« Il est parti en Algérie… »
Phrase tant de fois prononcé par nos mères pour dire que leur fils avait été appelé sous les drapeaux pour soi-disant faire une guerre qui n’en était pas une officiellement, on maintenait l'ordre dans des départements français.
Ce fut le cas de mon frère aîné Alain qui passa deux années à surveiller la frontière tunisienne électrifiée par André Morice.
En ce temps-là les infos étaient radiodiffusées étaient bien verrouillées, seule une partie de la presse parisienne levait le voile sur ce qui s’y passait.
Souvenir à l’école d’agriculture où j’étais pensionnaire de voir débarquer la gendarmerie pour nous confisquer l’exemplaire de la Vie Catholique qui évoquait la torture en Algérie, celle de l’armée française.
Tout comme, la collaboration de l’Etat Français avec Hitler, cet épisode peu reluisant de notre Histoire m’interrogeait. Alors je lisais tout ce qui me tombait sous la main.
L’Algérie, j’y suis allé moi aussi, à Constantine, à quelques kilomètres de là où mon frère avait fait son temps, comme on le disait. Coopérant à l’Université, sous le régime marxiste de Boumediene, avec mes étudiants les discussions étaient animées mais toujours courtoises. Nous avions une nounou algérienne, en fait kabyle, Mouni, qui gardait notre fille. Nous logions dans un quartier neuf, tout près des gorges de Constantine, et un jour, sans acrimonie, Mouni m’a dit en me montrant du doigt les gorges « C’est là qu’ils faisaient ça… » Traduction : l’armée fusillait les "fellaghas".
Ce conflit, une vraie guerre, a vu des atrocités commises par tous les camps, du côté algérien entre factions, contre les harkis ou les supposés traîtres ou tièdes ; de notre côté, grand pays qui s’affichait en état de droit, la torture longtemps cachée fut et reste une honte.
Avant de partir en Algérie j’ai lu tous les volumes du journaliste et historien Yves Courrière, monumentale somme sur la guerre d'Algérie.
Il y donne sa version de la mort de Maurice Audin :
« Tout le monde sait qu'O [nom donné à Aussaresses dans son ouvrage, NDLR] est responsable de la mort d'Audin. Ou plutôt ses hommes puisqu'il s'agit d'une méprise. C'est Alleg [...] qui, le 21, doit passer à la corvée de bois. On l'emmènera à la fosse entre Zéralda et Koléa. » Mais les hommes d'Aussaresses exécutent Maurice Audin à sa place : « Vous faites erreur, je suis européen » auraient été ses derniers mots, selon Yves Courrière. Ce même jour, Paul Teitgen, secrétaire général de la préfecture d'Alger – qui démissionnera en septembre –, annule l'assignation à résidence de Maurice Audin, « l'intéressé s'étant évadé du centre de tri du sous-secteur de Bouzarah. »
Voilà, je n’en dirai pas plus.
J’ai beaucoup aimé ce pays.
Ce matin, je salue la reconnaissance, par le Président de la République, d’un crime d’Etat pour la disparition de Maurice Audin.
J’aimais aussi beaucoup Rachid Taha.
MAURICE AUDIN : LE CRIME D’ÉTAT ENFIN RECONNU !
Emmanuel Macron se rend aujourd’hui chez Josette Audin et publie une déclaration pour reconnaître le crime d’État commis sur son mari. En 1957, en pleine bataille d’Alger, l’armée française avait torturé et assassiné ce jeune mathématicien communiste anticolonialiste. Justice lui est enfin rendue. Après un demi-siècle de déni, avec ce geste historique, la France regarde en face l’une des pages les plus sombres de la colonisation.
61 ans, 3 mois et 2 jours… C’est le temps qu’il aura fallu à l’État français pour reconnaître que Maurice Audin a bien été torturé et assassiné par l’armée. La déclaration d’Emmanuel Macron et sa visite, cet après-midi, à Josette Audin, représentent une formidable victoire. Un bonheur inestimable pour sa famille, d’abord.
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Torture en Algérie : le geste historique d’Emmanuel Macron
Le chef de l’Etat reconnaît la responsabilité de l’Etat dans la mort de Maurice Audin, un mathématicien militant de l’indépendance de l’Algérie tué en 1957.
LE MONDE | 13.09.2018 à 06h32 par Cédric Pietralunga
Elle est mathématicienne, écrivain membre de l'Oulipo et fille de Maurice Audin, mort sous la torture infligée par les paras français à Alger en 1957. "Une vie brève", enquête sur son père, se situe à l'exacte intersection de ces trois faits
LE MONDE DES LIVRES | 10.01.2013 à 12h06 |
Par Catherine Simon