« Au XIe siècle, le comte Roger Ier, noble normand qui a conquis la Sicile sur les Arabes, veut faire exécuter le prince Omar qui a comploté contre lui. Mais la sœur de ce dernier, la très belle princesse Yasmina, va tenter de le convaincre d’y renoncer en l’invitant à sa table.
Sept banquets vont se succéder, chacun dédié à une forme d’amour, de l’amour maternel à l’amour parfait, en passant par l’amour pour les animaux, l’amour-amitié, l’amour courtois… Durant ces repas où l’on découvre avec le comte tous les plats de la tradition culinaire sicilienne et leur empreinte arabe, Yasmina va déployer ses charmes en livrant des récits tirés du répertoire légendaire de la Sicile ou de l’imagination des auteurs, en résonance avec une très ancienne, tragique et succulente histoire.
Ponctué des interventions de Giufà, le bouffon de la tradition méditerranéenne aux multiples visages, accompagné des recettes puisées aux meilleures sources familiales d’aujourd’hui, soutenu par une intrigue aux rebondissements surprenants, ce Mille et une nuits culinaire, sensuel et drôle évoque ce moment où deux hautes civilisations se sont rencontrées non sous le signe du choc, mais pour se mélanger avec bonheur. »
Note de lecture : « À la table de Yasmina » (Maruzza Loria & Serge Quadruppani)
POSTÉ PAR CHARYBDE2 ⋅ 17 FÉVRIER 2015
7 histoires et 50 recettes de cuisine pour célébrer avec charme et passion la rencontre des civilisations, dans la Sicile musulmane de la conquête normande.
Publiée en 2003 chez Agnès Viénot Editions, rééditée en 2009 chez Métailié, cette collaboration entre la Sicilienne vivant en France Maruzza Loria et le romancier Serge Quadruppani, Sicilien d’adoption par ses traductions d’Andrea Camilleri, sous-titrée « Sept histoires et cinquante recettes de Sicile au parfum d’Arabie » donne naissance à un magnifique conte gourmand et sensuel, célébrant d’une manière inattendue la coexistence et la rencontre profitable entre civilisations que d’aucuns voudraient absolument voir s’entrechoquer.
Au temps de la conquête normande (1060), et plus précisément peu après la prise de Palerme (1072), mettant politiquement fin à deux siècles et demie de domination musulmane sur l’île (le caïdat de Syracuse durera encore jusqu’en 1086, et ses restes seront définitivement vaincus en 1091)), la princesse Yasmina, pour essayer de sauver son frère Omar, convaincu de complot contre le comte normand Roger Guiscard, improvise savamment une série de récits dignes de Mille et Une Nuits condensées, conviant le suzerain chrétien à une découverte en sept soirées des différentes sortes d’amour, chacune illustrée par une histoire ad hoc, et des merveilles de la cuisine sicilienne (les auteurs précisent en postface qu’ils se sont permis quelques arrangements avec l’histoire stricto sensu, en introduisant quelques ingrédients de la Sicile d’aujourd’hui, encore inconnus à l’époque du roman), fusion alors inouïe de traditions locales, byzantines et arabes.
SEPTIÈME NUIT : L’AMOUR PARFAIT extraits
Le comte :
« C’est pour cela que j’ai rêvé de lui aujourd’hui, durant mon long sommeil dans votre frais salon. Cola Pesce était remonté du puits qui s’ouvre au fond de la mer. Il me racontait qu’il avait nagé longtemps dans le noir avant de remonter et de déboucher à l’autre bout de la terre, vers le bord, là où elle touche presque le ciel. Il avait échoué aux rives d’un pays inconnu, aussi vaste que l’Afrique et l’Europe réunies. Pour preuves de ses dires, il me rapportait des plantes qui y poussaient et que jamais on n’avait vues sous nos cieux.
