Bien sûr les petites louves et les petits loups incultes vont ouvrir de grands yeux tout ronds : c’est qui ce Cau ?
Un cathare né à Bram dans l’Aude le 8 Juillet 1925. Elève au lycée de Carcassonne, puis à Louis-le-Grand, il a préparé le concours d'entrée à l'Ecole normale supérieure et passé la licence de philosophie. Secrétaire de Jean-Paul Sartre de 1947 à 1956, il a collaboré aux Temps modernes, à l'Express, au Figaro littéraire, à France-Observateur, et à Paris-Match.]
« Regard noir enfoncé, maxillaire farouche, le fauve s'éloignait en relevant son col, en nouant serré la ceinture de sa canadienne, de son paletot de cuir, l'air d'un partisan en mission, d'un samouraï tendu vers le rendez-vous fatal de la mort, ou vers la cérémonie secrète de l'écriture, qui en répétait l'inéluctable. »
Le secrétaire de JP Sartre : « Cau n'était pas doué pour la servilité.
« Sartre, parlons-en. Entre eux, le marché s'équilibrait. Avec cet ours fort en gueule, le philosophe tenait son authentique prolétaire, dans un Saint-Germain plutôt bourgeois, comme lui. Le jeune secrétaire, lui, dégustait le privilège de regarder fonctionner une des machines intellectuelles les plus déliées de son temps. Plus tard, Cau jugerait sévèrement les aveuglements volontaires du patron. Mais jamais il ne trahirait sa confiance. Chez les humbles, la dignité ne se partage pas. Ni l'orgueil. Cau allait ordonner vie et oeuvre autour de cette fierté roide : une ambition sans vanité ni intrigue, l'horreur du sentimentalisme, des diktats idéologiques, des naïvetés moralisantes. En ces années-là, cela faisait beaucoup d'anticonformismes ! »
« (...) toute sa vie, ce gaulliste fidèle a été un résistant. Résistance à la gauche sartrienne dont il provenait ! Résistant à la connerie des hommes qui l'étouffait ! Résistant à l'Argent roi qu'il vomissait ! Résistant à l'impérialisme américain qu'il fustigeait ! Résistant à la Mitterrandie qu'il exécrait ! Résistant à la droite gestionnaire qu'il abhorrait ! Résistant à la décadence que le monde moderne engendrait ! (...) »
Alain Delon dans la Préface d’un petit livre posthume Le candidat
« Les Editions de la Table ronde viennent de publier en poche les «Croquis de mémoire» de Jean Cau, le livre le plus réjouissant que j'ai lu ces derniers mois. Parler des auteurs vivants, très bien, mais faut-il oublier les morts quand ils nous rappellent leur talent? Le titre dit tout. Cau a croqué au hasard de la plume les visages qui surgissaient de sa mémoire, portraits furtifs, traits d'esprit, anecdotes révélatrices, petites scènes; voici Boris Vian, Cocteau, Queneau, Camus, Hemingway, qui n'y connaissait rien à la corrida, Sartre, ses manies et sa mère, Chaplin, Mitterrand, Orson Welles, dix autres... Le libraire qui m'a vendu ce petit livre pour huit euros cinquante, m'a affirmé que des lecteurs revenaient, en prenaient trois ou quatre exemplaires pour les offrir à leurs amis, pour partager avec eux cette conviction que les vrais écrivains, oubliés, peuvent ressusciter et nous combler. »
Patrick Rambaud en 2007
Extraits :
MAURIAC
« Jamais je n’ai rencontré quelqu’un qui fût « culturellement » plus français. Comme un chat est de son logis, de sa cave et de son grenier, de l’âtre devant lequel, les yeux mi-clos, il se pelotonne, griffes rentrées dans le manchon de sa fourrure. J’eus un jour une illumination. Mauriac qui est-ce ? « C’est un bordeaux, un très grand cru de Bordeaux. Inimitable. Vieilli en fûts de chêne culottés de ruche tanin. Rien, en lui, qui rappelle chianti, logroño, whisky, vodka, vins du Rhône ou bourgogne. C’est, centenaire, cuvée parfaite, année royale, du bordeaux Haut-Mauriac, Pape François. » J‘avais trouvé. »
« Un nez de tamanoir aspirant les fourmis de l’actualité qu’un superbe râtelier croquait ensuite sourdement dans un bruit de voix brisée et, parfois, de petits rires étouffés et provoqués par le grain de poivre écrasé d’un potin. Il aimait beaucoup, surtout lorsqu’ils étaient méchants, les potins. »
CHABAN sous POMPIDOU
« Élu président de la République, j’ai cet honneur d’être aussitôt invité à déjeuner en tête à tête avec lui.
- Qui allez-vous prendre comme Premier Ministre ?
- Qui voulez-vous que je prenne ? Chaban !
- Chaban ? Mais c’est un gandin, un patron de salon de coiffure, un marchand de chaussures de luxe et je vous assure que c’est du trente-sept qu’il vous faut, madame ! Un chef de rayon.
- Je sais, je sais, mais je n’ai personne d’autre. Il y aurait Chirac… Vous le connaissez ?
- Non.
- Il y aurait Chirac mais il est trop jeune… Et puis, les Gaullistes, si je leur sortais Chirac…