Pendant quatre ans, il n'a rien dit. Secret-défense oblige. Aujourd'hui, il sort du silence. Patron de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) de 2013 à 2017, Bernard Bajolet était l'invité, lundi 24 septembre, de l’association de la presse diplomatique. Au cours du déjeuner, ce diplomate de carrière, qui publie "Le soleil ne se lève plus à l'est" (Plon), a multiplié les confidences et les anecdotes. Certaines, "off the record", ne peuvent être reproduites. En voici quelques autres.
Sur Zemmour un de mes lecteurs m’a fait parvenir des commentaires sur une interview qu’il a donné au POINT. ICI
Sur Bachar al-Assad
"Je me suis trompé à son sujet, dit Bernard Bajolet. J’ai retrouvé une note dans mes archives. C’était en 1994, après la mort de Bassel, le frère aîné de Bachar qui était censé succéder un jour à leur père, Hafez. Dans cette note, un de mes collaborateurs écrivait que Bachar pourrait peut-être hériter du pouvoir. 'Je ne crois pas du tout à cette hypothèse', ai-je noté en marge. 'Ce jeune homme réservé ne s’intéresse qu'à la médecine'.
Je le connaissais assez bien pour avoir été en poste en Syrie dans les années 1980. Un jour, je lui ai demandé : 'Et toi, la politique ?' Il m’a répondu qu’il ne s’intéressait qu’à la médecine et m’a demandé de lui trouver une place dans une fac française. Son père ne voulait pas qu’il étudie à Paris. J'ai trouvé une inscription à Lyon, mais, en fait, l’interdiction paternelle s’étendait à toute la France. Je ne sais pas pourquoi mais c’est comme cela qu’il s’est retrouvé à étudier l'ophtalmologie à Londres. Ce que je n'avais pas compris alors, c'est que Bachar avait été contraint par sa famille à étudier la médecine, pour ne pas faire concurrence à son frère.
Quand il a été nommé à la tête du pays, je me suis dit qu’il était trop poli, trop gentil, trop bien élevé pour diriger durablement la Syrie. Mais j’ai sous-estimé la volonté acharnée de son clan, les Alaouites, de se maintenir au pouvoir. Ils ne veulent pas redevenir les esclaves des sunnites qu’ils ont été avant le mandat français. D’ailleurs, après le début de la révolution, en 2011-2012, quand il semblait que celle-ci pouvait l’emporter, ils ont pensé qu’ils pouvaient être contraints de retourner dans leurs montagnes et nous nous sommes même demandé comment faire pour éviter un nouveau massacre à la Srebrenica. C’est dire à quel point les choses ont changé !
En fait, Bachar a fait la même chose que son père en 1982, quand il a massacré des milliers sunnites à Hama. La cruauté dont il a fait montre est peut-être aussi une forme de revanche sur son frère mort qui était plus brillant, plus sportif que lui. De toute façon, s’il n’avait pas crié aux loups dès le début du soulèvement, il aurait été dévoré par les loups de son clan…"
Sur Abdelaziz Bouteflika
Bernard Bajolet, qui a aussi été ambassadeur en Algérie, a récemment déclaré que le président algérien "est maintenu artificiellement en vie". Cette déclaration a fait les gros titres à Alger, où certains l’accusent de vouloir achever le chef de l’Etat.
"Soyons clair, dit-il, je souhaite longue vie au président Bouteflika : je ne suggère donc pas qu’on le débranche. Mais cette momification du pouvoir algérien sert certains groupes qui, ainsi, se maintiennent au sommet et espèrent continuer à se maintenir et à s’enrichir."
Il ajoute :
"La dernière fois que le président Bouteflika est venu se faire soigner en France, j’ai demandé à le voir, mais il a refusé. Alors je lui ai fait envoyer un immense panier de chocolats ; en retour, il m’a fait porter un bouquet de fleurs si grand qu’il rentrait à peine dans mon bureau [à la DGSE, NDLR] !"
Sur Éric Zemmour
Bonjour Jacques,
Je suis effaré du niveau de son discours et encore d'avantage du relais qu'il trouve dans tous les médias, surtout les bien-pensants comme le Point. Martyr de la bien-pensance certes, mais forte complicité de la plupart des médias.
Il tient quelques propos sur Montaigne et ses relations avec la Saint Barthélémy, que celui-ci aurait trouvé inévitable. Pour arriver à justifier un tel acte ou prétendre comprendre un tel événement, il faut être un sombre crétin et un fasciste. Ce n'est pas le cas de Montaigne : il est ni l'un ni l'autre. Zemmour est le deux. Le problème, je connais un peu les Essais et je n'y ai trouvé nulle part trace d'une justification de la Saint Barthélémy. Peut-être suis-je passé à côté ? La lecture d'un tel passage aurait assez bouleversant pour que je le mémorise. Dans ses lettres peut être que je connais moins ? Donc j'explore du côté d'internet et je ne trouve pas grand-chose non plus. Encore une conspiration et une occultation de la vérité par les bobos ? Ou une fake news de cet individu ? Facile : il ne cite pas les sources. Vu le corpus de Montaigne, rares sont ceux qui le connaissent dans sa totalité.
On retrouve chez Zemmour les grandes lignes de la pensée réactionnaire française du début du XX : bêtement monarchiste, catholique bornée, étroitesse d'esprit en même temps qu'une rare culture ou prétendu telle, hypocondriaque, antidémocratique et antirépublicaine. Elle se complet dans ses draps souillés et aime les histoires toutes faites, bien émondées. Mais avec 100 ans de retard. Le Musulman a remplacé le Juif et le Grand Remplacement la conspiration judéo-bolchévique. Je ne comprends pas pourquoi en France n'avait jamais émergé une droite véritablement libérale (au sens sociétal) mais qu'elle se confinait régulièrement dans ses rancœurs. « On ne peut que glorifier la monarchie, car elle a créé la France. »
Il oublie peut être un peu vite - en réduisant les causes de sa chute à la seule responsabilité de Louis XVI - que si elle est tombée, c'est bien parce qu'à un moment donné, une grande majorité n'y trouvait plus son compte.