Dans le portrait qu’ils font de Pascal Frissant, les rédacteurs de Le Rouge&leBlanc omettent qu’il fut l’un des leaders emblématiques de la Confédération Paysanne, à ce titre il siégeait au Conseil de Direction de l’ONIVINS devenu Viniflhor.
Le 18 juillet 2008 j’écrivais :
J'aime bien Pascal Frissant c'est un vigneron poète. Lyrique, avec ce grain de folie qui donne à ses propos des couleurs et des saveurs que l'on ne rencontre plus dans les débats convenus, aseptisés. À la Confpé pure et dure je n’étais pas en odeur de sainteté, lors d’une université d’été à Monbazillac ce fut très chaud, la vieille garde post-gros-rouge m’accusait de solder dans mon foutu rapport la viticulture des gens de peu, les coopérateurs et leur coopé producteurs de minerai. Avec Pascal l'amitié et l'estime ont toujours fait fi des contingences du moment. Débattre avec Pascal fut toujours un plaisir.
Et puis, nous nous sommes perdus de vue, j’ai rencontré Françoise Le Calvez, son épouse, lors de dégustations. « Françoise est une femme de caractère, qui s’exprime de façon franche et directe », je confirme.
La relève est assurée par leurs enfants avec Mathias, titulaire d’un DNO, qui a rejoint le domaine en 2015 et plus récemment Sarah, DNO , qui fait le commerce.
Je note avec plaisir que Mathias a pour objectif des vins encore plus naturels. Bravo ! Avec mes encouragements.
Les 3 dégustateurs, dont Sonia Lopez-Calleja, écrivent que « les deux cuvées dégustées collégialement ont révélé un terroir magnifié par « les tripes du vigneron » comme le disait Jacques Puisais. »
Pour ces retrouvailles à distance je sors de mes archives :
18 juillet 2008
La lettre ouverte de Pascal Frissant au président et au directeur de Viniflhor où il donne les raisons de sa démission du Conseil de Direction de Viniflhor.
Monsieur le Président, Monsieur le Directeur,
J'ai le regret de vous adresser ma démission aux sièges que j'occupe au titre de la Confédération Paysanne, à compter de ce jour.
J'ai eu de l'honneur et du plaisir à représenter une partie du monde vigneron "à Paris" suivant l'expression ancienne.
Je suis assez heureux du travail de rédaction et de publication de la brochure "les frontières du vin" pour laquelle votre aide fut essentielle. Nous avons amorcé un débat sur les limites de l'usage du mot vin, sur la dangerosité de la perspective de la commercialisation de fractions de vin, sur l'aspect non purement marchandise mais éminemment sémiotique * du vin. L'appel ultime contre les naufrageurs du vin donna une dimension particulière à ce débat.
Enfermés dans une vision du monde et de la consommation ne laissant pas de marge de manœuvre à ceux qui veulent se détacher des dogmes des grands marchands, mes collègues responsables professionnels n'ont pas pu rentrer dans la question : qu'est-ce que le vin ?
La question reste pour moi la même depuis longtemps :
- pourquoi boit-on encore du vin
- pourquoi cette boisson archaïque gagne-t-elle en universalité ?
Le redéveloppement des exploitations viticoles, des installations et de l'emploi à la production dépend du statut du vin et de la régulation des marchés autour de cette définition. La fuite en avant dans la régulation et la fabrication du breuvage "vin" amorce une nouvelle vague de faillites paysannes, de situations de douleur et d'échecs, de destruction des tissus ruraux.
Nous ne parvenons pas à mesurer certains mécanismes lourds.
Il y a d'abord celui de la mort du producteur dans les vins de marque et de la mort du Vin par le développement des techniques correctives. La fraude précède généralement la légalisation comme le prouve le développement actuel de l'offre d'arômes exogènes et de la pratique du mouillage.
La déconstruction du substrat "moût" ou "vin" "sont suivie d'une reconstruction matérielle qui pourrait bien aboutir à des vins prémix. Il y a également l'offensive permanente des moines-soldats de l'hygiénisme qui trouveront dans ce vin mort l'évidence de ses fonctions d'imprégnation alcoolique dépourvues de toute modération culturelle.
