« Penser qu’avec tous ces personnages intéressants sur la scène politique, personne n’achète de billets ! »
« La vérité sort de la bouche des enfants » dit-on, ça n’a jamais été vérifié et je pense que c’est de moins en moins vrai, la naïveté et l’innocence me semblent en régression. En revanche, nos enfants nous questionnent de plus en plus sur nos problèmes d’adultes. MAFALDA, l’héroïne de Quino, née d’une commande publicitaire en 1963 est de cette pâte là.
A l’origine, Mafalda devait servir de support à une publicité subliminale commandée par la société Siam Di Tella, afin de doper les ventes de sa nouvelle gamme d’appareils électroménagers de la marque Mansfield. L’entreprise Agens Publicidad, sur recommandation de Miguel Brascó, commande donc la bande dessinée à Quino. Les noms des personnages devaient commencer par la lettre M et un appareil électroménager de la marque en question devait figurer dans le dessin.
Nous sommes en Argentine. « Quand les journaux ont commencé à la publier, je me suis rendu compte que j’avais à faire à un personnage dont j’ignorais ce qu’il serait » note le dessinateur qui ajoute qu’il va prendre une revanche en s’évadant des premières bandes dessinées et faire de MAFALDA une gamine contestataire et engagée.
Tout comme moi, pour sa conclusion, Quino avoue « J’aurais aimé avoir une sœur, parce que je me sens beaucoup plus à l’aise avec les femmes qu’avec les hommes. »
Mais son père, directeur d’un bazar, et sa mère, maîtresse de maison, sont morts trop tôt : elle, en 1945, quand Quino avait près de 14 ans ; lui en 1947, quand il en avait 17. Il ne termine pas ses études secondaires. Il commence les beaux-arts, puis vient à 18 ans battre le pavé de Buenos Aires, avec quelques pesos que lui a prêtés son frère aîné. Il rentrera trois semaines plus tard à Mendoza, sans argent et sans travail.
© Joaquín-S. Lavado (Quino) Agence Litteraire Caminito
Tous ses dessins étaient des chrysalides silencieuses.
C’est encore parfois le cas aujourd’hui. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à regarder les dessins de Quino où les personnages ne parlent pas. Le secret est dans leurs yeux : de simples points. Et c’est avec des points que, depuis quarante ans, il exprime la colère, l’amour et autres arghh, sniff et pouah.
« C’est un petit point de rien du tout, mais parfois on obtient l’expression voulue, et parfois non. »
« J’ai arrêté Mafalda au bout de dix ans, parce que je me suis rendu compte que j’avais beaucoup de mal à ne pas me répéter, je souffrais à chaque livraison. Quand on cache la dernière vignette d’une bande et qu’on connaît déjà la fin, c’est le signe que quelque chose ne va pas. Alors, par respect pour les lecteurs et pour mes personnages, mais aussi pour ma manière de sentir le travail, j’ai décidé ’abandonner cette série, tout en restant fidèle à l’humour que je n’ai jamais cessé de pratiquer. »
Quino, sur son site web : www.quino.com.ar
Quino, a rejeté jeudi 19 juillet 2018 l’utilisation de sa légendaire Mafalda par le mouvement qui s’oppose à la légalisation de l’avortement en Argentine, en plein débat parlementaire. « Je ne l’ai pas autorisée, cela ne reflète pas ma position », a écrit Quino dans une déclaration sur l’usurpation de sa célèbre fille irrévérencieuse qu’il a créée il y a plus de cinquante ans.
Quino, qui vient d’avoir 86 ans, a expliqué que « des images de Mafalda portant le foulard bleu symbolisant l’opposition à la loi sur l’interruption volontaire de grossesse [avaient] été diffusées. Je n’ai pas donné mon autorisation, cela ne reflète pas ma position et je demande qu’elles soient retirées ».
« J’ai toujours suivi les causes des droits humains en général et les causes des droits des femmes en particulier, et je leur souhaite bonne chance dans leurs revendications. »
Umberto Eco établit le parallèle entre Charlie Brown le héros nord-américain « qui appartient à un pays prospère, à une société opulente à laquelle il cherche désespérément à s’intégrer en mendiant bonheur et solidarité » et Mafalda la sud-américaine qui « appartient à un pays plein de contrastes sociaux, qui ne demande pas mieux que de l’intégrer et de la rendre heureuse. » mais elle s’y refuse et repousse toute avance. Eco ajoute qu’elle est un « héros de notre temps » car elle est révélatrice des mœurs d’une époque. Bien sûr, pour beaucoup des générations Y ou pré-quadra les années 70 c’est aussi loin que l’Antiquité même si leurs références musicales y puisent l’essentiel. Quitte à passer pour un VC impénitent je persiste à penser que l’on ne se construit pas dans la pure immédiateté qu’il est indispensable de puiser dans l’Histoire des enseignements.
Nous les baby-boomers, post-soixante-huitard, avons été vilipendés par les héros de la nouvelle droite morale, libérale et nationale depuis, comme étant les corrupteurs de nos propres enfants alors que nous avons, trop sans doute, épousé notre temps en tournant la page des vieilles idéologies qui nous avaient nourries, structurées et en définitive bâties. Faire de nous un paquet compact, indifférencié, est une sottise qui est le signe le plus évident du niveau du débat actuel. Plus personne ne s’adresse plus à personne mais ceux qui tiennent le haut du pavé se contentent de délivrer du prêt à penser via les médias de masse qui déversent sur nous des images, du bruit, de l’absence de sens... Et quel prêt à penser ! J’aimerais qu’il ait une Mafalda qui surgisse pour railler ces postures de cour de récréation de prétendus grands de ce monde.
C’est à pleurer ! En ce moment, je l’avoue : pour la première fois de ma vie j’ai honte de nous…
Parents, offrez à vos adolescents scotchés sur leur tablette, bouffant des réseaux sociaux à longueur de journée, les albums de Mafalda !
© Joaquín-S. Lavado (Quino) Agence Litteraire Caminito