Le jour où tout péta, Pierre-Alexandre Poireau, dit le Pape, bœuf carotte rondouillard, un déplumé aux doigts boudinés, lunettes en cul de bouteille, costard minable en tergal, chemise en nylon lustré, pompes avachies, proche de la retraite, venait de se taper la cloche à déjeuner chez Pierre Gagnaire, 6 rue Balzac dans le 8e, seul comme d’habitude. Le menu dégustation à 310 patates sans la boisson. En dépit des subtiles manœuvres du sommelier, qui voulait ramener sa fraise sur les accords mets-vins, il avait balancé avec sa délicatesse coutumière « fais pas chier ! » et il s’était payé une boutanche de château Rayas 1988 à 1200 euros les 75cl. Poireau se piquait d’être un grand amateur, adhérent à la LPV il tartinait des commentaires de dégustation aussi chiants que des romans de Pierre-Henri Simon et de Nathalie Sarraute réunis.
Ça le faisait bander de se conduire comme un gros porc, ce qu’il était. Entre chaque bouchée du maître, « ha les petits cubes de cochon noir ibérique », il pianotait de son index, aux ongles rongés, sur son smartphone pour suivre le fil Twitter tout en lapant des petites gorgées de Rayas. Ses yeux globuleux, très Gillardeau en laitance, s’animaient, il murmurait « ah… les cons », pour lui tout ce petit monde de journaleux se mettait le doigt dans l’œil jusqu’à l’os. En réalité, Poireau savait bien que les Rouletabille des médias n’enquêtaient pas, tout leur tombait rôti dans le bec, ils n’avaient qu’à lier la sauce. Les informateurs ne manquaient pas, les syndicalistes policiers, commissaires ou gendarmes, leur hiérarchie concernée, à un titre ou à un autre, par l’organisation de la sécurité de Macron. Perdre la main, se faire souffler le taf, ça leur donnait de l’urticaire. Le Pape se souvenait de cette raclure de Mitterrand, qu’il s’évertuait à nommer Mittrand car ça énervait ses derniers admirateurs, virant la flicaille du GPSR, soupçonnée d’être de droite, au profit des seuls gendarmes, réputés plus discrets, plus loyaux. En retour, le Tonton en avait pris plein la gueule avec «l’affaire des écoutes» menées par la cellule des «gendarmes de l’Élysée», entre 1982 et 1986. Sarko était revenu à la case départ, Flamby avait fait du Flamby en faisant une synthèse policiers-gendarmes.
Délaissant l’écran de son smartphone, le gros Poireau se fit, à marche forcée, sous le regard stupéfait des serveurs, une ligne de « Girolles, cerises et pêche blanche, beurre doux aux Coteaux-du-Layon. » avant de s’enfiler goulument « la Galette de gambero rosso, chair de crabe au sansho, haricots beurre », puis de laper bruyamment « la bisque en tasse, melon », de roter discrètement dans sa serviette, d’attaquer ensuite le « Foie gras de canard poêlé, algues et plantes du Croisic, andouille de Guéménée, sommités de chou-fleur au plancton ; jus de veau à la bière d’eau de mer. », d’avaler avec des air de vierge effarouchée le « Saint-Pierre herbacé à la nacre, raviole plate Verte, seiche et palourdes. ». À ce stade de sa dégustation notre bœuf carotte se teintait du même rouge grenat que le châteauneuf-du-pape de Raynaud, il atteignait son point de fusion. Sans se soucier de ses voisins, Poireau, se grattait les couilles afin de réactiver sa circulation sanguine. Sa tronche couperosée s’ornait d’un large sourire, le contact avec ses gonades faisait remonter en lui des images qu’il appréciait plus encore que la « Bourse de queue de boeuf, condiment Ferdinand » de Pierre Gagnaire. Tringler sa pétasse !