La casse du vin va s'amplifier avec le productivisme. L'augmentation des rendements est présentée comme seul horizon possible pour le maintien d'une recette/ha. Nous connaissons le lot d'aberrations écologiques accrochées à cette orientation : la gaspille de l'eau, l'augmentation de la fragilité des plantes, l'usage accru de pesticides... On peut comprendre le raisonnement au niveau du guidon dans une entreprise ; je comprends moins l'absence de travail culturel sur le vin, l'absence de réflexion sur l'impact négatif des techniques mises en oeuvre à la production, sur le mécanisme de construction de la valeur symbolique du vin et des vignerons qui soutient pourtant l'ensemble de son économie actuellement.
L'absence s'un temple de la vigne et du vin à l'image du Futuroscope de Poitiers, la quasi-absence de chaire d'Histoire du vin, de géographie viticole ou de techniques d'investigations archéologiques et historiques permettant de travailler sur les dimensions quasi-universelles du vin sont autant d'éléments qui donnent la mesure de la pauvreté culturelle de la représentation professionnelle. C'est un tapis rouge pour le cynisme des marchands.
Après le règne de l'idéologie des marchands qui jettent des cailloux aux poètes, eux qui jadis en étaient les mécènes, viendra celui des citoyens du monde dotés d'un revenu. Ils chercheront la vérité agronomique des mets, des vins et de notre relation à la nature et aux autres.
Les difficultés sont grandes dans nos exploitations. Des pères de famille sont humiliés par leur impossibilité à résoudre leurs problèmes financiers. Un voisin vient de vendre à 42 euros l'hl un vin de pays à 13,4° qui eut pu être Minervois. Notre village est à 56 hl/ha en moyenne !
Le temps passe. La nouvelle régulation semble être celle du prix comprimé même en période de déficit de production. Nous sommes passés d'une régulation qui protégeait les vignerons à une régulation qui garantit des bas prix au négoce.
Cette situation nous décime.
Je pense que l'obsession du contrôle politique de la filière et les restes de physiocrates** qui poussent à refuser de reconnaître une valeur à la demande sociale "de la ville" nous jettent dans des difficultés de fond et participent à cette nouvelle régulation. Les analyses de résidus de pesticides publiées récemment sont un avant-goût des problèmes que la sporulation corporatiste veut nous faire ignorer depuis vingt ans.
Dans des conditions meilleures peut-être travaillerons-nous dans le futur.
Je continue à œuvrer pour la défense du vin et des paysans vignerons, pour la solidarité avec les paysans pauvres du monde et pour que mes enfants puissent s'installer.
Merci de bien accueillir mon successeur.
Salutations.
Pascal Frissant.
· La sémiotique est la théorie des signes culturels.
· la physiocratie (le pouvoir de la nature) est une doctrine économique qui considérait l'agriculture comme source essentielle de la richesse.
29 août 2010
Pascal Frissant Vous êtes membre de la commission nationale viticole de la Confédération Paysanne : comment avez-vous réagi à cette action anti-OGM ?
« L'Inra de Colmar est une station que nous connaissons bien. Ses chercheurs sont très sérieux et planchent sur des sujets primordiaux, tels que la sélection de nouvelles variétés de vigne. Nous sommes bien sûr opposés à l'usage d'OGM dans la viticulture, mais nous faisons confiance aux scientifiques œuvrant pour mieux connaître ces organismes. Le problème, c'est qu'il existe au sein de la Confédération un petit noyau d'activistes qui n'a pas compris la différence entre viticulture et céréales. Or cibler l'Inra, outil où les spécialistes ont quand même pas mal d'indépendance, est à mes yeux une grosse connerie. On sent une volonté d'en découdre : je ne peux que condamner ce type d'attitude idiote.
Quel a été selon vous l'élément déclencheur de ce coup de force ?
« Il y a eu sans aucun doute la visite sur le site de Colmar du ministre de l'Agriculture, qui a annoncé à tort que ces plans de vignes transgéniques seraient rapidement commercialisés. Il cherchait sans doute à rassurer les exploitants inquiets à cause du court-noué : cette opération politique fondée sur une information erronée a servi de prétexte à ce groupe de faucheurs volontaires qui attendait l'occasion de passer à l'acte. Il n'empêche que leur action relève d'une sorte de dérive sectaire, semblant dictée par une poussée limite obscurantiste. Ça commence quand même à m'inquiéter un peu. »