Ce matin, las de la fange, des Zemmour et consorts, qui s’épand telle une diarrhée brune et pestilente, j’ai envie de me glisser dans les plis de la France, prendre des chemins de traverse qui s’entortillent comme les vipères, m’asseoir en bout de table, savourer un grand verre d’eau fraîche puis entamer la conversation, casser la croûte, s’en jeter un derrière la cravate.
Mais existe-t-il encore des Giono, sur qui Dumay à ce mot magnifique « Il ne pèse pas sur lui-même. » ou des René Char « le surréaliste du terroir » ?
Alors, pour me réconforter je puise dans ma petite musette une chronique du 2 juillet 2010
« La vigne de Bourgogne ressemble à ces femmes de 40 ans que l’on dit mûres... »
« Beaune, le 12 mai 1837. À la sortie de Dijon, je regarde de tous mes yeux cette fameuse Côte-d’Or si célèbre en Europe. Il faut se rappeler le vers :
Les personnes d’esprit sont-elles jamais laides ?
Sans les vins admirables, je trouverais que rien au monde n’est plus laid que cette fameuse Côte d’Or...
La Côte d’Or n’est donc qu’une petite montagne bien sèche et bien laide ; mais on distingue les vignes, avec leurs petits piquets et, à chaque instant, on trouve un nom immortel : Chambertin, le Clos Vougeot, Romanée, , Nuits Saint-Georges. À l’aide de tant de gloire, on finit par s’accoutumer à la Côte d’Or.
Le général Bisson, étant colonel, allait à l’armée du Rhin avec son régiment. Passant devant le Clos Vougeot, il fait faire halte, commande à gauche en bataille, et faire rendre les honneurs militaires. »
En citant Stendhal Dumay souligne qu’il le mérite comme « l’une des rares personnes qui n’aient craint d’être désagréable pour les Bourguignons. » En effet, beaucoup d’auteurs l’ont célébrée « qui voyaient peut-être avec les yeux de l’amour, je veux dire l’amour du vin. L’ivresse leur a fait déclarer le flacon admirable. » Lui, le Replongeard, il parle de la vigne avec les mots de l’amour :
« Assise dans sa robe aux grands plis, la tête ombragée par quelque bouquet de châtaigniers, la vigne de Bourgogne ressemble à ces femmes de quarante ans que l’on dit mûres et qui le sont en effet, gourmandes, sensuelles, savoureuses, infatigables au lit aussi bien qu’au travail et auxquelles, dit-on, les vrais amoureux ont toujours rendu les armes... »
Dumay trouve toujours les mots, la référence, justes « À Gevrey-Chambertin, la maison de Roupnel ouvre ses fenêtres sur la place du village. Ici, toute la beauté se réfugie dans les caves. N’est-ce pas Alceste qui prononce cette phrase si déchirante et si simple ? « On ne voit pas les cœurs. »
Pour tous ces pays aux noms triomphants que je traverse, je dirai avec la même mélancolie : on ne voit pas les vins. »
« Beaune, beau nom à la sonorité assourdie qu’on ne peut prononcer sans entendre les futailles rouler dans les caves. Bon vin au corps de femme de trente ans, souple et ardent. On ne le recommande pas aux malades, ni aux jeunes filles, mais aux vivants. »
« Le vin, comme la musique, parle un langage international. Il est même curieux de constater qu’ici, comme dans l’art, c’est l’ultra-particulier qui devient universel. L’emplacement des crus est délimité au mètre près » Quelle superbe réplique aux pourfendeurs de la complexité, encore faut-il que celle-ci fut bien réelle.
Pour, non pas clore, mais simplement vous laisser le loisir de découvrir le vagabondage de Dumay dans sa Bourgogne, encore deux traits de lumière : « J’arrive chez Jacques Copeau un peu avant la tombée de la nuit. Il est assis à une petite table sous les arbres, devant sa maison qui ouvre sur un cirque de vignes et de collines, calanque de Collioure à laquelle manque la mer. »
« Mme Copeau me tend un grand verre d’eau fraîche, boisson qui m’est aussi chère que le vin. »
B comme Bourgogne
«Vin de sauce», selon le Bordelais Sollers. Stendhal, lui, raconte être tombé amoureux du Bourgogne lors d'un séjour à Lyon. De riches négociants l'invitent pour picoler dans un «silence religieux». Trente bouteilles y passent (on ne connaît pas le nombre de convives). Stendhal se prend de passion pour le clos-vougeot: «Il faut bien l'avouer, rien ne lui est comparable.» Le clos-vougeot est un vin politique. Premier vin rouge officiel de la papauté, sous Clément VI (de 1342 à 1352). Quand la cour pontificale doit retourner à Rome, les courtisans s'y opposent parce «qu'en Italie il n'y a pas de vin de Beaune» (Pétrarque). L'abbé de Cîteaux reçoit l'ordre de ne plus envoyer son clos-vougeot au pape, sous peine d'excommunication. En 1370, toutefois, Grégoire XI craque et décide de se fournir à nouveau chez lui. Bien plus tard, sous le Consulat, un moine fait dire à Napoléon, qui avait annoncé la nationalisation de l'abbaye: «J'ai un clos-vougeot de 40 ans. S'il veut en boire, qu'il se dérange.»
I comme Ivrogne
Il faudrait plusieurs numéros du «Nouvel Obs» pour énumérer les outres à vin qui ont écrit entre deux soûleries. On peut toutefois mentionner Goethe, le premier alcoolique contrarié de l'histoire littéraire: dans sa correspondance, il parle beaucoup de sa consommation de vin rouge, qu'il tente désespérément de réduire. Toute la journée, il essaie de résister à l'appel du pichet. Il tourne autour du pot. Il se répète que le vin «va à l'encontre d'une vie pondérée, sereine et active». Mais il est, pour le meilleur et pour le pire, un buveur de quantité. A la bonne bouteille, il préfère la cave entière, pour «boire double». A la fin de sa vie, il projetait d'écrire un traité de viticulture, qu'il n'a jamais entamé. Evoquons aussi le cas de Jim Harrison. Après avoir arrêté le bourbon, qui faisait fondre son cortex cérébral à vue d'oeil, il est passé aux grands crus. Il a acheté la cave d'un grand restaurant, qu'il a sifflée en quelques années, «comme un sanglier sur un banc de truffes».
V comme Vigneron
Comme celle des écrivains-ivrognes, la catégorie des écrivains-vignerons est assez peuplée. La liste n'est pas exhaustive, mais on peut citer Virgile, Montaigne, Montesquieu, Talleyrand, Vigny, Colette, Mauriac, Claude Simon. Talleyrand produisait du vin (ou plutôt en faisait produire) mais en buvait peu. Vigny distillait aussi de l'eau-de-vie. Il en était très fer, «la plus pure qui puisse se faire», selon lui. Il fournissait la maison Hennessy, créée en 1765. Mauriac, lui, avait une âme de viticulteur. Dans «le Nœud de vipères», un soir qu'il grêle, le narrateur soufre de voir son raisin détruit. «Un profond instinct paysan me jetait en avant, comme si j'eusse voulu m'étendre et recouvrir de mon corps la vigne lapidée.»
Source: article extrait du dossier spécial Vins à lire dans "le Nouvel Observateur" du 5 septembre 2013.
David Caviglioli Journaliste