[…]
« Vous (Yasmina) proposiez aussitôt de cuisiner ces ingrédients nouveaux et nous faisions tous deux un banquet comme jamais il n’en avait existé jusqu’alors, le Banquet de l’Amour Parfait. »
[…]
« Dans les paniers, il y avait des sortes de pomme à peau mince et marron clair, de la taille d’un poing – le vôtre ou le mien, c’était selon. On les appelait des pommes faute de mieux car on me dit qu’elles poussaient dans la terre. Et moi, j’inventais pour vous un plat de pâtes assaisonné de ces « pommes de terre. »
« Ensuite, Cola Pesce, à moins que ce ne fut Pellegrino, me faisait découvrir les vertus d’une autre sorte de pomme qu’il appelait « pomme d’amour », ou pomodoro, pomme d’or en langue italienne, ou tomata en dialecte castillan, une sorte de fruit rouge à chair aqueuse que je m’empressais d’ajouter à la caponata. Il y avait aussi diverses sortes de fruits poussant plus ou moins près du sol, qui pouvaient être énormes et orangés ou bien vert clair et longilignes, qu’il appelait « courges », pour les premiers, « courgettes » pour les seconds. Une variété, en particulier, s’adaptait particulièrement à la Sicile, au point que bientôt, dans quelques siècles, me disait le mystérieux voyageur, nos marchés en seraient pleins : c’était une sorte de courgette d’un vert très pâle, longue et sinueuse comme le bras de Schéhérazade. Il y avait encore des sortes de grosses poires creuses et vernissées, au goût piquant, qui pouvaient être vertes, jaunes ou rouges et qu’il appelait « poivrons ».
[…]
« … Comte, racontez-moi donc ces délices grossières dont vous rêvez.
- Je me régalerais volontiers de ces nourritures qu’offrent les échoppes en plein vent dans les ruelles de Palerme. Leurs parfums, au passage de mon cortège, m’ont souvent flatté les narines et je n’ai jamais pris le temps de m’en délecter. On m’a parlé, en particulier, de certaine fougace à la rate…
- En effet, les Palermitains se délectent depuis la nuit des temps de cette rate d’agneau cuite dans la graisse et servie dans des petits pains avec de la ricotta et du caciocavallo…
[…]
« … Ensuite, je me régalerais volontiers de pâtes, dit Roger…
[…]
- Que diriez-vous de pâtes aux oursins. L’or rouge, la tendre intimité dérobée sous les piquants et déversée avec juste un peu d’huile crue sur les pâtes brûlantes… ET il n’est pas question d’échapper aux pâtes aux sardines, le délice palermitain par excellence, où l’on retrouve le fenouil sauvage et les pignons et les raisins secs…
[…]
- Ensuite, en souvenir de l’ennemi juré de notre Cola Pesce, nous pourrions goûter quelques calamars. D’une taille raisonnable, adaptée à nos gosiers, bien sûr.
- D’accord, mais alors farcis, et cuits ensuite à la braise, alliant ainsi le goûteux tendre du contenu au craquant juteux du contenant. Et je vous proposerais aussi une de mes créations, une terrine de ces poissons sabres qui déroulent leurs interminables corps argentés et plats sur les étals de nos marchés. Quand on aura alterné les couches d’herbes et celle d’oignons, ou mieux, de jeunes poireaux avec celles du poisson, en dosant comme il convient la chapelure, le four vous restituera un cylindre parfait, d’un aspect splendide… Ensuite, je vous connais, mon seigneur normand, il vous faudra des viandes. L’agneau glacé, c’est-à-dire cuit à l’étouffée, submergé d’oignons, jusqu’à ce que se forme une crème épaisse, un glaçage qui lui vaut son appellation, pourrait précéder le faux-maigre…
[…]
- Donc, dans ce plat, la fausse maigreur de la large et mince tranche de veau enveloppe, comme dans une poche, de la farce de viande hachée mêlée d’herbes diverses, de l’œuf, du fromage et bien d’autres ingrédients suivant les goûts de la cuisinière.
- J’approche de la satiété, princesse, et pourtant j’aimerais avaler encore de très larges portions de dessert.
- Voici une espèce de gâteau à la ricotta, ses flancs sont bardés de pâte d’amande, sa crème est bourrée de fruits confits et peut-être aussi de ce chocolat que j’ai découvert en rêve…
- Savez-vous Yasmina, qu’il me semble sentir sous ma langue la saveur fondante, amère et douce à la fois de cet ingrédient de vos songes ? Le chocolat… L’Amour Parfait… Ce serait si beau si les deux choses existaient.
Publié le jeudi, 19 novembre 2009
A la table de Yasmina : Sept histoires et cinquante recettes de Sicile aux saveurs d'Arabie
Par Elisa Torretta