurs intentions pouvant être entachées d’intérêts privés et suspectées, il les suspecte, at au lieu de tenir compte de leurs arguments, il s’efforce de les réfuter. »

 

« L’inspecteur a d’autant plus de raisons d’être suspicieux que ces accusations émanent non pas de la majorité des vignerons, mais d’un petit nombre de fauteurs de trouble – précisément le genre d’individus susceptibles de prendre part à une association pour le développement de la culture de la vigne en Moselle. « Ajoutons à cela  que le vigneron, pauvre selon toute apparence n’a ni le temps ni l’instruction voulus pour décrire sa situation ; le pauvre vigneron ne peut parler, tandis que le viticulteur, qui sait parler, n’est visiblement pas pauvre et semble donc parler sans motif. »

 

« Les viticulteurs, ayant observé la réalité qui les entoure et étudié le rapport officiel supposé rendre compte de cette réalité, se trouvent en proie à un sentiment étrange. Le monde tel qu’ils le conçoivent paraît menacé par un monde virtuel peuplé de notes, de dossiers, de rapports. Comme l’écrit Marx, « la réalité la plus évidente, comparée à la réalité étalée dans les documents, donc à la réalité officielle, à la réalité d’État et à l’intelligence qu’elle fonde, lui semble illusoire ». Quant à l’État, « ses principes sont solidement établis ; le cadastre lui présente l’image officielle du pays et il dispose de directives officielles concernant les recettes et les dépenses : parallèlement à la réalité pratique, il a partout une réalité bureaucratique qui conserve son autorité indépendamment des circonstances ». Plus les vignerons insisteront sur le clivage qui sépare ces deux réalités, plus leurs revendications paraîtront déraisonnables aux fonctionnaires. Et quand bien même ces derniers éprouveraient de la pitié ou de la compassion à leur égard, ils n’en resteraient pas moins convaincus d’avoir déjà fait tout ce qui était en leur pouvoir pour leur venir en aide. En outre, il est inconcevable que l’État cède à une demande simplement parce que celui qui l’exprime est convaincu de son bien-fondé. Voilà qui serait, pour le coup, tout à fait déraisonnable. »

 

 

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